Par Juan Andrés Gallardo
Le soleil se lève sur Caracas. En dépit de la brise qui descend depuis la colline d’El Ávila, le soleil tape déjà, annonçant les 29 degrés qui seront atteints dans quelques heures. En face de la place de La Candelaria, une centaine de personnes forme une file afin d’obtenir du pain salé (de type français). La scène se répète au pâté de maisons suivant, puis au suivant. La Candelaria est un quartier d’immigration espagnole et portugaise avec une tradition «boulangère», bien qu’en raison du manque de farine les commerces ne proposent du pain qu’une à deux fois par semaine. Les trois ou quatre pièces coûtent un dixième de ce que vaut un sachet de pain au lait au supermarché. Ceci explique que le rituel se reproduise devant chaque boulangerie, même si l’attente dépasse l’heure.
C’est ainsi que débute la journée d’une grande partie de la population de Caracas. Il reste encore à savoir s’il y aura un moyen de transport pour arriver au travail, passer par la banque pour retirer de l’argent liquide [l’inflation est galopante] et penser à faire à nouveau la queue dans l’après-midi pour obtenir quelque chose à manger pour le soir à un prix raisonnable.
«Le pire, ça a été en août de l’année dernière. A ce moment-là, nous ne mangions que des mangues. Durant la matinée, au dîner et le soir. C’est tout ce qu’il y avait», m’explique-t-on pour clarifier le fait qu’en ce moment les choses vont bien mieux. Il est vrai que le pire moment de pénurie est déjà passé, il n’en reste pas moins que la majorité doit ramer quotidiennement pour survivre avec un salaire qui ne peut faire face à une inflation incontrôlée.
Comme les données officielles n’existent pas, les indices se mesurent sur la base de ce qu’affirment des sociétés de consultants privées. Selon ces rapports, l’inflation a atteint 700% au cours de l’année dernière et on s’attend, cette année, à ce qu’elle dépasse les 1000%. L’augmentation des salaires est loin de correspondre à ces chiffres. Sans réunion paritaire ni négociations avec les syndicats, le gouvernement de Nicolás Maduro a annoncé une augmentation des salaires par décret. La dernière, au mois de mai dernier, a été de 60%, portant le salaire minimum à 65’000 bolívares (somme qui s’échangeait, en mai, contre 10 dollars au marché parallèle). Cette somme correspond à 7 hamburgers dans un fast-food ou à 13 bouteilles de Coca-Cola au supermarché. Le salaire minimum est complété par un Bon alimentaire de 135’000 bolívares, ce qui fait un total mensuel de 200’000 bolívares (un peu plus de 30 dollars au marché parallèle). En comparaison, le «panier alimentaire de base» au cours de ce même mois atteignait 1’400’000 bolívares (Centro de Documentación y Análisis Social).
C’est ce qui explique qu’une grande partie des Vénézuéliens emploient une portion importante de leur temps libre à obtenir des aliments ou des médicaments (qui se font aussi rares), évitant de recourir aux bachaqueros (vendeurs au marché noir) qui disposent de produits difficiles à trouver, à des prix impossibles. S’il existe bien une série de produits de base dont les prix devraient être contrôlés, les patrons les accaparent afin de faire des bonnes affaires sous le regard complice du gouvernement. Le lait a ainsi été rebaptisé «boisson lactée» afin de pouvoir le vendre à 5’000 bolívares le litre, largement hors d’atteinte pour quiconque reçoit le salaire minimum – sans même parler des chômeurs (dont nombre d’entre eux sont jeunes) – ou ceux qui sont restés dans les marges que l’on voit, toujours plus, chercher dans les ordures de la nourriture ou tout objet qui puisse se vendre.
L’année dernière, lorsque la pénurie a atteint son niveau le plus élevé, s’ajoutait à cette routine des heures d’attente sous le soleil devant les Mercados de Alimentos, aux prix subventionnés, montés par l’Etat. Les produits étaient cependant toujours plus rares et l’impatience des gens croissait d’autant. Le gouvernement prit note de la situation et mit en place les Comités Locales de Abastecimiento y Distribución (CLAP), dont l’objectif double consiste à acheminer de la nourriture directement et à accroître le contrôle social dans les quartiers les plus pauvres.
