Suisse. Initiative du PSS sur l’assurance maladie: 100% de com. Usine à gaz et tuyaux percés!

Congrès du PS Suisse du 25 octobre 2025 à Sursee (Lucerne).

Par Jean-François Marquis

Le 25 octobre, le Congrès du Parti socialiste suisse (PSS) a décidé, selon la recommandation du Conseil du Parti, de lancer une initiative au sujet du financement de l’assurance maladie obligatoire, intitulée «rabais de prime pour renforcer le pouvoir d’achat». L’objectif affiché: «soulager 85% de la population» en demandant à «celles et ceux qui disposent d’un revenu plus élevé [de] contribu[er] davantage». Que prévoit cette initiative?

Premièrement, elle dispose que les jeunes de moins de 18 ans sont exonérés de prime. Deuxièmement, elle prévoit que la Confédération fixe des «suppléments et des rabais de prime». Ces suppléments et rabais de primes doivent être établis de manière que «85 % des ménages aient droit à un rabais». Voilà pour l’essentiel.

L’initiative du PSS ajoute ainsi une couche supplémentaire au système actuel déjà très compliqué de financement de l’assurance maladie: aux primes par tête (couche 1) et aux réductions individuelles de primes (couche 2) s’ajouteraient des rabais ou des suppléments (couche 3). Une usine à gaz.

Cela tombe bien, car le contenu de l’initiative est gazeux. Quel serait le montant de ces rabais ou de ces suppléments? A quel seuil de revenu passerait-on d’un rabais à un supplément? Comment sera géré l’effet de seuil? Toutes ces questions, essentielles, sont déléguées au Conseil fédéral et au Parlement, chargés de mettre en œuvre l’initiative dans un délai de deux ans.

On vit actuellement en direct ce que signifie la «mise en œuvre» par les autorités fédérales d’une initiative formulée en termes généraux, celle pour des soins infirmiers forts adoptée en 2021 [voir à ce sujet l’article publié le 6 septembre 2024]. Quatre ans plus tard, la proposition de loi du Conseil fédéral est vide et tout indique que le texte qui sortira des Chambres sera pire encore. Mais néanmoins c’est la voie retenue par le PSS pour apporter une réponse au problème du financement de l’assurance maladie!

Citée par la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) du 22 octobre, la co-présidente du PSS, Mattea Meyer, donne deux exemples pour concrétiser les objectifs visés par le PSS. Une personne seule avec un revenu annuel de 60’000 francs devrait pouvoir compter avec un rabais pouvant atteindre 2400 francs par an. Rapporté à une prime moyenne de 393 francs par mois en 2026, cela représente une réduction de presque 50%. En 2021, 75% des contribuables vivant seuls disposaient d’un revenu imposable ne dépassant pas 59’000 francs. De l’autre côté, le supplément payé par les 15% des ménages avec les plus hauts revenus devrait être établi de manière que , «avec la prime maladie, il ne représente en aucun cas plus de 5% du revenu». De plus, un plafond devrait empêcher que ce supplément ne soit trop élevé pour les personnes avec de très hauts revenus. «Par exemple, le chef de l’UBS, Sergio Ermotti, qui a un revenu [annuel] se montant à presque 15 millions de francs, devrait peut-être payer un supplément de 3000 francs par mois». Ce qui correspond à 0,24% dudit revenu du patron de l’UBS.

Ces «exemples» posent une question: comment cela est-il possible? Selon les données de l’AVS, en 2023, 1% de cotisation salariale correspond à environ 4,3 milliards de francs de recettes. Ce «rendement» s’explique en particulier par le fait qu’il n’y a aucun plafonnement pour les très hauts revenus. La même année, les cotisations payées par les ménages à l’assurance maladie obligatoire se sont montées à 29,5 milliards de francs. Ce qui correspond à l’équivalent de 6,9% de cotisation salariale. Comment, dans ces conditions, des «suppléments» payés par 15% des ménages les plus aisés, dont l’addition aux cotisations ne pourra pas dépasser 5% de leurs revenus, peuvent-ils permettre de financer pour 85% des autres ménages des rabais pouvant représenter jusqu’à la moitié des primes actuelles? La direction du PSS a-t-elle une solution magique propre aux alchimistes?

En résumé , la seule chose de concrète de cette initiative est un slogan: 85% avec un rabais, 15% avec un supplément. Ce slogan renvoie à des chiffres souvent cités à propos de l’AVS: 85% des rentiers cotiseraient au cours de leur vie moins que ce qu’ils ne toucheraient de rente et 15% l’inverse. Ces chiffres, d’abord utilisés par la droite dans une perspective de «comptabilité individuelle», sont une manière piégée de présenter le mécanisme de solidarité au cœur de l’AVS et qui est le suivant: tous les salariés versent la même part de leur salaire (4,35%, + 4,35% de part patronale) dans un pot commun, qui sert à financer les rentes en cours, lesquelles sont fixées avec un écart très resserré (un rapport de un à deux entre la rente minimale et la rente maximale).

Croire qu’il suffit de reprendre un (mauvais) argument relatif à l’AVS pour reproduire le succès de la 13e rente AVS, c’est substituer un coup de com à un contenu politique et à un enracinement social. En effet, le succès de la 13e rente renvoie, premièrement, à une revendication très précise et concrète (une 13e rente, justement). À l’opposé de la proposition gazeuse de la nouvelle initiative du PSS. Deuxièmement, ce succès s’explique par un attachement populaire à cette unique assurance sociale en Suisse, construit durant des décennies au cours des combats menés pour son développement, puis pour sa défense. Troisièmement, la victoire de la 13e rente a été précédée par des années de mobilisations sociales larges et intenses autour de l’AVS, en particulier contre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes. Y compris contre le projet PV2020 défendu en 2017 par le PSS et son conseiller fédéral Alain Berset.

Depuis ce printemps, des réseaux syndicaux et associatifs cherchent à créer les conditions pour une mobilisation sociale en faveur d’une alternative au système actuel d’assurance maladie, autour de la double perspective d’un système de caisse unique et d’un financement en proportion du revenu. La direction du PSS a choisi d’ignorer cette dynamique et d’investir à 100% dans la com: les élections fédérales sont dans deux ans, en octobre 2027. De facto, cette initiative du PSS s’instaure comme une obstruction à une perspective crédible, socialement et politiquement, de mise en œuvre d’une assurance maladie sociale. (29 octobre 2025)

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