Entretien avec Marie Lecomte par
Jacques Chastaing (pour A l’Encontre)
Jeacques Chastaing: Tu es la porte-parole des «Licenci’elles». Qu’est-ce que c’est les «Licenci’elles»? Peux-tu le dire en quelques mots?
Marie Lecomte: Ce mouvement est né d’un «plan social» (plan de licenciements) dans l’entreprise des «Trois Suisses» en France, filiale du groupe allemand Otto (siège social à Hambourg), annoncé en décembre 2010.
Le démantèlement de l’entreprise avait commencé deux ans auparavant avec un premier plan social en 2008, mettant au chômage 800 salarié·e·s, principalement des femmes en fermant toutes les plateformes téléphoniques pour délocaliser les emplois en Tunisie, via une structure appelée Mezzo. Le démantèlement pouvait alors continuer ….
En décembre 2010, annonce d’un second plan social: 250 salarié·e·s concernés. Sur ces 250 salarié·e·s, tout le réseau de magasins sera balayé, malgré l’investissement des salariées pour s’adapter, se former, appréhender le virage du e-commerce.
Pourtant les «Trois Suisses» font partis du groupe Otto, un des leaders du e-commerce dans le monde et ce groupe génère d’énormes bénéfices. Nous sommes allés au tribunal pour contester le plan et la veille du jour du procès, en juillet 2011, le patron a retiré son plan. C’était la première fois, dans cette entreprise, que des salariées, par le biais de leur syndicat, relevaient la tête et n’acceptaient pas cette fatalité. Nous n’avions aucune raison d’être licenciées et nous étions déterminées. Mais un second social a été remis en route en septembre 2011, cette fois pour 250 salarié·e·s, dont 150 qui travaillaient dans les boutiques des «Trois Suisses», des femmes. Celui-ci a été validé au 1er janvier 2012.
Le plan du patron était simple: pour faire passer son vaste plan de licenciements, il procédait par étapes : plates-formes téléphoniques puis fermeture des magasins, chose d’autant plus simples que les salariées des magasins étaient des femmes, dispersées sur le territoire, par équipes de 4 ou 5 personnes avec peu de moyens de communication.
J’étais alors en contact avec la CGT; j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé toutes les boutiques pour qu’on ne se laisse pas faire. Et ça a marché. Il y a eu pas mal de répondant. C’est à ce moment que nous avons créé le collectif «Licenci’elles». Le collectif a mené une action aux Prud’hommes avec l’avocat Fiodor Rilov et nous nous sommes réunis à Montreuil (Paris) à 120 sur 150 salariées au total. C’était une vraie réussite, d’autant qu’on venait de toute la France.
A ce moment, il y a eu le plan social dans l’entreprise Samsonite à Hénin-Beaumont où il y avait aussi beaucoup de femmes qui étaient licenciées. Nous nous sommes associées. En mars nous avons rencontré les ouvriers des Goodyear Amiens et leur porte-parole Mickael Wamen. C’était là une entreprise d’hommes, avec une forte expérience de lutte. Ils se battaient, en effet, depuis 2007 contre la fermeture. Ils nous ont beaucoup apporté.
L’objectif du collectif c’était d’unir nos forces et le principe de fonctionnement c’était qu’on ne mettait pas en avant les étiquettes syndicales diverses des uns et des autres, mais que c’était le collectif qui décidait.
Le 1er mai 2012, nous avons décidé de manifester à Paris où nous sommes entrés en contact avec les salariés de Kodak, du Crédit Agricole dans la même situation que nous, puis avec ceux de PSA Aulnay qui fermait. Puis il y a eu Sanofi, Ford… Nous avons regroupé alors près de 20 entreprises.
JC: C’était en pleine campagne électorale des présidentielles…
Marie Lecomte. Oui, il y avait les élections présidentielles et puisque François Hollande disait à ce moment que son «adversaire c’était la finance», nous lui avons proposé de défendre une loi qui interdise les licenciements dans les entreprises qui font des profits.
En juillet 2012, nous avons été 20 entreprises ensemble, un représentant par entreprise, au cabinet du Ministère du redressement productif d’Arnaud Montebourg, au Ministère du travail. Il n’y a eu qu’un sous-fifre pour nous recevoir, mais déjà plus de CRS pour nous accueillir que de militants. Les policiers nous suivaient même dans le métro. Le sous-fifre qui nous a reçus nous a rapidement envoyées bouler en disant que notre projet était trop compliqué à réaliser.
