Par Wilfredo Miranda Aburto
Les forces de la police nationale et les paramilitaires du régime d’Ortega ont effectué ce samedi 25 août 2018 un raid massif de détentions illégales contre des manifestant·e·s et des leaders universitaires qui voulaient participer à des marches de protestation dans différentes villes du pays. Au moins 32 personnes ont été capturées à Carazo, Matagalpa, León et Managua. Elles ont été transférées dans les prisons d’El Chipote et seulement 20 ont été libérées à l’heure de la clôture de cette édition de Confidencial.
La Coordinadora Universitaria por la Justicia y la Democracia (CUDJ), membre de l’Alianza Cívica por la Justicia y la Democracia (Alliance Civique pour la Justice et la Démocratie), a dénoncé que 20 de ses membres -– dont trois documentaristes – ont été arrêtés à la jonction de San Marcos et Jinotepe, en route vers Granada afin de participer à la marche nationale pour exiger la libération des prisonniers politiques.
Les 20 membres de la CUDJ ont été libérés après des heures de pression des citoyens et de négociations engagées par des organisations de défense des droits de l’homme. Parmi les détenus se trouvaient l’étudiant Enrrieth Martínez, membre de la table du Dialogue national, et un documentariste brésilien.
Cependant, on a appris plus tard que trois autres membres de la CUDJ ont été arrêtés dans la ville de León: Yaritza Mairena, Levis Rugama et Victoria Obando, après la fin d’une autre marche de protestation dans cette ville. Avec eux, quatre autres jeunes du Mouvement du 19 avril ont été emprisonnés.
Les citoyens auto-convoqués de León ont immédiatement protesté en organisant un sit-in massif devant le poste de police. Ils ont exigé la libération des sept jeunes hommes. Face à la pression et à la tension, les prêtres catholiques de León ont servi de médiateurs entre la population et la police. Le père Silvio Selva, curé de l’église San Felipe, a confirmé à Confidencial que les détenus ont été transférés à 18h30 à la Direction de l’assistance judiciaire (DAJ), c’est-à-dire dans les cellules de la prison d’El Chipote, à Managua.
«Ils ont été déportés en un temps record et ils sont accusés de crimes tels que le terrorisme», a déclaré le prêtre à Confidencial.
A Matagalpa, des paramilitaires ont enlevé quatre personnes dans le secteur du parc de Morazán. Les personnes enlevées – et toujours portées disparues – sont Freddy Blandón Alvarado, Gustavo Blandón Rodríguez, Rafael Medina Sequeira et Tatiana Arauz Chamorro, tous âgés de moins de 17 ans.
Pendant son séjour à Managua, le Dr José Antonio Vásquez Mena, 54 ans, a été enlevé par des individus armés. L’enlèvement du médecin a eu lieu dans une cafétéria de la Carretera Masaya, au centre des tensions suscitées par la militarisation de la route Managua-Granada.
Caravane citoyenne attaquée
Les 20 détenus de la CUDJ ont dû emprunter la route de Carazo pour se rendre à Grenade, car dès ce samedi matin, la police nationale a mis en place des barrages routiers au kilomètre 15 de l’autoroute Masaya, au rond-point de Ticuantepe, où ils arrêtaient et séquestraient les véhicules se dirigeant vers le sud.
Le poste de contrôle de police du rond-point de Ticuantepe était le plus surveillé. Environ 70 officiers et policiers antiémeutes y étaient déployés. Quelques-uns d’entre eux sont montés sur le pont piétonnier pour surveiller en direction de Managua, où une caravane de citoyens et citoyennes devait partir à onze heures du matin depuis le rond-point Jean Paul Genie pour rejoindre la marche nationale de Grenade.
Cependant, la caravane a dû se disperser à cause de l’intervention de la police près du centre commercial de Managua, alors qu’elle se dirigeait vers les quartiers est de la capitale. Les policiers, à bord de fourgonnettes, accompagnés de civils armés, dont certains cagoulés, suivaient en parallèle, sur la route, selon le Mouvement des organisateurs auto-convoqués.