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Caracas est littéralement divisée en deux. Il n’y a pas de meilleure représentation physique de «faille» politique que celle que l’on trouve dans les environs de la station de métro Chacaito, au centre de la ville. C’est là que la commune de Libertador, qui s’étend vers l’ouest, trouve sa limite et que débute la commune de Chacao, qui se déploie à l’est jusqu’à pénétrer dans l’Etat du Miranda [la capitale, sise dans une cuvette dans les montagnes à quelques kilomètres de l’océan, a été érigée en District fédéral; la partie est de la ville se situe toutefois dans un autre Etat], duquel le gouverneur n’est autre que l’opposant Henrique Capriles.
La division n’est toutefois pas uniquement administrative, mais avant tout politique. A l’ouest sont situés les principaux bâtiments publics et les quartiers des classes moyennes et populaires, qui se répandent vers les collines. Sortir de l’une des stations de métro de l’ouest revient à faire face à une affiche qui affirme: Bienvenue en territoire chaviste. C’est ici que sont situés le siège du Tribunal suprême de justice (TSJ), allié principal de Maduro aux côtés du Conseil national électoral (CNE), tout comme le Palacio Miraflores, siège du gouvernement. Voici la raison pour laquelle l’ordre de la police et de la garde nationale bolivarienne est qu’aucune marche de l’opposition n’atteigne l’ouest. A cette fin, ils recourent non seulement à une répression brutale, qui a déjà fait des dizaines de morts, mais aussi au blocage périodique de toutes les rues qui forment la ligne imaginaire entre les deux hémisphères.
A l’est, en revanche, c’est l’opposition de droite, organisée autour de la Mesa de Unidad Democrática (MUD), qui domine. C’est ici que l’on rencontre les sièges des principales entreprises, où les dirigeants disposent d’un salaire garanti en dollars (1 dollar, qui s’échangeait contre 5’800 bolívares en mai, équivalait, fin juin, à 8000). A l’est se trouvent également les ambassades, les principaux shoppings malls dans lesquels les supermarchés ne manquent pas de produits, bien que les prix soient inaccessibles pour quiconque vit d’un salaire.
Sortir d’une station de métro à l’est conduit à faire face à des affiches où l’on peut lire Non + Dictature, Maduro dictateur ou je suis libérateur. Ce dernier slogan est la consigne que la droite utilise pour lancer ses appels au coup d’Etat permanents aux militaires, afin qu’ils chassent Maduro du gouvernement. Bien qu’elle se cache derrière un discours démagogiquement démocratique, qu’elle compte sur des personnalités recyclées des vieux partis néolibéraux ou avec des partis tels que Voluntad Popular du prisonnier [assigné à résidence] Leopoldo López, qui se présente comme une droite rénovée, la droite vénézuélienne conserve son ADN golpiste. Celle-là même qui, en avril 2002, prit la tête, aux côtés des militaires, à la tentative de coup d’Etat contre Chávez et qui, à la fin de la même année, revint à la charge avec un lock-out pétrolier visant à asphyxier l’économie, lequel fut aussi un échec.
Cet ADN resurgit par tous les pores des dirigeants de l’opposition de droite à chaque fois qu’ils peuvent, et qu’ils se meuvent entre le soutien de l’impérialisme des Etats-Unis et les appels récurrents aux forces armées. Ils parvinrent, en mai, à convoquer une marche en direction du Fuerte Tuna, principale caserne du pays, exigeant qu’ils retirent leur soutien à Maduro, c’est-à-dire: qu’ils fassent un coup d’Etat.
Malgré le discours démocratique qu’ils arborent, c’est cet ADN qui ne parvient pas à convaincre des secteurs toujours plus mécontents du chavisme, mais qui ne «s’amourachent» pas d’une opposition qui ressemble tellement à cette droite qui gouverna le pays pendant un demi-siècle sous les auspices du Pacte de Punto Fijo [accord conclut, en 1958, entre les trois principaux partis du Venezuela à la sortie d’une dictature].
