Brésil. Les crimes de Lula. Avec des preuves

 Par Sergio Domingues

Lula ne devrait pas être jugé parce qu’il dispose d’un appartement triplex que personne n’a prouvé comme étant le sien. Il y a des choses beaucoup plus graves

Le 13 septembre, Joaci Cunha, professeur à l’Université catholique de Salvador, a présenté une conférence, durant le colloque de l’Instituto Humanitas Unisinos [université située dans la ville de Sao Leopoldo appartenant à la Compagnie de Jésus], centré sur la «financiarisation et ses effets sur la structure agraire brésilienne».

Selon lui, au cours des 50 dernières années, de renforcement de la propriété latifundiste au Brésil s’est développée au cours de périodes principales: durant la dictature militaire de 1964 à 1985 et seulement sous les deux gouvernements du PT [celui de Lula dès 2003, puis de Dilma Rousseff de 2011 à 2016].

Durant la période de 1967 à 1977, les généraux ont accru de 70 millions d’hectares les terres occupées par les grandes propriétaires au Brésil. Pendant les gouvernements Lula, la concentration de la grande propriété a augmenté de 104 millions d’hectares, selon ce qu’a affirmé Joaci Cunha.

Se référant aux données de IPEA (Institut de recherche économique appliquée), Cunha a souligné que les seules exportations du complexe de la culture du soja ont impliqué l’appropriation de 129 milliards de mètres cubes d’eau en 2013. C’est-à-dire un volume équivalant à la consommation annuelle conjointe des populations chinoise et latino-américaine.

Alors que l’agriculture familiale fournit 70% de la production alimentaire et emploie 74% de la force de travail rurale dans le pays. Mais elle reçoit à peine 14% des crédits alloués à l’agriculture et occupe 24% des terres cultivables.

Il y eut des progrès, admet le conférencier, mais ils se résumèrent à des secteurs et à des cas particuliers, en augmentant différenciation socio-économique entre les paysans. L’agriculture familiale a dépassé la production de l’agro-business dans le café, le riz et le maïs. Mais dans d’autres secteurs, 80% des paysans à peine arrivent à obtenir un revenu apte à faire vivre leur famille. Et dans certaines régions, 20% d’entre eux ne génèrent aucun revenu.

Voilà les vrais crimes auxquels Lula et les dirigeants l’entourant devraient répondre devant les tribunaux de l’histoire. Et encore d’autres crimes…

Plus de preuves

En novembre 2006, Lula a affirmé que la question indigène constituait une entrave au développement national.

Cette approche s’est traduite par une politique de dépréciation énorme des causes portées par les indigènes. Par exemple, pour ce qui a trait à l’homologation de leurs terres, les gouvernements du PT ont obtenu des résultats inférieurs à ceux du PSDB [Parti de la social-démocratie brésilienne de Fernando Henrique Cardoso-FHC] : 84 homologations contre 148, selon la Fundaçao nacional do Indio (FUNAI).

L’autre facette de cette politique contribua à l’attribution et la destruction de territoires indigènes pour des grands projets tels que le grand barrage de Belo Monte [voir sur ce site les nombreux articles consacrés entre autres à ce projet] et le Tapajos [complexe hydroélectrique comportant cinq centrales construites sur l’affluent de l’Amazone, le Tapajos, dans l’Etat du Para]. Ces gigantesques constructions faisaient partie du Programme d’accélération de la croissance (PAC), utilisées abondamment par Lula pour choisir et soutenir celle qui lui succédera, Dilma Rousseff.

Mais le plus grave réside dans les chiffres suivants divulgués par le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) : «Ont été documentés 167 assassinats d’indigènes sous le gouvernement du gouvernement FHC de 1995 à 2003, soit une moyenne d’assassinats de 20,8 décès par an. Alors que le gouvernement Lula le nombre est passé à 452 meurtres, 56,5 par année. Par contre, sous le gouvernement Lula, le nombre d’assassinats a passé à 452, c’est-à-dire une moyenne de 56,5 par année : une croissance de 271%. Durant la première année du gouvernement Dilma Rousseff, en 2011, furent comptabilisés par le CIMI 51 assassinats d’indigènes et 57 en 2012. Selon la Commission pastorale de la terre (CPT), il s’ensuit une «moyenne» d’assassinats de 54 par année, proche de la «moyenne» du gouvernement Lula et 260% plus élevée que celle enregistrée sous le gouvernement du PSDB.»

Ces données honteuses sont le produit direct du fait que les gouvernements du PT ont misé sur le complexe de l’agro-business et de l’extractivisme (mines, pétrole) dominé par les géants de ces secteurs.

