Cette semaine, les deux camps [représentés par Maduro et Guaidó] semblent être d’accord sur un point: la stratégie de l’opposition à Maduro stagne. Le gouvernement tentera d’en profiter et refusera à l’opposition le temps et l’espace nécessaires pour reprendre le dessus en immobilisant ses ressources pour réagir aux attaques. En même temps, le gouvernement Maduro-Cabello se prépare à construire un appareil paramilitaire renforcé [des milices armées en grand nombre]. L’équipe de Guaidó est arrivée à la même conclusion en ce qui concerne sa stratégie. Elle tentera à son tour de reprendre l’offensive en descendant dans la rue le samedi 6 avril et en aggravant les perspectives du gouvernement par de nouvelles sanctions. Nous avons écrit précédemment que parler d’interventions militaires étrangères pourrait avoir des effets contraires à ceux recherchés par l’opposition [à la Guaidó], car cela pourrait rendre les options négociées plus acceptables aux opposants à une invasion.
• Le 4 avril, Elliott Abrams, le représentant spécial des États-Unis pour le Venezuela, a versé de l’eau froide sur l’idée d’une option militaire – et ce n’est pas la première fois – en disant qu’il est «prématuré» d’invoquer l’article 187 de la Constitution du Venezuela. La résolution de la crise semble maintenant être une question de mois, et non plus de jours ou de semaines. La situation économique et humanitaire va sans aucun doute se détériorer davantage [1], car les effets des sanctions imposées au cours des deux derniers mois commencent à avoir des effets dévastateurs sur les finances publiques et sur la capacité du gouvernement à maintenir les services publics en activité et à importer des denrées alimentaires.
Il y a un certain temps, le retrait de Maduro ou son acceptation forcée d’une élection apparaissait une urgence pour les Forces armées, une urgence qui semble aujourd’hui révolue, alors que la crise politique semble être entrée dans une accalmie.
• Nous pensons que cette accalmie est trompeuse, compte tenu de l’effet futur des sanctions et de ses conséquences attendues sur l’accentuation de la crise migratoire. Le défi pour l’opposition est de résister aux attaques du gouvernement et de maintenir le soutien de sa base et de ses alliés étrangers, en attendant que les pressions qu’elle a exercées sur le gouvernement produisent des résultats.
• Comme nous l’avons signalé au cours semaines précédentes, le régime s’appuie fréquemment sur des groupes paramilitaires connus sous le nom de «colectivos» pour contrôler l’ordre public. En raison des niveaux de mécontentement au sein des forces armées, le régime ne fait plus confiance aux troupes pour suivre les ordres et rester fidèles si elles sont déployées en grand nombre dans les rues pour réprimer les manifestants. Ce week-end, les dirigeants du SEBIN [Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional] rencontreront des conseillers cubains sur l’île d’Orchila, une petite île éloignée de la côte vénézuélienne. Ils prévoient d’examiner différents scénarios et de coordonner les opérations futures, y compris la réorganisation des 51’000 Unités Populaires de Défense Intégrale (Unidades Populares de Defensa Integral), annoncée fin janvier 2019. Ces unités fusionneront avec les «colectivos» existants et à venir. La nouvelle structure sera d’abord sous le contrôle du Commandement opérationnel stratégique des forces armées (CEO-FANB), car c’est l’organisme qui détient et contrôle de l’armement militaire. Le plan prévoit que les armes seront distribuées lentement aux nouveaux groupes. Une fois cela fait, le régime prévoit de séparer rapidement ces groupes des forces armées et de les faire fonctionner indépendamment de l’institution militaire régulière, probablement sous le contrôle du Frente Francisco de Miranda (FFM), le groupe pro-cubain au sein du parti au pouvoir. Cuba joue un rôle important dans la formation des jeunes cadres de l’Etat d’Aragua [Etat dont la capitale est Maracay, une ville de quelque 1,2 million d’habitants] sous la supervision de la FFM.
• Les analystes de l’agence de renseignement civil (SEBIN) continuent d’affirmer qu’il y a une forte probabilité d’intervention militaire étrangère. Néanmoins, ils estiment que le gouvernement a réussi à ralentir l’élan de la stratégie de communication du gouvernement américain avec l’arrivée récente d’un contingent militaire russe et le soutien qu’il a donc reçu. Selon des sources au SEBIN, le gouvernement va maintenant se concentrer sur la pression exercée sur l’opposition, dans le but de réduire le leadership de Juan Guaidó, et le pousser à faire des erreurs. Comme nous l’avons signalé antérieurement toute décision d’arrêter Guaidó [qui ne jouit plus de son immunité parlementaire] serait prise au plus haut niveau, par Miraflores [présidence] et ses conseillers à La Havane. Son arrestation potentielle, ainsi que celle d’autres politiciens de l’opposition, fera l’objet de discussions ce week-end [6 et 7 avril 2019], avec des sources qui signalent qu’«il est presque certain que de nouvelles arrestations sont imminentes» et que les résultats de la réunion auront de profondes répercussions sur l’opposition.