Peut-être est-ce la jeunesse, celle qui n’a pas «savouré» le chavisme mais qui souffre des misères du madurisme, qui peut apparaître comme le secteur social le plus dynamique. Ce sont les jeunes, en leur majorité issus des classes moyennes, qui se mettent en tête des mobilisations de la MUD, qui s’affrontent à la police et qui sont les premières victimes de la répression. La droite dirige également la majorité des centres d’étudiants universitaires, qui participent aux mobilisations de l’opposition.
Ce sont toutefois également les jeunes des quartiers populaires qui sortent pour s’affronter à la police, non pas sous le programme et l’idéologie de la droite, mais sous celui de l’absence de perspective, de la faim et du désespoir. Là-bas, la MUD ne domine pas et la colère contre le gouvernement Maduro s’accroît.
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«Si tu ne mets pas le double à la place des arepas [galettes de maïs], il ne te reste que de pures tortillas», se plaint un caraqueño. Il fait référence à la farine des maïs que les Vénézuéliens utilisent pour faire des arepas, l’un des aliments de base. La plainte se fonde sur le fait que les paquets compris dans la bolsa [«sachet»] du CLAP proviennent du Mexique, où le raffinage est plus important. C’est du Mexique que viennent également la majorité des produits du sachet (ou de la boîte, illustrée d’images de Chávez et Maduro).
Les bolsas, remis une fois par mois, comprennent du riz, du lait en poudre, de la farine de maïs, du sucre, des nouilles, de l’huile, de la margarine, du thon et quelques autres produits. Leur prix est subventionné, qui s’élevait à 10’000 bolívares depuis la mise en place du système en 2016, et qui vient d’augmenter à 18’000 (ce qui reste très bas). Pour recevoir les bolsas, il suffit d’être recensé. Chaque logement reçoit une bolsa (peu importe le nombre d’habitants). C’est l’armée qui assure la répartition – aux côtés des conseils municipaux (liés au Partido Socialista Unido de Venezuela, PSUV) – qui se fait porte à porte: un mécanisme de contrôle social phénoménal. Il est habituel d’entendre des plaintes venant des quartiers de l’opposition où le CLAP ne vient pas ou arrive tardivement.
Sans aller bien loin, à Petare, un quartier populaire de 40 kilomètres carrés situés à l’«extrême est» de Caracas, du côté de l’Etat du Miranda, le passage le plus récent du CLAP remonte à trois mois. Dans ce quartier, cela fait pourtant un moment que l’OLP (Operación de Liberación del Pueblo) est présente, un organe de sécurité qui combine la police, la garde nationale et des services de renseignement spécialement dédiés aux quartiers pauvres, qui se déplacent sous capuches, munis de mitrailleuses et accompagnés de chenillettes; ce qui revient à combiner contrôle social et terreur, sous le prétexte de la sécurité des habitants. L’action de l’OLP ne se limite cependant pas aux quartiers où l’opposition est présente, elle stationne surtout là où domine le chavisme. Ils agissent de concert avec les «collectifs», des bandes paramilitaires liées à l’appareil du PSUV qui réalisent le travail sale, complétant dans l’illégalité l’action que les forces de sécurité ne peuvent accomplir légalement.
C’est ce que l’on a vu à La Vega, un quartier peuplé du sud-ouest de Caracas à la longue tradition chaviste, où le retard dans la remise du CLAP en mai s’est transformé en protestation de 12 heures avec des affrontements entre la population et la garde nationale, la police et les OLP. La répression, que l’on montre en dehors du Venezuela dirigée exclusivement contre l’opposition, est une chose dont souffrent quotidiennement les jeunes des quartiers populaires et elle cible également tout conflit qui met en question le gouvernement.