Ce sont les crimes que Lula a réellement commis lorsqu’il occupait et fréquentait le Palacio del Planalto [le bâtiment présidentiel à Brasilia]. C’est à ces crimes qu’il devrait répondre. Ce sont eux dont il faut se rappeler pour que la lutte afin de faire tomber Michel Temer ne soit jamais confondue avec des mobilisations par le retour du PT au pouvoir. (Article publié dans le Correio da Cidadania, 24 septembre 2016; traduction A l’Encontre)

Sergio Domingues est sociologue et fonctionnaire fédéral

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Lula, l’opération «Lava Jato» et les mesures
de l’«arrangement» Temer

Par Marcela Castaneda

Il ne s’agit pas de faire chœur avec la couverture du magazine Veja qui montre un Lula décapité sur un fond rouge, indiquant qu’il est l’heure pour lui de se retrouver en prison. Je ne m’aligne pas non plus sur un certain anti-pétisme que je considère comme «essentialiste», puisqu’il voit dans le PT (Parti des travailleurs) le «mal majeur», anti-pétisme qui apparaît à la droite comme à la gauche du spectre politique et qui défend la fin immédiate du parti qui a hégémonisé la gauche brésilienne et s’est maintenu aux commandes du gouvernement fédéral depuis 2003, jusqu’à l’épuisement de sa capacité à conférer de la gouvernabilité à l’agancement de partis qui formaient la coalition dans laquelle il s’insérait.

brasil_lulaD’un autre côté, s’il est vrai que le PT n’est par responsable de tous les maux, je comprends toutefois qu’il fasse l’objet de critiques de plus en plus aiguës. Et je continuerai à les montrer, puisque je sais qu’il n’y aura pas le moindre changement ni encore moins la plus petite autocritique. Le PT ne va pas s’éteindre, mais il va perdre du terrain déjà lors les élections municipales. L’élection présidentielle de 2018, qui est déjà en route, va marquer une étape de plus dans le processus de défaite du PT, spécialement si Lula ne parvient [pour des raisons judiciaires] pas à être candidat.

D’un autre côté, j’ai toujours essayé de considérer d’un côté positif l’Opération Lava Jato, en raison du fait que c’est la première fois dans ce pays l’on est en train de condamner des entrepreneurs qui agissent en tant que responsables de firmes qui depuis toujours ont font des affaires avec tous les gouvernements. Mais il ne s’agit pas non plus de défendre l’Opération Lava Jato – dont j’entrevois toute l’ambiguïté à terme – puisque sur le champ politique elle se tourne seulement vers la partie défaite de la coalition qui a gouverné depuis 2003, à savoir sur Lula qui en est l’icône.

Selon moi, l’on assiste à une espèce de fermeture progressive de l’Opération Lava Jato, qui conduit à une «sélectivité» de plus en plus pernicieuse qui joue en faveur de l’arrangement Michel Temer. Il s’agit du changement de l’élément juridique, qui déstabilisait le système politique pourri jusqu’à ce que commence le processus d’impeachment de Dilma Rousseff, mais qui maintenant en vient à être intégré par ce même système d’agencement politique.

En même temps, je ne vois pas comment articuler des formes de mobilisation qui contesteraient les actes et les acteurs du pouvoir judiciaire, permettant ainsi une ouverture possible de l’Opération Lava Jato. Il s’agit de questionner la «sélectivité» de tels acteurs et de leurs actes. La question reste entière et je ne vois pas d’actions qui se proposent pour relever ce défi outre l’indignation individuelle sur tel ou tel réseau social à la Facebook où on ne prend souvent position que pour alimenter son ego.

Cette semaine, en fin de soirée du mardi 20 septembre, le juge Sérgio Moro a accepté l’inculpation intégrale présentée par le Ministère public fédéral (MPF), enclenchant ainsi le processus qui va juger Lula. Je voudrais juste préciser que je ne vais pas défendre Lula, ni ici ni ailleurs, et je pense que cela ne fera pas avancer les choses que de le défendre sur des sites et réseaux sociaux.

Les mobilisations spécifiquement sur la question judiciaire ne seront pas utiles non plus si l’on veut faire pression non pour que Lula soit absous, mais pour que l’Opération Lava Jato soit étendue à d’autres acteurs politiques qui apparaissent dans la documentation même présentée par le MPF.

Cependant, l’option qui est en train de se propager est de créer une clameur ayant comme unique calcul de contrer la menace faite à alternative compétitive d’une gauche fourvoyée dans l’élection présidentielle de 2018. C’est le mot de passe pour la défaite, anticipée ou non. Que Lula s’occupe de sa défense. D’ailleurs, quelqu’un l’a-t-il entendu demander que nous le défendions dans son discours du jeudi 15 septembre?

Pour finir, et de manière brève, voici le plus important: il faut que nous nous demandions si le fait que les projecteurs soient dirigés en ce moment sur Lula ne fait pas que nous arrêtons de parler du juste combat à mener contre les mesures et réformes qui continuent à nous tomber dessus, et si cela n’affaiblira pas (jusqu’à la faire cesser) la mobilisation qui était en train de se former contre le gouvernement Temer, mobilisation qui semblait déjà avoir diminué dimanche dernier à São Paulo, là où elle paraissait pourtant la plus chaude. (Article publié dans Correio da Cidadania le 22 septembre 2016 ; traduction A l’Encontre)

Marcela Castaneda est sociologue et chercheuse auprès de l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro.

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