• Le 2 avril, l’Assemblée nationale constituante (ANC) – contrôlée par le gouvernement – a approuvé la suspension de l’immunité parlementaire de Juan Guaidó et a ordonné au Tribunal suprême de poursuivre le procès contre lui. L’équipe de Guaidó considère cette décision comme une escalade de la menace qui pèse sur lui et comme un moyen pour le gouvernement de se donner plus de marge de manœuvre. L’équipe de Guaidó discute de la manière de procéder, car elle pense qu’elle devrait réagir rapidement à cette menace.
L’une des options à l’étude est que la femme de Guaidó – Fabiana Rosales, actuellement en tournée dans plusieurs pays – prolonge sa tournée pour mener campagne au cas où son arrestation se concrétiserait. Cela afin d’augmenter le coût politique de son arrestation pour le gouvernement. L’équipe n’a pas encore décidé quoi faire en cas d’arrestation imminente: si Guaidó doit s’exiler ou rester et être arrêté. Chaque option a des conséquences politiques importantes, mais ils pensent que l’arrestation serait plus coûteuse pour Guaidó et la stratégie politique globale.
• Pendant ce temps, les alliés de Guaidó discutent de ce qui se passerait s’il était arrêté: comment cela changerait la structure de direction actuelle de l’Assemblée nationale (AN) et qui assumerait son rôle dans les décisions stratégiques de l’opposition. Le vice-président, Edgar Zambrano – de l’Action démocratique (AD) – succéderait à Guaidó à la présidence de l’Assemblée nationale. Toutefois, on ne sait toujours pas ce qui se passerait avec le poste de président intérimaire [statut de président par intérim autoproclamé par Guaidó le 23 janvier 2019]. Les dirigeants des partis (Volonté populaire) de Guaidó, de Zambrano (AD) et Leopoldo López [membre de VP; il a incarcéré en 2014 puis en résidence surveillée depuis 2017] et Henry Ramos Allup pour AD débattent de la question. Guaidó prévoit d’intensifier sa tournée nationale et d’intensifier ses mobilisations en vue de l’opération Liberté. Lui et son équipe espèrent une forte participation aux manifestations du 6 avril, comme une démonstration de force nécessaire pour contrecarrer ce qu’ils considèrent comme un affaiblissement récent de la position de Guaidó et une sorte de stagnation de l’offensive de l’opposition.
• De plus, ils évaluent ce qu’ils peuvent demander à leurs alliés internationaux – en particulier aux Etats-Unis – pour donner plus de poids à leur offensive, comme de nouvelles sanctions afin de mettre plus de pression sur Maduro et sur la coalition au pouvoir. Les niveaux de participation pour le 6 avril [2] pourraient avoir un effet sur le débat portant sur l’opportunité d’invoquer l’article 187 de la Constitution qui autorise l’AN à demander des interventions militaires étrangères dans le pays. En effet, Guaidó a reçu pour recommandation de considérer la liaison avec une stratégie de pression du gouvernement et des manifestations de rue.
Si le taux de participation est élevé, cela pourrait servir à soulever la question pour le débat au sein de l’AN et à commencer à créer les conditions et le soutien nécessaires pour invoquer l’article 187, bien qu’il soit formulé comme un appel à la coopération, et non à l’intervention.
• Le débat sur l’opportunité d’invoquer l’article 187 est aussi en rapport avec une interrogation: comment pourrait-il faire partie de la stratégie de recherche d’une fracture au sein des forces armées qui aboutirait à la sortie de Maduro. Cette stratégie qui n’a pas encore donné les résultats attendus par Guaidó et ses alliés après les nombreuses sanctions et pressions appliquées depuis le 23 janvier. Il y a une discussion au sein du clan de Guaidó sur la façon dont l’invocation de l’article 187 pourrait servir à augmenter la pression sur les militaires et à redéfinir la stratégie de «fracturation» de la coalition au pouvoir par les militaires.
• Une autre option à l’étude est de considérer l’article 187 comme une autorisation pour une mission humanitaire [3] qui pourrait garantir que l’aide humanitaire entre dans le pays et soit distribuée par la Croix-Rouge – comme cela a été annoncé la semaine dernière; les partisans du mouvement sont en pourparlers avec les trois formations politiques: AD, Un Nuevo Tiempo (UNT) et Avanzada Progresista (AP). Elles se sont toujours opposées à l’application de cet article 187. Sans leur soutien, la mesure ne serait pas adoptée dans l’AN. R. Blanco, le dirigeant du courant le plus agressif, dénommé Fraction 16 J, essaye de faire passer cette décision à l’AN depuis près de dix semaines, mais il ne dispose pas du nombre de voix nécessaires.