Au cours des derniers mois, la répression s’est abattue autant contre des salariés n’appartenant pas au corps enseignant de l’Université centrale du Venezuela, qu’à des médecins qui protestaient en raison de la pénurie des médicaments ou des lycéens qui sont descendus dans les rues. Les forces de sécurité sont également utilisées pour écraser toute tentative de pillage en raison des pénuries alimentaires, en particulier à l’intérieur du pays. Sur ce plan, l’opposition s’accorde avec Maduro et autorise la répression dans les communes qu’elle gouverne. Lors d’une récente «nuit de furie» à Maracay, qui débuta comme une manifestation de droite et se répandit dans les quartiers humbles sous la forme de pillages, l’opposition de la MUD réclama l’intervention de la garde nationale, alors qu’Henrique Capriles définissait la situation, sur son compte Twitter, de «chaos et d’anarchie».
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«Ici, il n’y a aucune polarisation, ici tout le monde est contre Maduro», me déclare un professeur d’université. L’affirmation est exacte, mais à moitié. Il est vrai que le gouvernement perd sa popularité et cela pas uniquement en raison de la catastrophe économique, mais aussi suite à l’appel à une Assemblée constituante, rejeté actuellement par 65% de la population. Toutefois, d’en haut, la polarisation politique entre le gouvernement la MUD continue de rythmer la vie politique du pays.
Le gouvernement et l’opposition se mesurent dans la rue quotidiennement depuis que, fin mars, le TSJ (Tribunal Suprême de Justice) décida de retirer les attributions de l’Assemblée nationale, au sein de laquelle l’opposition dispose de la majorité. Cette décision allait au-delà du rapport de forces et Maduro dut reculer quelques jours plus tard, mais le «dommage» était déjà fait et l’opposition y vit la possibilité de retourner dans les rues ainsi que d’exiger des élections anticipées.
Maduro n’annonça alors aucune échéance électorale, mais convoqua une Assemblée nationale constituante (ANC) qui finit par devenir son problème principal. Alors qu’il reste moins d’un mois pour que soient élus les constituants (fin juillet), la convocation est boycottée par l’opposition et ne peut compter que sur des candidats du PSUV. La majorité des Vénézuéliens, en outre, ne pense pas que cette assemblée résoudra les problèmes du pays. A cela s’ajoute le fait que la constituante fut appelée par Maduro sans référendum préalable (qu’il aurait probablement perdu), ce qui a engendré un malaise dans des secteurs larges du chavisme qui sont convaincus que l’on s’assied sur a Constitution de 1999, qui stipule qu’une ANC ne peut être convoquée par référendum. [L’opposition a annoncé une participation massive au scrutin informel organisé contre le président Nicolas Maduro dimanche 16 juillet. Le nombre de participant·e·s semble inférieur à ce que la droite escomptait. Un référendum sans valeur légale, mais pensé comme un plébiscite contre le pouvoir chaviste et la convocation d’une Assemblée constituante.]
La personnalité centrale du «chavisme critique» est la procureure générale Luisa Ortega Díaz qui a été érigée en espèce d’héroïne pour l’opposition lorsqu’elle mit en doute, du cœur même du chavisme, la convocation à la constituante, le TSJ et la répression menée par la garde nationale bolivarienne et la police. Inutile de dire que le gouvernement l’a attaquée comme étant une traitre et l’a dénoncée pour «œuvrer en faveur de l’impérialisme états-unien» et qu’il cherche à la destituer. Cet affrontement entre les institutions qui soutiennent Maduro et la procureure générale, qui est soutenue par la droite, est devenu le centre des frictions politiques au cours de tout le mois de juin. Il menace de grimper encore plus à mesure que la date de l’élection à la constituante approche. Ainsi, presque tous les jours, on peut assister à des marches du chavisme en soutien à la constituante et contre la procureure générale, dont nombre d’entre elles partent du Parque Carabobo, où se situe le siège central du Ministère public, où travaille Ortega Díaz.