Puis à l’automne 2012, on a participé à la manifestation pour rentrer dans le salon de l’automobile avec bien d’autres. Notre objectif était toujours le même: montrer que si une loi interdisant les licenciements dans les entreprises faisant des profits était mise en place, tous les salarié·e·s qui étaient ce jour-là devant le salon de l’automobile ne seraient pas obligés de se battre contre des multinationales qui engrangent toujours plus de profits et distribuent toujours plus de dividendes au détriment de l’emploi. Mais lors de ce rassemblement, le gouvernement Hollande (gouvernement soi-disant socialiste) avait mis les moyens comme jamais pour nous montrer que nos revendications étaient vaines. Des bataillons de CRS nous attendaient, nous avons été violemment gazé avec des lacrymogènes.
Cependant le collectif grossissait rapidement. A ce moment s’étaient associés à nous, ceux de Virgin, d’Haribo, de Continental, les Fralib, de la Filpac et d’autres encore.
Nous avons organisé une réunion à la Bourse du travail à Paris où nous étions 60 entreprises représentées, toutes à subir des plans sociaux, des fermetures ou des licenciements. Et nous voulions agir ensemble, pas chacun dans notre coin.
Mais ce succès a entraîné des difficultés.
Pour la première fois, des militants ont tenu à mettre en avant leur étiquette syndicale et l’intérêt de leur boutique plutôt que celui du collectif. Le groupe n’a pas résisté aux querelles internes que ça a générées.
Et le premier essai des «Licenci’elles» s’est arrêté là. Mais l’expérience n’était pas perdue.
JC. Que veux-tu dire ?
Marie Lecomte. D’abord un petit détour juridique.
En juillet 2016, nous avons gagné un procès important contre notre employeur qui fait reconnaître la maison mère, Otto, en co-responsabilité.
Cela signifie que ce n’est pas que l’entreprise «Trois Suisses» qui est reconnue responsable de nos licenciements ,mais aussi la maison mère. Suite à notre combat, les «Trois Suisses» avaient été condamnés à nous payer des indemnités, qui se sont montées, de 20’000 à 90’000 euros suivant les salarié·e·s. Un jugement en septembre 2013, reconduit en appel en 2014, avait en effet reconnu que le plan social des « Trois Suisses» était «nul», que les indemnités étaient insuffisantes… Le jugement de 2016 confirme tout cela et rajoute qu’Otto nous doit à son tour des indemnités.
C’est très important. Cela signifie que les multinationales qui font fermer des entreprises, mais sans en prendre la responsabilité juridique, peuvent être poursuivies et condamnées. En effet, elles se débrouillent le plus souvent pour faire fermer des entreprises en les présentant en difficulté; mais ce ne sont que des manipulations comptables internes au groupe alors que la maison mère se porte très bien. C’est important parce que ça devrait faire jurisprudence et s’étendre à tous les salarié·e·s.
JC. Sauf si la loi El Khomry est appliquée…
Marie Lecomte. Oui, en effet, sauf si l’application de la loi El Khomry du gouvernement PS que le parlement a voté cet été venait à balayer tout ça… et bien d’autres choses. Car avec cette loi, c’est tout le code du travail français qui s’effondre.
C’est en ce sens-là aussi que l’expérience n’est pas perdue non plus du point de vue militant.
C’est peut-être encore plus important dans cette période actuelle autrement plus dure pour les salarié·e·s qu’en 2012/2013. Dans cette période, où le Code du travail va être détruit par la loi El Khomry malgré quatre mois de grèves et manifestations, les confédérations syndicales ne mènent pas un combat à la hauteur des attaques. Il y a eu pourtant une nouvelle manifestation le 15 septembre suffisamment réussie pour témoigner que les militant·e·s et les salarié·e·s non pas baissé les bras. Cependant, malgré cette réussite, les confédérations syndicales ne donnent pas de suite.
Mais pour moi, la suite est donnée par les militants de Goodyear; ces militants qui ont une longue expérience de lutte, avaient déjà joué un rôle très important dans le collectif «Licenci’elles». Or, huit d’entre eux ont été condamnés en janvier 2016 à 9 mois de prison ferme pour avoir défendu leur emploi lorsque leur entreprise (qui fait des profits) a décidé de fermer leur usine d’Amiens. La justice, en fait le gouvernement «socialiste», leur reproche d’avoir «séquestré» deux cadres durant une trentaine d’heures. Ils passent en cour d’appel les 19 et 20 octobre à Amiens.
Cette condamnation, une première dans la cinquième république, a suscité une forte émotion dans le pays. Tout le monde a compris que dans cette période où le patronat représenté par le gouvernement PS cherche à démolir tous les acquis sociaux et juridiques du monde du travail, il lui faut s’attaquer aussi aux libertés ouvrières de faire grève, manifester, s’exprimer… et pour ça, intimider tous ceux qui veulent relever la tête.
Mais les militants de Goodyear ne se sont pas laissé faire. Depuis janvier 2016, ils ont multiplié les déplacements et les meetings avec un succès indéniable. Pour obtenir leur relaxe, ils appellent à deux journées nationales de mobilisation les 19 et 20 octobre à Amiens, les jours de leur procès en appel. Mais ils font aussi beaucoup plus.