• Tous les partis de l’opposition conviennent qu’une composante électorale est indispensable, mais ils ne s’entendent pas sur l’ordre des initiatives et donc le calendrier. Le discours de Guaidó au pays présente l’ordre suivant: la fin de l’usurpation [départ de Maduro], mise en place d’un gouvernement de transition et des élections libres. Certains membres de l’opposition – en particulier AD et AP – font valoir que l’ordre devrait être modifié: les élections étant le premier moyen de mettre fin à l’usurpation, c’est-à-dire de faire accepter par Maduro que les élections soient la modalité aboutissant à une renonciation par Maduro du pouvoir.
• Dans le camp de Guaidó, ils comprennent que la tenue d’élections en premier pourrait être la seule façon de faire partir Maduro. Cependant, ils soutiennent que même si c’est le cas, ils ne devraient pas relâcher la pression sur Maduro, ni arrêter l’offensive de l’opposition. Cette question – qu’il s’agisse d’intensifier ou d’alléger la pression – est la principale source de désaccords entre le camp de Guaidó et AD, AP et UNT; et non pas de savoir si les élections auraient lieu en premier ou en dernier. Mais comme les élections sont considérées comme une étape, plusieurs politiciens se bousculent pour se positionner, se faire connaître dans les médias et faire avancer leurs propres programmes politiques, notamment Henri Falcón, Henrique Capriles [condamné à 15 ans d’inéligibilité] et María Corina Machado. AD, UNT et AP soutiennent les efforts de Vicent Díaz – ancien recteur du Conseil électoral national – pour négocier un accord-cadre avec les envoyés gouvernementaux. Ils se sont rencontrés la semaine dernière en République dominicaine et ne se sont pas encore revus. (Rapport établi en date du 5 avril 2019; traduction par A l’Encontre)
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[1] En date du 6 avril 2019, sur le site Mediapart, Jean-Baptiste Mouttet écrit: «Les «circonstances» sont pourtant dramatiques et peuvent justifier des négociations, selon cet ancien proche de Nicolás Maduro (Temir Porras qui fut directeur de cabinet de Nicolás Maduro de 2007 à 2013). «À la différence des précédents dialogues, le Venezuela vit un moment exceptionnel», relève-t-il. La Banque mondiale prévoit une chute du produit intérieur brut de 25% en 2019, soit 60% depuis 2013. Les pannes d’électricité récurrentes et prolongées, les coupures d’eau courante font désormais partie du quotidien des Vénézuéliens, sans compter l’inflation (estimée à 10’000’000% en 2019 par la Banque mondiale). Le pays est en miettes et il est difficile d’imaginer une reprise tant que le conflit politique et les sanctions se poursuivent.»
[2] Aucune information crédible, pour l’heure, n’établit l’importance quantitative des deux mobilisations, celle appelée par Guaidó et celle organisée par le gouvernement. (Réd A l’Encontre)
[3] Dans un reportage publié dans le quotidien Le Monde, daté du 6 avril 2019, mis en ligne à 10h03, Claire Gatinois fournit la description suivante: «Dans le centre de Maracaibo [capitale de l’Etat de Zulia, un des principales villes du Venezuela], allongée sur un matelas élimé posé à même le trottoir pour supporter la chaleur de la nuit, Carolina Martinez, 37 ans, confie avoir cru, un temps, à la révolution bolivarienne. Aujourd’hui, cette assistante du gouvernement «a honte de travailler pour l’Etat». Après tant de mois de privations, la mère de deux enfants de 12 et 4 ans, payée une misère, en a presque oublié le goût de la viande. «Ce gouvernement n’est ni socialiste ni communiste. Il est terroriste!», grogne Nadio, le père de Carolina, à ses côtés. Au bord du chaos, Maracaibo a explosé le 1er avril. La ville, plongée dans l’obscurité par les coupures électriques, a été ce jour-là le théâtre d’émeutes émaillées de pillages. Avant de fracasser la vitrine d’une pharmacie pour s’emparer de shampoings, de savons mais aussi de chips et de sodas, vendus dans l’établissement, les pillards auraient crié «on a faim!», raconte la gérante. «Les gens mangent dans les poubelles. Maduro est un fils de p… On veut quelqu’un d’autre à la tête du pays, même si c’est un extraterrestre», appuie un vendeur de légumes du marché municipal.»
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