En 2009, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, déclarait: «Je crains que les corps sociaux n’acceptent pas de venir au secours des banques une deuxième fois.» Cette deuxième fois est arrivée avec la faillite de Dexia. Elle va être confirmée dans les semaines à venir par d’autres «accidents bancaires».
La «crise des dettes souveraines» revient donc sur les banques privées qui détiennent des actifs (dettes publiques dépréciées) douteux, qu’elles ont soumis à spéculation.Les banques se retournent aujourd’hui à nouveau vers les Etats, même lorsqu’elles avaient passé lesdits tests de résistance (stress tests) avec brio. Comme ce fut le cas pour la banque franco-belge Dexia!
D’éminents économistes – Augustin Landier et David Thesmar – reprennent donc l’antienne de Trichet dans une tribune publiée dans le quotidien économique français Les Echos, le 12 octobre 2011: «Mais après quatre ans de crise financière, les opinions publiques (sic!) sont hostiles à tout geste qui pourrait ressembler à un cadeau aux banquiers.» Dès lors, l’idée – sacrilège il y a encore 4 ans – est avancée: pas de recapitalisation et de sauvetage sans «prises de participation» par l’Etat. Ils le formulent ainsi: «Il s’agit donc de nationaliser, au moins partiellement, les banques aidées.» L’adverbe partiellement a toute sa place! En effet, il faut «démontrer» que «le transfert du contribuable vers les créanciers de la banque» – ce qui est reconnu – peut être réduit.
En fait, dans la conjoncture durable présente s’offre la possibilité pour la gauche radicale – du moins dans des pays comme la France ou l’Espagne – d’avancer des propositions, certes encore fort minoritaires, visant à «déprivatiser» le système bancaire, un système qui devrait remplir les fonctions de base qui relèvent du «bien commun» (gérer les paiements, faire des crédits à la production et à la consommation, assurer des formules d’épargne simples et sûres…) dans une société. La nationalisation pourrait être un premier pas dans cette direction. Dans cette perspective, les propositions émises par Frédéric Lordon dans son ouvrage La crise de trop. Reconstruction d’un monde failli (Fayard, 2009) doivent nourrir le débat; réclamé d’ailleurs par l’auteur.
Nous publions ici un article d’Henri Wilno qui dresse le cadre de la faillite de Dexia et des informations complémentaires de Laurent Mauduit publiées sur le site de Mediapart. (Rédaction)
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Le 4 octobre 2011, un communiqué a annoncé le démantèlement de la banque franco-belge Dexia pour éviter sa faillite. Dexia est surtout connu en France par son rôle dans le crédit aux collectivités locales. Sa situation est significative des turpitudes et des impasses du capitalisme. Elle souligne la nécessité de mesures radicales pour soustraire le crédit et la monnaie aux intérêts du capital.
D’un service public à une banque
Le cas Dexia est d’abord une illustration de la marchandisation généralisée : tout ce qui est susceptible de générer des profits doit être privatisé. Il existait en France un organisme public chargé des prêts aux collectivités (communes, départements,..): la CAECL (Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales).
Il est en effet légitime que les communes aient besoin de recourir à l’emprunt pour financer leurs équipements lourds: une piscine, par exemple, est un gros investissement pour une commune moyenne et il est logique de vouloir étaler ce coût sur plusieurs années. La CAECL correspondait donc à un circuit de financement particulier non soumis au marché. En 1987, dans le cadre du mouvement de libéralisation et de privatisation, la CAECL est transformée en banque, prenant le nom Crédit local de France. A partir de là, l’aventure financière commence: ouverture d’une succursale américaine (1990), introduction du capital en Bourse (1991), fusion avec le Crédit communal de Belgique (1996) sous le nom de Dexia, expansion tous azimuts à travers le monde. Ceci sous l’égide de dirigeants grassement payés.
L’activité du groupe se concentre sur la banque de détail et commerciale en Europe (principalement en Belgique, au Luxembourg et en Turquie), la banque du secteur public (en France) et la gestion financière. Aux collectivités territoriales et aux établissements publics, Dexia propose d’abandonner les emprunts à taux fixes au profit de formules de prêts à taux variables de plus en plus sophistiquées: parfois avantageuses au départ, elles comportent des mécanismes de revalorisation des taux qui peuvent s’avérer des pièges. C’est le cas, désormais connu, des prêts dont le taux d’intérêt est lié au franc suisse (CHF). C’est rentable, mais il y a un risque de difficultés de remboursement. Dexia prend aussi des risques d’une autre nature en s’insérant dans les réseaux bancaires internationaux en fonction des occasions de profit. D’autant que la concurrence est rude et que Dexia n’a pas des ressources financières aussi stabilisées que certaines de ses concurrentes.
