Brésil. La violence a crû depuis que le gouvernement Temer a décrété l’intervention militaire à Rio

Par La Diaria

Huit personnes ont été tuées cette semaine lors d’une opération militaire dans trois favelas au nord de Rio de Janeiro – Alemão, la Penha et la Maré –, qui regroupent 26 communautés dans lesquelles vivent plus de 500’000 personnes. Pour la première fois depuis que le président brésilien, Michel Temer, a décrété, en février 2018, l’intervention militaire dans cet Etat, trois soldats figurent parmi les morts.

L’opération a commencé dans la matinée de lundi [20 août], lorsque 4200 soldats de l’armée brésilienne et 70 policiers sont entrés dans les favelas, avec l’appui de véhicules blindés et d’hélicoptères. Les fonctionnaires ont détruit des barricades et installé des checkpoints pour contrôler les personnes et opérer des fouilles de véhicules à la recherche de personnes ayant des antécédents judiciaires. 70 personnes ont été arrêtées et ont été saisis 554 kg de marihuana, 14 armes à feu et 1045 munitions selon Agência Brasil.

Le secrétaire de Rio de Janeiro à la sécurité, le général Richard Nunes, a regretté la mort des soldats et annoncé sur Twitter que ces actes constituent «un attentat contre la démocratie». A ses yeux, il s’agit là d’une illustration de la façon dont les forces de sécurité «affrontent de manière routinière des criminels dotés d’armes de guerre» dans un «terrain inhospitalier en marge de la loi, de l’ordre et de la citoyenneté.»

Dans un esprit similaire, le ministre du secrétariat du gouvernement du Brésil, Carlos Marun, a fait l’éloge de l’action des militaires qui ont été tués et a indiqué qu’une «guerre est engagée» contre le crime organisé. Le ministre a considéré que les soldats qui sont morts «s’ajoutent aux dizaines d’hommes et de femmes, policiers ou non, qui sont déjà tombés dans la lutte contre des groupes paramilitaires qui ont décidé de réduire en esclavage Rio de Janeiro et qui envisagent de faire de même du reste du Brésil». [Ce genre de déclarations s’inscrivent dans un climat politique où se développent au Brésil les tendances politiques favorables à l’instauration d’un régime autoritaire dans lequel l’armée retrouve une place – Réd.]

La priorité aux actions strictement militaires

Une enquête publiée la semaine dernière par l’Observatoire d’intervention du centre d’études de la sécurité et de la citoyenneté de l’Université Cándido Mendes a révélé que, à la différence de ce que prétendait le gouvernement brésilien, l’intervention militaire dans la sécurité publique de Rio de Janeiro n’a pas fait diminuer les violences.

D’après ce rapport, de fait, le nombre de fusillades dans cet Etat a augmenté de 40% au cours des six mois d’intervention militaire. En outre, le nombre de morts suite aux affrontements avec les forces de sécurité est le plus élevé des 30 dernières années. Entre février et août 2018, 736 personnes sont mortes lors de ces affrontements. En outre, 2617 personnes sont mortes au cours de ce que l’observatoire a qualifié d’«homicides intentionnels».

«A ce rythme, nous terminerons l’année 2018 avec un chiffre pouvant atteindre 1800 personnes tuées lors d’affrontements avec les forces de sécurité. En plus de 30 ans, jamais la police n’avait engendré autant de morts comme résultat de son action», a assuré la coordinatrice générale de l’institution, Silvia Ramos.

Il en résulte, conclut l’observatoire, que la mesure prise par le gouvernement, «au lieu de sauver des vies, a augmenté le nombre de morts». L’intervention n’a pas non plus augmenté la sécurité, a ajouté Ramos, car tous les efforts ont été portés vers «des opérations avec des troupes militaires» sans rien faire «dans le domaine des renseignements».

D’après l’observatoire, dans le cadre du plan stratégique de l’intervention, divulgué récemment au mois de juillet – cinq mois après que le gouvernement a décrété la mesure – 66 mesures ont été envisagées, dont seulement quatre sont destinées à des actions de renseignement. Le reste, a précisé Ramos, est destiné exclusivement à «ce qui suscite l’insécurité, les affrontements et les fusillades». 

Une enquête de l’institut Datafolha, publiée hier, démontre que le soutien des habitants de Rio de Janeiro à la présence des soldats dans les rues a chuté au cours des cinq derniers mois, bien qu’elle reste encore majoritaire. D’après le sondage, le pourcentage de personnes qui soutiennent l’intervention militaire est passé de 76% à 66%, alors que le rejet de cette politique a crû de 20% à 27%.

Le journal Voz das Comunidades, qui se présente comme «des favelas et pour les favelas», a assuré sur son site internet que l’opération se poursuivait hier dans les trois favelas et que les écoles restaient fermées depuis mardi pour des motifs de sécurité. Le journal a dénoncé, entre autres, le fait que les militaires «envahissaient» les maisons de certaines familles afin de «détruire et de voler» leurs biens. Il a également informé que des sacs à dos d’enfants ont été réquisitionnés pour y chercher de la drogue.

Cette information a été confirmée dans une certaine mesure mercredi par le défenseur public de Rio de Janeiro, qui a informé dans un communiqué qu’il menait une enquête à la suite de plusieurs plaintes pour violation des droits humains au cours de l’opération qui a débuté lundi.

Selon cette institution, il a été rapporté des «cas d’irruption dans des maisons par les agents des forces de sécurité, des coups de feu dans des locaux d’institutions sociales, la détention des téléphones portables de suspects ainsi que des plaintes pour agression et torture».

Le défenseur public a également mis en doute le chiffre officiel du nombre de morts et assuré avoir reçu des «plaintes pour le fait que des cadavres ont été dispersés dans la zone boisée de la Maré et que les habitants sont empêchés d’aller les chercher». (Article publié le 24 août par le journal uruguayen La Diaria; traduction A L’Encontre)

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PS: Le 20 août 2018, l’AFP écrivait : «Après des Jeux olympiques de 2016, Rio de Janeiro a été confronté à une spirale incontrôlable de violences alimentées par de grandes difficultés budgétaires et la corruption. L’appel à l’armée en février n’a rien réglé, bien au contraire : les fusillades dans «la ville merveilleuse» ont augmenté de près de 40% depuis, disent des ONG.»

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