RDC. Un vote géographiquement divisé? Quel sera le débouché?

Un bureau de vote à Kinshasa

Par Colette Braeckman

A minuit pile, des explosions en chaîne ont secoué Kinshasa. Jusque dans le jardin de nos amis, des flammèches retombaient et il a fallu ramener les enfants à l’intérieur. Puis Patrick, le fils du maître de maison s’y est mis à son tour. Sur un tas de bois, il a disposé les explosifs puis, applaudi par les gamins, il a, lui aussi, jeté l’allumette et le paisible quartier de Ma Campagne s’est illuminé. Devant nous, une multitude de feux d’artifice enflammaient la ville, des corolles rouges et vertes se croisaient dans le ciel. «Jamais nous n’avons vu autant de feux, autant de pétards», s’étonnait Patrick tandis que son père qui avait connu Mobutu, puis Kabila père et aussi Kabila fils, qui avait traversé les guerres du Kivu et la ville en état d’alerte, se réjouissait: «Les gens sont soulagés, les élections sont derrière nous, j’espère que le plus dur est passé…» Abolissant soudain des semaines sinon des années de tension, tout Kinshasa a fait la fête et dès le lendemain du scrutin de dimanche, tout le monde s’était affairé à faire quelques courses afin de fêter dignement une nouvelle année, qui, forcément, devrait apporter le changement.

Les seuls à n’avoir pas dormi sont les présidents et les assesseurs des bureaux de vote. Mardi après-midi, ils scellaient encore des plis destinés à la CENI (commission électorale indépendante, NDLR), contenant les bulletins de vote individuels qui avaient été déposés dans l’urne et dûment triés par la suite.

Dans les écoles de la ville, des curieux passaient devant les portes des salles de classe, déchiffrant les feuillets crachés par la machine à voter et épinglés avec soin, relevant les voix obtenues par chaque candidat aux élections présidentielle, nationale et provinciale. Bien souvent, tandis que la plupart des curieux se contentaient de photographier les résultats, les plus impatients arrachaient les feuillets punaisés et les emmenaient comme des trophées, ce qui obligeait les enseignants recrutés par la CENI à recopier les résultats à la craie sur les tableaux noirs de leurs classes respectives.

Plusieurs évidences se dégagent de notre périple qui nous a menés à travers Kinshasa, depuis le quartier chic de Lukunga jusqu’au fief de Félix Tshisekedi à Limete en passant par Lingwala, Kasavubu, Bandalunwa…

La première surprise, c’est le taux de participation relativement faible: alors que chaque bureau de vote était programmé pour accueillir 660 électeurs, la moyenne des votants a rarement dépassé les 400 personnes. Les équipes de la CENI, à pied d’œuvre depuis 6 heures du matin incriminent les fortes pluies qui, en début de matinée, ont dissuadé les Kinois de se déplacer. Ils accusent aussi l’affluence sur le coup de midi, lorsque tout le monde s’est mis en route en même temps et soulignent le caractère inflexible de la programmation des opérations: les machines avaient onze heures d’autonomie et, mises en route à 6 heures du matin, elles devaient obligatoirement être éteintes à 17 heures, ce qui pénalisa les derniers arrivés. Dans certains bureaux, comme à Limete, les présidents firent preuve de compréhension: les machines n’ayant fonctionné qu’après 15 heures, les opérations se sont poursuivies jusqu’à minuit et finalement tout le monde a pu voter.

Deuxième constat: les machines coréennes, diabolisées jusqu’à la veille du vote, se sont finalement révélées assez performantes, chaque opération de vote ne prenant qu’une ou deux minutes en moyenne tandis que les «vieilles mamans analphabètes» dont l’opposition se souciait tant réussissaient l’épreuve en sollicitant les services d’un autre électeur et en passant le temps qu’il fallait dans l’isoloir pour en ressortir triomphalement, brandissant un bulletin dûment rempli.