«Este es el baile de Nicolás, mueve la cabeza de aquí pa’allá. Te lo juro, con Nicolás Maduro el pueblo está seguro, así que dale para adelante, nunca para atrás» [C’est la danse de Nicolás, bouge la tête d’ici par là. Je te jure, avec Nicolás Maduro, le peuple est en sécurité, fais ainsi un pas en avant, jamais en arrière], gronde la procureur depuis le camion des postiers. Après deux mois de mobilisations, l’usure se note autant dans les marches du chavisme que dans celles de l’opposition. A part quelques exceptions, elles ne réunissent déjà plus la multitude que l’on a vue à la mi-avril.
Dans celles du chavisme participent principalement les militants du PSUV, les travailleurs des ministères, de l’entreprise pétrolière PDVSA ainsi que des membres de certaines missions (des éducateurs, du plan au logement, de jeunesse et sport ainsi que de cuisiniers et cuisinières de la patrie).
L’opposition de droite, de son côté, décentralise les actions vers différents points géographiques, mais l’aspect central des marches de l’opposition ne réside pas dans ses participants, qui ne peuvent pas défiler plus d’un ou deux pâtés de maison en raison de la répression, mais de la poignée de jeunes qui s’en trouvent à la tête et qui s’affrontent de manière permanente avec la police et la garde nationale. C’est ce qui leur donne une plus grande visibilité ainsi que la possibilité de dénoncer tous les jours la répression, non seulement à l’intérieur du Venezuela, mais également en direction d’acteurs extérieurs qui exercent également une pression.
Le scénario où la répression succède aux mobilisations s’infiltre dans l’existence de millions de personnes, bien qu’elles ne le souhaitent pas. Au cours des marches, il est habituel que les stations de métro soient fermées et que les bus ne parcourent pas le trajet complet, ce qui fait que de nombreuses personnes perdent des heures à marcher à leur travail. A cette «chaotisation» de la vie quotidienne, s’ajoute une espèce de corralito bancaire [semi-blocage de l’épargne sur les comptes]. Dans la mesure où les distributeurs ne permettent pas des retraits supérieurs à 10’000 bolívares par jour, l’heure du repas de midi est consacrée souvent en un temps mort d’attente à la banque dans l’espoir de retirer un peu plus de liquide au guichet. L’ennui de millions de personnes qui ne participent à aucune marche peut se percevoir dans le climat, mais le malaise croissant envers le gouvernement Maduro ne fraie pas la voie à une meilleure sympathie avec la droite qui, si elle domine le discours d’opposition, est vue par d’amples secteurs comme étant la vieille droite golpista et néolibérale. Selon un rapport récent de la société de consultants Datanalisis, 61,9% des Vénézuéliens se considèrent comme indépendants, alors que 19,8% s’identifient aux partis de droite et 15,1% au PSUV.
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Maduro n’est pas Chávez, c’est une chose qui est évidente pour quiconque au Venezuela. Son gouvernement non seulement est affecté par une crise économique galope dont Chávez vit à peine le début, mais c’est bien une énorme crise politique qui le traverse.
Bien qu’il ait été le gouvernement post-néolibéral le plus «à gauche» de la région, le chavisme n’a jamais modifié la structure pétrolière rentière dont dépend l’économie vénézuélienne et qui est à l’origine de la catastrophe que traverse le pays. Le niveau de dépendance est tel que tous les 100 dollars qui entrent dans le pays, 96 ont un lien avec le pétrole.
Les prix du brut ont chuté du pic de 130 dollars le baril atteint en 2008, avant la crise dite de Lehman-Brothers, pour atteindre 22 dollars en 2016 et remonter à hauteur de 45-46 dollars. Maduro fait aujourd’hui face aux conséquences de la chute internationale des prix du pétrole et, tandis que la pénurie et l’inflation galopent, le gouvernement destine des millions au paiement de la dette extérieure et ferme les yeux devant la fuite monumentale de capitaux.