Lors des manifestations de ce printemps contre la loi El Khomry, des centaines de jeunes manifestants et de syndicalistes ont été arrêtés placés en garde à vue et sont poursuivis en justice. Plus de 30 sont déjà condamnés à de la prison ferme, plus de 200 à de la prison avec sursis et des centaines d’autres procès vont avoir lieu dans la période à venir.
Or les militants Goodyear appellent à faire des 19 et 20 octobre à Amiens deux journées de mobilisation pour la relaxe ou l’arrêt des poursuites contre tous ces jeunes manifestants et syndicalistes, ou d’autres arrêtés auparavant comme déjà des syndicalistes mais aussi des écologistes, des zadistes ou des migrants… C’est important, car c’est la première réelle tentative de coordonner l’action de toutes ces victimes de la répression avec une possible efficacité nationale.
Et puis, leur objectif est de ne pas séparer le combat contre la répression et celui contre la loi El Khomry; les militants Goodyear expliquent à juste titre que c’est le même combat. Enfin, victimes eux-mêmes d’un plan social, ils s’affirment au service de toutes les victimes actuelles des plans sociaux, plus d’une centaine en cette rentrée en France avec 40’000 suppressions d’emplois et leur proposent une défense collective, juridique comme sur le terrain des luttes.
Pour faire converger tous ces combats, ils proposent un «village des luttes» à Amiens et de faire du 19 octobre au soir, avec l’aide de «Nuit debout», un vaste «Relaxe debout» national pour l’arrêt des poursuites et la relaxe de tous les condamnés, ouvrant à la représentation de toutes les luttes et à leur convergence par-delà les étiquettes syndicales et politiques.
«Licenci’elles» appelle bien sûr à ces deux journées des 19 et 20 octobre qui vont être si importantes pour l’avenir du mouvement social en France, mais aussi, je pense au-delà, quand on voit combien les attaques et les reculs sont importants dans toute l’Europe. (28 septembre 2016)
______
Pour prendre contact avec les Goodyear, s’informer de la mobilisation et faire remonter vos initiatives pour les 19 et 20 octobre : wamenmickael@free.fr
*****
Communiqué commun de la CGT, de l’Union départementale de la Somme, de la Fédération CGT FNIC et du syndicat CGT Goodyear
Jeudi 29 septembre 2016
RELAXE POUR LES 8 SYNDICALISTES DE GOODYEAR
Journée de mobilisation et de grève, les 19 et 20 octobre 2016
Les 19 et 20 octobre prochains, 8 militants CGT de GOODYEAR sont convoqués devant la Cour d’Appel d’Amiens. Ils ont été condamnés à 24 mois de prison dont 9 mois fermes assortis d’une mise à l’épreuve de 5 ans pour avoir défendu leurs emplois et ceux de leurs collègues.
Cette procédure judiciaire a été enclenchée par le Procureur de la République d’Amiens alors même que la direction de Goodyear avait retiré sa plainte.
Le gouvernement porte une forte responsabilité dans la criminalisation de l’action syndicale. Cela confirme nos craintes depuis la promulgation de l’état d’urgence, sur le respect des libertés individuelles et collectives fondamentales.
La longue liste des militants de la CGT convoqués devant les tribunaux est dramatique. Aucun citoyen attaché aux valeurs de la République ne peut accepter la criminalisation de l’activité syndicale notamment à l’heure où la financiarisation de l’économie ne cesse d’attaquer de plein fouet les conditions de travail et de vie au travail de la population tant en France qu’au niveau mondial.
Ce sont les fondements mêmes de notre démocratie qui sont atteints lorsque les libertés syndicales sont attaquées avec une telle violence.
Face à cette volonté clairement affichée de criminalisation des militants syndicaux, la CGT invite l’ensemble de ses organisations à continuer de prendre les différentes initiatives permettant d’assurer la plus large mobilisation possible pour les 19 et 20 octobre 2016 à Amiens.
Comme elle l’a déjà annoncé, la CGT a décidé de faire de la journée du 19 octobre un temps fort de sa campagne pour les libertés syndicales. C’est pourquoi elle rappelle la nécessité d’être le plus nombreux possible devant le tribunal d’Amiens pour exprimer un soutien aux 8 de Goodyear mais aussi à l’ensemble des militants concernés par ces procédures judiciaires scandaleuses et indignes d’une démocratie.
Montreuil, le 29 septembre
*****
OCTOBRE 1906 CHARTE D’AMIENS …….
OCTOBRE 2016 AMIENS CAPITALE DE LA LUTTE !
Toutes les informations en cliquant sur le le lien:
Soyez le premier à commenter