Gaza. «La faim s’étend et s’aggrave, de manière délibérée et provoquée par l’homme» (P. Lazzarini)

Par Hala Kodmani

Un appel à «rétablir immédiatement un flux rapide et sans entrave d’aide humanitaire à Gaza afin de répondre aux besoins de tous les civils» a été lancé mercredi 23 avril par les ministres des Affaires étrangères français, britannique et allemand, exhortant Israël à «cesser ce blocage intolérable». Car aucune aide humanitaire ne parvient plus à la population de Gaza sous le feu israélien depuis la rupture du cessez-le-feu, le 18 mars. «Du jour au lendemain, nos pires craintes se sont concrétisées», avait alors déclaré Tom Fletcher, le coordinateur des secours d’urgence de l’ONU, devant le Conseil de sécurité. La veille, une douzaine d’ONG constataient un «effondrement total» de l’aide dans l’enclave palestinienne, affirmant assister à «l’un des pires échecs humanitaires de notre génération».

Au cinquantième jour du blocus israélien sur Gaza, «la faim s’étend et s’aggrave, de manière délibérée et provoquée par l’homme», a affirmé mardi 22 avril le chef de l’agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa), Philippe Lazzarini, ajoutant : «Gaza est devenue une terre de désespoir.» Depuis le début de la guerre, en octobre 2023, les autorités israéliennes privent les Gazaouis de leurs moyens de survie en limitant, voire parfois en interdisant, l’assistance humanitaire. Les autorités israéliennes accusent le Hamas de détourner l’aide.

«Opacité» et «imprévisibilité»

Même avant le blocus total en vigueur aujourd’hui à Gaza, l’accès des camions de vivres ou de médicaments, souvent négocié dans les accords de cessez-le-feu, était soumis à des restrictions israéliennes qui sont allées crescendo depuis le début de la guerre. «C’était devenu une vraie loterie, décrit un responsable d’une ONG européenne ayant opéré récemment à Gaza. L’accès au terrain était de plus en plus restreint et contrôlé par Israël qui multipliait les mesures arbitraires.» Comme la plupart des travailleurs humanitaires, il doit rester anonyme pour témoigner du «harcèlement» subi par les fournisseurs d’aide. «Garder l’accès à Gaza est une priorité absolue pour les ONG qui craignent d’être écartées», explique-t-il.

«Arbitraire», «opacité», «imprévisibilité», reviennent dans les propos exaspérés des humanitaires décrivant les mesures imposées par les contrôles israéliens aux produits et matériel qui pouvaient entrer à Gaza. Le Cogat, l’organisme de l’administration militaire israélienne chargé de la supervision des civils dans les territoires palestiniens occupés, dicte ses conditions sur l’entrée des camions d’aide et de leur contenu. «Le passage obligé de tous les véhicules par Kerem Shalom [au croisement des frontières de Gaza, de l’Egypte et d’Israël, ndlr] provoque des embouteillages entraînant une attente de plusieurs heures ou jours», indique Claire Nicolet, responsable des opérations de Médecins sans frontières (MSF) pour Gaza. L’ONG poursuit ses activités avec une vingtaine d’internationaux sur place et un millier d’employés médicaux locaux, qui interviennent dans une douzaine d’hôpitaux et de centres médicaux à travers l’enclave.

Epreuve pour les nerfs des humanitaires

Venant de Jordanie, d’Israël ou d’Egypte, les camions d’aide humanitaire ne pouvaient entrer que par le poste de contrôle de Kerem Shalom, notamment pendant le cessez-le-feu de janvier et février. Le processus de contrôle de l’aide, lors duquel chaque palette est passée au scanner, est une véritable épreuve pour les nerfs des travailleurs humanitaires. «Les dimensions des palettes contenant produits alimentaires, kits hygiéniques, médicaments ou autres nécessités vitales sont soumises à des normes strictes, qui sont parfois modifiées d’un jour à l’autre, indique ainsi un responsable d’une ONG arabe. Une cargaison entière peut être refusée pour cinq centimètres de différence.»

Quant au contenu des palettes d’aide, il est encore plus strictement réglementé. Produits ou objets à«double emploi» (civil et militaire), selon les considérations israéliennes, sont le cauchemar des ONG. Différents articles incluant des produits chimiques, des objets métalliques, mais aussi du matériel de construction ou même médical sont soit interdits, soit soumis à une autorisation particulière. «Le problème c’est qu’il n’y a pas de liste communiquée de ces articles et les critères du double emploi sont variables»,souligne Claire Nicolet. MSF a forcément besoin d’autorisations pour faire entrer des objets métalliques dans le matériel médical. «Les accords pour faire rentrer certains objets, comme des scalpels, parviennent avec des délais incompréhensibles, ajoute la responsable. Il est arrivé que les ciseaux soient interdits pendant des mois.» Et lorsqu’une seule des palettes d’aide est refusée pour ses dimensions ou son contenu au poste de Kerem Shalom, le camion avec toute sa cargaison est refoulé.

Le business «humanitaire» de mafieux égyptiens

Une fois surmontée l’épreuve du passage vers Gaza, les ONG sont souvent exposées aux attaques de bandes organisées de pilleurs armés. L’une des pires attaques a eu lieu en novembre, quand un convoi d’une centaine de camions de l’Unrwa a été pris d’assaut par des hommes masqués qui ont lancé des grenades avant de braquer les chauffeurs et de dévaliser les cargaisons. La multiplication des pillages jusqu’à fin 2024 avait porté les ONG à protester contre l’échec de l’armée israélienne à sécuriser les convois. Toutefois, pendant le cessez-le-feu en janvier et février, des centaines de camions sont entrés quotidiennement à Gaza sans subir des pillages. «La police du Hamas avait repris du service et les choses étaient mieux réglées», signale le responsable humanitaire européen déjà cité.

Au chemin semé d’embûches que doivent traverser les ONG qui travaillent à Gaza, s’ajoute un contrôle payant pour les camions qui arrivent du côté égyptien. Un véritable racket mis en place par le leader tribal des «Fils du Sinaï», Ibrahim al-Argani. Avec la complicité des services égyptiens, le chef mafieux prélève un droit de passage sur chaque camion qui se dirige vers Gaza, confirment plusieurs membres d’ONG. L’homme qui avait déjà gagné des millions de dollars au début du conflit pour faire passer les familles de Gazaouis fuyant l’enclave vers l’Egypte s’est adapté au business humanitaire. Depuis le blocus israélien, il impose des frais de «stationnement» aux camions bloqués à la frontière.

Aujourd’hui, des centaines de camions chargés de près de 9000 palettes de matériel, comprenant des tentes, de la literie, des articles d’hygiène, des médicaments et des aliments sont en attente en Jordanie, en Egypte ou en Cisjordanie. «Nous avons des fournitures prêtes. Nous avons du personnel médical formé. Nous disposons de l’expertise nécessaire. Ce qui nous manque, c’est l’accès – ou la garantie par les autorités israéliennes que nos équipes peuvent faire leur travail en toute sécurité», indiquaient dans leur communiqué récent les ONG opérant à Gaza. «Mais on ne voit aucun horizon pour une amélioration de la situation», regrette Claire Nicolet. (Article publié dans le quotidien français Libération, le 25 avril 2025)

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