L’Etat sauve Dexia une première fois sans conditions
Dexia est exemplaire d’un deuxième point de vue. Elle a été sauvée une première fois en pure perte. En effet, en septembre 2008, dans le cadre de la crise des subprimes, Dexia était sous pression en raison des difficultés de sa filiale américaine : FSA Holdings Ltd. (organisme financier directement impliqué dans la diffusion des titres à risque liés aux subprimes) et de liens avec divers organismes financiers fragilisés. Son cours de bourse s’effondre et une agence de notation dégrade sa note lui rendant plus difficile de se refinancer. Que croyez-vous qu’il arriva? Dexia demanda un soutien aux Etats français et belge. Ce sauvetage prit deux formes : une injection de capital de 6,4 milliards euros (3 milliards d’euros chacune pour la Belgique et la France et 400 millions pour le Luxembourg) et une garantie d’État pouvant atteindre 150 milliards pour lui permettre d’obtenir des financements.
Ce sauvetage a été fait sans conditions. Dexia engage ensuite un processus de restructuration et de redéploiement de ses activités. Et en apparence, sa situation s’améliore. En 2010, elle passe avec succès les stress tests (tests organisés pour apprécier la solidité des banques) et elle réédite sa performance en juillet 2011. Ses dirigeants s’accordent des rémunérations somptueuses. En novembre 2008, le salaire annuel du nouveau président du comité de direction, Pierre Mariani (ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy quand il était ministre du Budget), a été fixé à un million d’euros de fixe et 2,25 millions d’euros de bonus et, en avril 2009, avant d’avoir exercé la moindre activité chez Dexia, le nouveau directeur financier à reçu 500’000 euros de prime d’arrivée : «golden hello», dans le langage financier!
Dexia replonge, l’Etat s’apprête à payer une deuxième fois
Dexia revient d’abord sur le devant de l’actualité d’abord par le biais de ses prêts quasi-usuraires aux collectivités territoriales. Le quotidien Libération, en date du 21 septembre 2011, titre «Dexia : la banque qui a ruiné 5000 communes». A partir de documents internes de la banque, le quotidien souligne que les emprunts faits par les collectivités territoriales auprès de la banque engendreront d’importants surcoûts estimés à 3,9 milliards d’euros en 2009. Le journal parle «d’emprunts toxiques». Mais il n’y a pas que les communes et les départements: il y aussi les centres hospitaliers publics comme le démontre le syndicat Sud-Santé sociaux du Nord-Pas de Calais.
Mais il ne suffit pas de pressurer communes et autres organismes publics pour assurer la solidité de la banque. Avec l’accentuation de la crise de la zone euro et les incertitudes sur les banques, l’incertitude se répand à nouveau sur la qualité des actifs: son portefeuille comporte notamment 21 milliards d’euros de dettes de pays européens (Grèce, Portugal, Italie) dont la solvabilité est aujourd’hui mise en doute. Le cours de l’action s’effondre. Cette fois-ci, c’est la fin. Et l’Etat est de nouveau appelé à la rescousse.
La banque va être découpée en morceaux. Ce qui est rentable va être vendu. L’Etat belge nationalise moyennant 4 milliards d’euros les activités de banque des particuliers en Belgique. Les actifs les plus risqués seront regroupés dans une structure particulière («bad bank») bénéficiant de la garantie des Etats français et belge pour 90 milliards d’euros au total Le portefeuille de Dexia des crédits aux collectivités locales (environ 70 milliards dont une partie risque de pas être intégralement remboursé) devrait passer à la Caisse des dépôts et consignations créant un risque pour cet organisme qui centralise les fonds provenant de l’épargne (notamment le livret A, véhicule de «l’épargne populaire» en France) et qui est parmi les plus sûrs du système financier français. Non parce que ses dirigeants sont particulièrement vertueux, mais parce que cet organisme a encore un statut ne permettant pas toutes les aventures. Une nouvelle banque des collectivités locales sera créée reprenant le portefeuille de prêts à ces collectivités; la Banque Postale et la Caisse des Dépôts y joueraient aussi un rôle essentiel (on appréciera le tête à queue : la CAECL était gérée par la Caisse des dépôts).
Fin pour l’essentiel de l’aventure Dexia. Les contribuables vont payer si nécessaire. Gageons que les dirigeants vont tirer leur épingle du jeu. D’ailleurs, Pierre Mariani est toujours aux manettes.