Il n’y a pas là visage de socialisme ou de révolution, on trouve seulement dans la rue deux bandes qui se battent pour la rente pétrolière. D’un côté, les fonctionnaires corrompus, la (boli)bourgeoisie [de Bolivar, le chavisme s’étant construit comme un régime «bolivarien»] qui a crû sous l’aile de l’Etat ainsi qu’une caste de militaires devenus millionnaires et qui ont gagné un pouvoir politique et économique sans précédents. De l’autre, la vieille droite désespérée de se saisir à nouveau du pétrole et du contrôle étatique, dont le plan est de maintenir la FANB [les forces armées] comme garante de l’ordre et de s’appuyer sur certaines attaques qui ont déjà commencé à traverser le gouvernement Madruo, pour se diriger vers un projet économique ouvertement réactionnaire, antiouvrier et visant à soumettre la souveraineté à l’impérialisme. Cela implique une plus grande dévaluation et plus d’endettement, la libéralisation des prix, la réduction des dépenses publiques, la précarisation de franges entières de travailleurs, le démantèlement et la privatisation du PDVSA ainsi que la livraison des ressources minières et naturelles.
L’économie n’est toutefois pas le seul problème. Maduro est le maillon faible d’un mouvement qui s’est constitué sous le leadership de Chávez comme un bonapartisme soumis de temps à autre au plébiscite afin de faire la démonstration de sa supériorité sur l’opposition de droite. Ce scénario changea en décembre 2015, lorsque la droite remporta la majorité de l’Assemblée nationale, moment au cours duquel Maduro décida de fermer toute possibilité d’appeler à de nouvelles élections.
Car, comme on le sait, un bonapartisme plébiscitaire qui ne peut pas se soumettre au plébiscite revient à rien, raison pour laquelle le madurisme survient actuellement sur la base d’une forte répression de l’Etat (et aussi de type paraétatique), un appareil de parti (PSUV) qui comporte des traits clientélaires prononcés (lorsque l’on en sort, on perd), ainsi que l’usage et l’abus d’une iconographie chaviste forte. Chávez est là, regardant depuis le ciel, et ce n’est pas une métaphore: dans chaque édifice public ou construction du Plan de logement, on aperçoit en son point le plus élevé les yeux de l’ancien président, en tant que «père fondateur» qui apporte la «sécurité» en même temps qu’il contrôle.
«Ici, on ne parle pas mal de Chávez», peut-on lire sur d’énormes panneaux apposés sur les bâtiments publics. C’est également le slogan du programme que mène le vice-président du PSUV, Diosdado Cabello [militaire de carrière]. Ce slogan (sans doute sans le vouloir) contient l’implicite inverse: «ici, oui, on peut parler mal de Maduro», ce qui met à nu dans toute sa faiblesse l’actuel gouvernement.
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Dans le sillage de la crise argentine de 2001, un Hugo Chávez insolent visita le pays et donna une conférence à l’Université des Mères de la Place de mai. Il lui restait encore un long bout de chemin pour être au gouvernement [il y était depuis 1999], mais il parlait déjà, devant un public enthousiaste, de socialisme ainsi que d’une manière «nouvelle et originale» de faire une révolte. Soudainement, il devint sérieux, regarda les présents et dit quelque chose qui ressemblait à ceci: «j’espère seulement, une fois que la dernière heure sera arrivée, que je n’aurais pas à répéter ce que déclara Simón Bolívar lorsqu’il vit l’échec du combat de sa vie. J’espère ne pas avoir à dire: «j’ai labouré la mer», comme le fit le Libertador à la fin de sa vie.
Ironies de l’histoire. Quinze ans plus tard, le gouvernement Maduro démontre, de la plus crue des manières, l’échec absolu des projets nationalistes et populistes bourgeois dans la région.
Aujourd’hui les militaires figurent au centre de toute «sortie politique» pour le Venezuela. Parallèlement, la pression interne et internationale pour aborder une orientation de dialogue vers une transition quelconque se développe avec force. Après 18 ans de chavisme, les travailleurs et le peuple du Venezuela ne disposent pas d’une option progressiste, ni dans l’approfondissement d’un madurisme répressif, ni dans l’irruption des forces armées de pair avec la droite, ni dans une transition vers un gouvernement plus stable dont l’objectif ne peut être autre que de renforcer et d’approfondir les souffrances dont il souffre déjà. (Article publié le 11 juillet 2017 sur le site laizquierdadiario.com; traduction A l’Encontre)
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