Brésil-Débat. Une appréciation sur le paquet de Flavio Dino censée encadrer un débat sur la sécurité nationale et la place des militaires – Henrique Canary (São Paulo)

«Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Flavio Dino [ex-membre du PT, puis du PCdoB jusqu’en 2021 et depuis lors membre du PSB, sénateur de Maranhão], a présenté jeudi 26 janvier au président Lula une première liste de propositions visant à entraver les initiatives de coup d’Etat et les attaques contre l’Etat de droit démocratique. L’initiative a été baptisée «Paquet de démocratie» et devrait inclure au moins une Proposition d’amendement constitutionnel (PEC-Proposta de Emenda Constitucional), deux Projets de loi (PL-Projeto de Lei) et une Mesure provisoire (MP-Medida Provisória).

En ce qui concerne la PEC, l’idée est de créer une Garde nationale permanente pour remplacer la Force nationale de sécurité publique [FNSP, créée en 2004 sous la présidence Lula, dont le siège est à Brasilia], qui aujourd’hui n’est activée que dans des cas particuliers de menace à la sécurité de l’ordre public. Il est proposé que la nouvelle Garde nationale protège les bâtiments publics fédéraux à Brasilia [ce qu’elle n’a pas initialement fait lors de l’attaque bolsonariste contre les institutions de la capitale fédérale – réd. voir note 1] et intervienne dans le cadre d’opérations spéciales dans les terres indigènes, les zones frontalières, les zones de conservation [entre autres dans l’Amazonie] et soutienne la sécurité des Etats.

Dans le cas de la MP, le projet, selon Flavio Dino, est de pénaliser les comportements sur internet qui constituent une attaque contre l’Etat de droit démocratique, avec la responsabilisation des plateformes internet qui ne retirent pas les publications terroristes et anti-démocratiques.

Les deux PL visent à renforcer l’expropriation des avoirs pour ceux qui participent à des crimes contre l’Etat de droit démocratique. Cette confiscation d’actifs concernerait les particuliers et les entreprises.

Il est certain que quelque chose doit être fait contre les menaces constantes de coup d’Etat. Les propositions de Flavio Dino constituent un premier pas qui devrait être largement discuté dans la société. Mais cela doit se faire de manière démocratique, avec la participation des mouvements sociaux et des représentants de la société civile organisée. La simple augmentation ou le renforcement de l’appareil répressif ne semble pas être la solution la plus efficace. Il est douteux, par exemple, que le problème réside dans l’inexistence d’une Garde nationale, qui en fait ne serait pas qualitativement différente de la Force nationale, déjà existante dans le cadre juridique brésilien. En réalité, l’Etat brésilien ne pèche généralement pas par l’absence de répression et d’appareils de sécurité. Le problème est de savoir qui commande ces appareils et quelle idéologie est diffusée en leur sein et utilisée pour former leurs effectifs.

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En outre, il est nécessaire de signaler une faiblesse importante des propositions du ministre de la Justice. Elle saute aux yeux: elles n’abordent à aucun moment le problème des militaires.

Or, dans l’histoire du Brésil, les menaces contre la démocratie ont toujours eu comme origine les mêmes acteurs: les militaires. Un «Paquet de démocratie» qui maintient intact le pouvoir militaire dans les affaires intérieures ne résoudra pas le problème de la protection de la démocratie [et des droits démocratiques – réd.]. Le renforcement des mécanismes de répression, si nécessaire, doit tenir compte de la menace militaire. Comme le Brésil est le Brésil, la caste militaire, corporatiste et privilégiée, avec peu de travail à faire et beaucoup de temps libre, s’est toujours sentie comme une sorte de «pouvoir modérateur», en marge et au-dessus des trois autres pouvoirs [exécutif, législatif, judiciaire]. Cela a abouti à des aberrations politiques et juridiques, comme le fameux article 142 de la Constitution, qui attribue aux forces armées la fonction de garantir l’ordre public sur le territoire national.

Un véritable paquet anti-golpiste doit éliminer ces dérives, consolider une fois pour toutes le commandement civil des Forces armées et limiter leurs fonctions à la défense de la souveraineté nationale contre les menaces extérieures. Il faut en finir une fois pour toutes avec la figure de «l’ennemi intérieur», si fréquente dans les discours et les abécédaires militaires. Ce narratif ne sert qu’à faire combattre les forces armées – de manière déguisée ou non – contre leur propre peuple.

Une révision rigoureuse du programme d’enseignement dans les académies militaires est nécessaire. Les différents coups d’Etat imposés par les Forces armées à travers l’histoire doivent être étudiés par les cadets pour ce qu’ils étaient : des coups d’État antinationaux qui n’ont apporté que mort, torture et souffrance.

Certaines personnes pensent qu’une telle réforme des Forces armées affaiblirait le pays, mais ce n’est pas vrai. L’armée allemande a également été dénazifiée après la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’a pas affaibli l’Allemagne. Une armée forte est celle qui sait que sa place est aux côtés du peuple, et non contre lui.

Notre armée est faible et pitoyable non seulement parce qu’elle est censée manquer d’équipement, bien que cela soit également vrai, mais surtout parce qu’elle est détachée de la vie réelle de la société. Un véritable «Paquet de démocratie» ne mérite ce nom que s’il modifie profondément cette réalité, en rapprochant l’armée des personnes qu’elle est censée défendre.

Nous espérons que les mesures proposées par Flávio Dino ne sont que le début d’un débat large et urgent à cet égard.» (Article publie sur le site Esquerda online, animé par le courant Resistencia du PSOL, le 27 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Lula, le 17 janvier, a «renvoyé» 40 militaires qui avaient pour charge de surveiller sa résidence officielle (Palais de l’Alvorada). De plus, il a limogé le général Julio César de Arruda, qui était en fonction pendant la période de transition et qui n’est donc plus le chef d’état-major de l’armée de terre. Il a été remplacé par le général Tomás Miguel Ribeiro Paiva, commandant de la région sud-est. La période bolsonariste a renforcé la présence des militaires – d’active et à la retraite – dans diverses institutions. La question de la jonction entre l’appareil des Forces armées et des secteurs clés de l’économie agro-industrielle, entre autres, restera un élément difficile à gérer, pour le moins, par le nouveau gouvernement présidé par Lula. A cela s’ajouteront les difficultés socio-économiques. Cet ensemble constitue des défis complexes et ardus pour une orientation des forces sociales et politiques qui cherchent à répondre effectivement aux besoins urgents multiples de la majorité populaire. (Réd. A l’Encontre)

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