Par Eric Nepomuceno (Rio de Janeiro)
Plus que de l’inquiétude, l’humanité vit des jours de profonde angoisse à cause de ce qui se passe en Ukraine. Il est impossible de prévoir comment tout cela va se terminer. La seule chose prévisible est que, quoi qu’il arrive, cela finira mal. Le contexte ne sera plus jamais le même. Il n’y a jamais eu une telle tension depuis la crise entre Washington et Moscou en 1962, lorsque les Soviétiques ont installé des bases militaires à Cuba.
Le Brésil n’est pas à l’abri de ce qui se passe de l’autre côté de la planète. Les attitudes folles et ineptes du déséquilibré d’ultra-droite Jair Bolsonaro, le pire président de l’histoire, sur l’Ukraine [1] ne font que consolider l’isolement du pays sur la scène internationale.
Mais le fait que nous soyons désormais des parias mondiaux ne nous permet pas d’ignorer ce qui se passe dans le Brésil que Bolsonaro n’a de cesse de déchirer à chaque minute de chaque heure de sa vie.
Une étude récemment publiée par l’ONG Anti-Defamation League montre que le Brésil est actuellement le pays où le nombre de groupes d’extrême droite augmente le plus. Depuis 2018, année où Bolsonaro a été élu président, le nombre de ces groupes a augmenté de 300%, contre une croissance de 10% dans les pays d’Europe centrale et orientale.
Selon l’Observatoire de l’extrême droite, un groupe qui réunit des universitaires de dix universités brésiliennes et étrangères, ces cellules extrémistes sont concentrées dans les Etats de São Paulo, le plus riche et le plus peuplé du pays, de Rio de Janeiro, de Santa Catarina (où la popularité de Bolsonaro reste intouchable) et de Rio Grande do Sul.
Cela représente pas moins de 530 cellules. Une étude coordonnée par la professeure Adriana Dias, de la très prestigieuse Université de Campinas (Unicamp) à l’intérieur de São Paulo, a réparti ces groupes en différentes catégories, allant des hitlériens/nazis à l’ultranationalisme blanc, en passant par le catholicisme intégriste et le fascisme.
Plusieurs études menées au Brésil et à l’étranger indiquent clairement que depuis 2018, le pays est devenu la scène où l’extrême droite se développe le plus, et que le phénomène est directement lié à l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.
A l’heure actuelle, les sondages relatifs aux élections d’octobre indiquent clairement qu’au moins 15% des personnes interrogées sont d’extrême droite, et ce non seulement pour avoir déclaré leur vote irréductible pour Bolsonaro, mais aussi pour leurs observations relatives à ce qu’elles attendent au cas où il parviendrait à se faire réélire.
La croissance de ceux qui sont sortis de leur réserve pour s’affirmer des conservateurs clairement extrémistes a commencé plus tôt, à la veille du coup d’Etat institutionnel qui a chassé la présidente Dilma Rousseff en août 2016. Mais ce mouvement était encore timide et limité.
Déjà lors de la campagne de 2018, avec des déclarations racistes, homophobes et clairement extrémistes, Bolsonaro a accordé une sorte blanc-seing à ces groupes pour sortir au grand jour. Et ces regroupements se développent à grande vitesse, principalement grâce aux médias sociaux.
Il est facile de constater cette croissance ainsi que l’expansion des contacts avec les groupes du monde entier, notamment en Pologne et en Hongrie, mais aussi en Espagne et au Portugal.
Les universitaires qui étudient le phénomène affirment que l’extrême droite se consolide au Brésil, et que la plupart d’entre eux tentent de se rallier à Bolsonaro, tout en renforçant leurs liens à l’étranger.
Même si le président actuel est battu dans les urnes en octobre, comme l’indiquent les sondages à l’unisson, rien ne permet de penser que cette extrême droite perdra du poids et de l’espace. Au contraire, elle pourrait devenir plus radicale et plus active.
A cette fin, ils utilisent largement le réseau social Telegram, qui compte environ 50 millions d’utilisateurs dans le monde et n’exerce aucun contrôle sur ce qui est publié et diffusé. Leur action a une influence particulière sur la jeunesse brésilienne.
Dans le cas spécifique de Rio de Janeiro, le scénario devient particulièrement inquiétant. Il existe des signes clairs de rapprochement entre les groupes nazis et les «milices», des bandes de tueurs à gages composées de policiers ou d’anciens policiers qui contrôlent une part importante du commerce de la drogue.
Si l’on se souvient que depuis que Jair Bolsonaro est devenu président, il a élargi l’accès aux armes d’une manière sans précédent, y compris celles qui étaient auparavant limitées aux forces armées, il y a de plus en plus de raisons de s’inquiéter sérieusement.
Et rien n’indique que ce mouvement, qui, il faut le répéter, se développe davantage au Brésil que partout ailleurs sur la planète, perd de sa force. Pauvre pays, mon pays. (Article publié sur le site du quotidien argentin Página 12, le 7 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] A diverses occasions, Bolsonaro a déclaré sa «neutralité» face au «conflit» et a écarté l’idée de «condamner» l’invasion de l’Ukraine. Le 16 février 2022, Bolsonaro a tenu une «réunion exceptionnelle» avec Poutine à Moscou, qui donna suite à une conférence de presse. Il y affirma partager «des valeurs communes» avec son homologue. (Réd.)
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