Pour éviter d’autres violences, les organisateurs de la caravane ont décidé de ne pas se rendre à Granada. En plus du poste de contrôle du rond-point de Ticuantepe, la police en a installé un autre au kilomètre 21 à Piedra Quemada. Plus loin, au rond-point de Las Flores, il y avait plus de policiers, et en arrivant à Grenade, il y avait un groupe d’hommes FSLN sur des motos, occupant la route.
La marche nationale à Granada était prévue à une heure de l’après-midi. Elle devait partir de l’église de Xalteva. Cependant, la forte présence policière et la contre-marche du régime de Granada ont forcé les citoyens auto-convoqués à déplacer le point de rassemblement de quelques pâtés de maisons vers le centre-ville.
Le rassemblement a été initié par un groupe de citoyens de Nandaime [municipalité du département de Granada], qui ont réussi à contourner le dispositif de contrôle de la police placé sur la route. Ensuite, les citoyens de Tipitapa [une des municipalités du département de Managua] et de Nindirí [municipalité du département de Masaya] se sont joints à eux. Selon l’un des organisateurs de la marche à Granada, mais qui préfère rester anonyme, ils s’attendaient à une concentration plus importante, si le déploiement policier du régime n’avait pas eu cette ampleur en vue de faire obstacle à l’activité de l’opposition.
«Nous avons le droit de protester pacifiquement. Nous voulons la démocratie et la justice. Ils (le gouvernement) ne veulent pas parler et la police antiémeute qui assiègent la ville en sont la preuve», a déclaré l’un des jeunes manifestants de Nandaime.
Bien que la police nationale et des dizaines de policiers antiémeutes aient gardé les rues de Granada pour encadrer les partisans du gouvernement, la pression policière contre la marche bleue et blanche n’a pas cessé. Quand les opposants ont commencé à se réunir, des motocyclistes avec des drapeaux FSLN sont passés sur la rue Xalteva, insultant et faisant des vidéos avec leurs téléphones portables. Quelques minutes plus tard, six voitures de police antiémeutes, avec leurs fusils, se sont placées sur les côtés des manifestants.
La marche nationale a été rejointe par les dirigeants universitaires Valeska Valle, Francisco Martínez et Edwin Carcache. Ils ont dû se rendre dès le vendredi à Granada parce qu’ils avaient prévu le déploiement de la police.
«Nous avons pris des routes différentes depuis Managua. Nous sommes restés dans une maison sûre, parce que nous savions qu’ils allaient essayer de bloquer le passage. Il était vital pour nous d’accompagner nos frères à Granada, parce qu’il n’est pas possible pour le gouvernement occupe la rue. Les rues appartiennent au peuple», a déclaré V. Valle à Confidencial.
Environ 500 personnes ont défilé à Granada. Elles ont parcouru une partie du centre historique de la ville, où l’absence d’activité touristique était révélée par la fermeture des restaurants, des bars et hôtels. Ceux qui étaient ouverts étaient vides. Puis, la marche s’est rendue dans les quartiers de la ville coloniale. Les citoyens sont sortis de chez eux avec des drapeaux pour accueillir les manifestants.
La marche parcourait La Calzada, la rue touristique la plus populaire de Granada, lorsqu’une pluie torrentielle a commencé à tomber. Alors que la contre-marche du gouvernement est restée dans le secteur de Xalteva. Malgré tous les obstacles mis en place par le gouvernement et le siège policier constant, les citoyens ont crié dans les rues de Granada: «Oui, c’est possible, c’est possible!»
La tension a augmenté, presque à la fin de la marche, dans le quartier d’Arroyo Carita, où les barricades étaient plus importantes le mois dernier. Des affrontements verbaux – et quelques accrochages – eurent lieu entre des sympathisants sandinistes et les citoyens. Mais suite à l’intervention des organisateurs de la marche, la dispersion a été décidée. (Article publié dans le quotidien nicaraguayen Confidencial, le 26 août 2018; traduction A l’Encontre)
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