Dexia, une affaire emblématique
Le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso déclarait le 28 septembre dernier: «Au cours des trois dernières années, les Etats membres ont accordé des aides et fourni des garanties au secteur financier à hauteur de 4600 milliards d’euros. Il est temps que le secteur financier apporte sa contribution à la société.» Barroso, en pleine crise boursière et bancaire, cherchait à montrer que l’Union européenne (UE) n’était pas seulement à la solde des banques. L’affaire Dexia montre qu’au contraire les banquiers entendent que ce soit la société qui apporte en permanence sa contribution à leur salut.
Et les dirigeants capitalistes européens s’apprêtent à recommencer à travers les opérations de recapitalisation bancaire en discussion. Sous couvert de sauver les banques et les dépôts des particuliers, il s’agit en fait de préserver les banquiers, les actionnaires et les dirigeants. Et leur liberté de recommencer sans cesse les mêmes aventures au détriment de la majorité de la population.
Face à cela, il faut avancer l’exigence de la mise du système bancaire dans son intégralité au service de la société ce qui passe par sa nationalisation sans indemnité ni rachat, avec garantie des dépôts des détenteurs petits et moyens. Cela permettrait la réorganisation du système bancaire au service d’un projet de transformation sociale et écologique. Et également la mise en place de structures de contrôle et de direction adaptées à cet objectif et évitant les errements des anciennes banques nationalisées, comme le Crédit Lyonnais.
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Laurent Mauduit sur le site Mediapart, en date du 6 octobre 2011, soulignait: «De cette aventure folle [qui a conduit à Dexia et à sa fuite en avant], il y a un premier enseignement: il apparaîtrait totalement scandaleux que les pôles publics du secteur financier, qu’il s’agisse de la Caisse des dépôts et de consignations (CDC) ou de La Poste (et de sa filiale La Banque postale), qui n’ont pas été contaminés par les produits toxiques – et ils ont été bien les seuls – paient les conséquences des aventures désastreuses des autres. Le pôle public, le seul qui a été vertueux, il faut à toute force le protéger.»
Il poursuit ainsi: «Le second enseignement de la sinistre aventure Dexia coule aussi de source : c’est que les autorités françaises ont été gravement irresponsables, en 2008, en mettant en œuvre un plan de sauvetage des banques qui leur apporte des fonds propres et des liquidités, mais sans exiger d’elles la moindre contrepartie. Gravement irresponsable, en somme, comme le soulignent à bon droit les économistes atterrés, de n’avoir rien fait pour «désarmer la finance». Car on voit aujourd’hui le résultat de cette connivence entre l’Elysée et les PDG des grandes banques : une spirale infernale s’est de nouveau enclenchée. Les banques sont reparties spéculer sur les marchés, et notamment sur les dettes souveraines des Etats; dégradées, certaines de ces dettes sont devenues des actifs de plus en plus douteux, qui ont jeté la suspicion sur la solidité de ces mêmes banques. Bref, la folie a repris. La folie, avec la conséquence dramatique que l’on voit aujourd’hui : un premier mort. Une première banque que l’on croyait sauvée, grâce à l’apport de plus de 6,4 milliards d’euros publics, est rayée de la carte. C’est le bilan que Nicolas Sarkozy ne pourra pas esquiver : jouant en 2008 les fiers à bras, voulant faire croire à l’opinion qu’il allait terrasser la finance, il a, en fait, creusé une crise encore plus grave.»
Laurent Mauduit expose, par la suite, les dangers que la CDC (Caisse des dépôts et consignations) pourrait connaître en devant prendre en charge «l’essentiel des portefeuilles à risque de Dexia», avec une garantie minimale de la part de l’Etat (10 milliards sur quelque 80 milliards). Conclusion: «L‘enjeu du débat est majeur. Souvent présentée comme le bras armé financier de l’Etat, la CDC risque d’être gravement mise à mal par le plan gouvernemental et se transformer, pour partie, en un pitoyable et désastreux fonds de défaisance [«bad bank»]. Comme l’a été le Consortium de réalisations (CDR) dans la pitoyable histoire du Crédit lyonnais. Et par ricochet, pour le plus long terme, c’est tout le projet de la gauche, qui serait mis à mal. Car on sait que le projet socialiste pour 2012 prévoit la création d’une grande banque publique d’investissement, par le biais d’un regroupement des différents actifs publics contrôlés par l’Etat, dont la CDC, Oséo [société anonyme contrôlée par l’Etat français à hauteur de 60% – et aussi par la CDC – qui a pour objectif de faciliter le financement des PME] ou encore La Banque postale. Or, si la CDC vacille, c’est tout le projet qui serait atteint. Grave danger! Non seulement les socialistes seraient bien en peine d’inventer de nouvelles solutions pour sortir des logiques folles de la finance dérégulée, mais, de surcroît, le pôle public aurait été à son tour contaminé par les produits toxiques.
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