Fayulu roi de Kinshasa

Troisième surprise, dans la capitale en tout cas: dans tous les bureaux de vote que nous avons visités, y compris à Limete le fief de Félix Tshisekedi, Martin Fayulu, le candidat de Lamuka est arrivé en tête. Sur chaque PV de vote des chiffres concordants s’alignaient: entre 150 et 200 voix pour Fayulu, entre 50 et 100 pour Tshisekedi tandis que Shadary Ramazani arrivait chaque fois bon troisième, mais avec plusieurs dizaines de voix tout de même tandis que les autres candidats à l’élection présidentielle ne glanaient qu’un ou deux suffrages, dans le meilleur des cas.

Quant aux élections des députés, nationaux ou provinciaux, elles pourraient réserver des surprises: c’est ainsi que l’ami Steve qui nous accompagne n’en revient pas d’avoir recueilli 600 voix dans la zone très populaire de la Tshangu. Son explication est simple: «Alors que j’étais conseiller technique dans le domaine agricole de Bukanga Lonzo (un méga projet aujourd’hui pratiquement en faillite, NDLR) j’ai engagé beaucoup de travailleurs originaires du Bandundu mais qui vivaient à Kinshasa et d’office, ils ont fait campagne pour moi.» Sans moyen, sans affiche, Steve s’est retrouvé avec un beau paquet de voix, au bénéfice d’une petite formation membre de la coalition Lamuka et que soutient Moïse Katumbi. Il n’est cependant pas totalement rassuré sur son sort: «Au sein du parti, un ténor peut avoir envie de ravir mon siège et m’obliger, au nom de la discipline, à le lui céder…»

Autres constats, sur lesquels insistent nos guides, cependant tous acquis à Martin Fayulu: «Kinshasa, c’est un paquet de voix et la capitale a trouvé son leader. Mais elle ne représente pas tout le pays et les campagnes, que Shadary ratisse consciencieusement depuis des mois, pourraient réserver des surprises: cet homme, mieux que les politiciens de la ville, connaît la territoriale et il n’a rien laissé au hasard…»

L’opposition a été prise de court

À parcourir la ville, à écouter les informations qui viennent de l’intérieur du pays, un constat s’impose: des millions de Congolais ont voté pour le changement, mais ce vote s’est porté sur une opposition divisée, qui a échoué à proposer un candidat unique qui l’aurait sans doute emporté haut la main. Et surtout, ayant longtemps misé sur un nouveau report du scrutin, voire sur une «transition sans Kabila» ou un nouveau dialogue qui aurait remis tout le monde «autour de la table» sinon autour du gâteau, l’opposition a fini par être prise de court. Les moyens ont manqué, car les fonds de Moïse Katumbi, qui a largement soutenu Martin Fayulu, ne sont pas inépuisables, pas plus que ceux de Jean-Pierre Bemba et les militants disponibles ont fait défaut également. Même si les observateurs étaient présents dans presque tous les bureaux de vote, les témoins des FCC, la coalition soutenant Shadary, étaient nettement plus nombreux et mieux pourvus, même sur le plan des indemnités journalières et des casse-croûte! Or les PV produits par chaque bureau sont signés par les témoins des partis politiques qui doivent se mettre d’accord sur un comptage commun. En cas de contestation, seuls ces PV seront pris en compte et, avec un million de témoins à travers le pays, les FCC contrôlent sans aucun doute le processus de consolidation des votes. Quant aux observateurs, nationaux ou internationaux, s’ils sont nombreux et vigilants, ils n’ont cependant pas de force délibérative.

Autrement dit, même si elle a bénéficié du soutien d’un électorat acquis au changement, l’opposition s’est trouvée confrontée à la coalition de la majorité présidentielle organisée de longue date, avec l’efficacité d’une machine de guerre, présente sur tout le territoire. «Nous réalisons trop tard à quel point, comme le chat et la souris, nous avons peut-être été piégés, sans qu’il soit même nécessaire d’enfreindre la loi», murmure Frank, qui promet de retenir la leçon… (Article publié par Colette Braeckman, grande reporter pour le quotidien Le Soir et qui tient un blog régulier, en particulier sur la situation en RDC)

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