Nicaragua. Une «négociation» relancée et un sentiment populaire de méfiance et de rage rentrée

Par notre correspondant au Costa Rica 

1.- Le président états-unien Donald Trump a déclaré lundi 18 février que «les jours du socialisme sont comptés à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua» et qu’«un jour, bientôt, avec l’aide de Dieu, nous verrons ce que le peuple fera à Caracas, Managua et La Havane; et lorsque le Venezuela sera libre, Cuba et le Nicaragua seront libres, cela sera le premier hémisphère libre dans l’histoire humaine. Deux jours plus tard, le conseiller à la sécurité nationale John Bolton ajoutait que «les jours de Daniel Ortega sont comptés». C’est la menace la plus directe de la Maison-Blanche contre le gouvernement d’Ortega.

2.- Dans le cerveau de Daniel Ortega l’idée se fait jour que Trump est dans sa campagne présidentielle et que ce qu’il a dit est du bla-bla pur ou peut-être que µle chien qui aboie ne mord pas». Bien sûr, ce serait une erreur de sa part s’il minimisait la taille des avertissements, même s’il y a eu un défilé d’envoyés dans son bureau au cours des huit derniers mois (Caleb McCarry de la commission du Sénat pour les Affaires étrangères; Carlos Trujillo, représentant permanent des Etats-Unis à l’OEA ; Michael McKinley, qui assure les liens avec «les membres de la carrière diplomatique» pour Mike Pompeo;Julie J. Chung du département d’Etat) qui lui demandaient de faire ce qu’il ne fait pas.

3.- Le Parlement européen a dans l’«arrière-magasin» un projet de résolution dans lequel la majorité des députés demandent à l’Union européenne (UE) d’appliquer des sanctions contre le gouvernement de Daniel Ortega-Rosario Murillo. Le Parlement européen a beaucoup d’influence politique dans le forum des ministres des Affaires étrangères. Le rapport de la visite de délégués de l’UE au Nicaragua conjointement à la vague de répression qui a suivi, avec de nombreuses incarcérations, a eu un impact sur les gouvernements du vieux continent.

4.- La condamnation brutale [en février 2019, avec des peines allant de 159 années à 2010 années d’emprisonnement] de trois dirigeants paysans [Medardo Mairena, Pedro Mena, Luis Orlando] a «contraint» la Maison-Blanche à redoubler ses menaces contre le régime dit sandiniste. L’impact sur la société nicaraguayenne a été un rejet total du régime, une élévation de la conscience d’ensemble et des jugements dénonciateurs déchaînés sur les réseaux sociaux.

5.- Le président Daniel Ortega a décidé de geler les réformes budgétaires cette semaine, même si le temps lui est compté. Les grands hommes d’affaires semblent l’avoir convaincu qu’il «vaut mieux penser mieux», selon ce qui se dit dans les milieux d’affaires. La proposition a déjà été présentée lors de la plénière législative, mais l’approbation du corps de la réforme n’a pas encore commencé.

6.- Des prisonniers ont disparu de prison, des rapports faisant état de passages à tabac de femmes, d’isolement d’autres personnes dans des cellules terribles, d’arrestations d’adolescents à Esteli, de persécutions en entrant dans les maisons, d’arrestation de familles entières. C’est l’atmosphère qui a prévalu dans le pays en une semaine où la police a redoublé de vigilance dans les rues et sur les autoroutes emblématiques des manifestations de 2018. Le régime craint une nouvelle explosion sociale; il se croit mieux préparé à y faire face alors que la société rumine dans son silence sa nouvelle réponse, celle de 2019.

7.- La discussion sur la rencontre du samedi 16 février entre le Président Daniel Ortega et les grands hommes d’affaires se poursuit dans la société à tous les niveaux. On se méfie de ce qui s’est passé, même si l’on accepte généralement la nécessité de relancer le dialogue national: qui l’organise? On ne sait pas. C’est Ortega qui possède le bâton? Qui dans le secteur privé? L’Alliance Civique et l’Eglise travaillent-elles sur ce projet? Le mystère est revenu et cela suscite encore plus de méfiance face à cette idée, ce qui n’implique pas son rejet, mais des conditions mises à la relance d’une négociation [1].

8.- Dans la zone franche de Grenade où se fabriquent des pantalons et des vêtements pour la marque Levis Strauss, 700 parmi les 1200 travailleurs et travailleuses ont été licenciés ; le chiffre de 1200 renvoie à la période de production la plus haute. Les fermetures d’entreprises et les mises à pied se sont poursuivies. Il n’y a pas que les maisons et les immeubles qui sont mis en vente ou louées, mais aussi les entreprises. Le gouvernement a reconnu la perte de 157’923 emplois formels en 2018, même si nous savons que c’est beaucoup plus.

9.- Le gouvernement panaméen a ajouté deux coups durs à deux industries nationales déjà en difficulté: les abattoirs et le transport international de marchandises. Il y a une semaine, le Panama a fermé l’entrée de la viande et du bétail nicaraguayens et a imposé cette semaine des restrictions commerciales temporaires aux transporteurs engagés dans l’activité de fret terrestre du Nicaragua, en guise de mesure de réciprocité. Le gouvernement dit sandiniste n’a pas encore dit s’il a ou non une réponse à cette question.

10.- Millicom International Cellular S.A., sus la marque Tigo en Amérique centrale et en Bolivie ainsi qu’en Colombie, a acquis les activités de la société espagnole (Movistar) Telefonica au Costa Rica, au Panama et au Nicaragua, pour environ 1,65 milliard de dollars. Movistar Nicaragua a annoncé qu’elle maintiendra ses services tels qu’ils ont été mis en place.

11.- Le moment de vérité approche au Venezuela. Le 23 février, personne ne sait ce qui va se passer. Les États-Unis, qui sont plus impliqués dans un transfert, dit massif, d’une l’aide baptisée «humanitaire» à la frontière, et dont l’alliance avec la Colombie est affirmée, préviennent que les jours seront très tendus. Le président Nicolás Maduro se prépare à l’acheminement de cette aide dite humanitaire – qui devrait, d’ailleurs, être analysée dans la durée, soit par rapport aux années précédentes – comme s’il s’agissait d’une invasion militaire. Nous saurons bientôt – mais quand? – sur quoi ce pari complexe va déboucher. (Article envoyé par notre correspondant permanent au Costa Rica, en date du 24 février 2019; traduction A l’Encontre)

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[1] El Pais (International), du 28 février 2019, titre «Ortega libère provisoirement 100 prisonniers politiques le premier jour du dialogue avec l’opposition nicaraguayenne. Le régime sandiniste fait un geste face à la pression interne et à la pression de la communauté internationale. Les membres de la famille demandent la libération de plus de 600 détenus.»

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