Par Oren Ziv
La marche annuelle des drapeaux du «Jour de Jérusalem» est depuis longtemps connue pour sa démonstration ouverte de la suprématie juive. Chaque année, pour célébrer l’occupation par Israël de Jérusalem-Est en 1967 et le maintien de son contrôle sur la ville, des dizaines de milliers de Juifs israéliens, jeunes pour la plupart, se déchaînent dans la vieille ville, harcèlent et attaquent les résidents palestiniens et crient des slogans racistes, le tout sous la protection de la police.
Toutefois, si par le passé on pouvait dire que seuls certains des participants se livraient à de tels comportements, cette année, ces agissements sont devenus la norme. Encouragés par la guerre de vengeance brutale de leur gouvernement contre la bande de Gaza, presque tous les participants qui se sont rassemblés à la porte de Damas [qui mène à la vieille ville de Jérusalem] avant la marche d’hier après-midi ont participé à la provocation.
Parmi les chants les plus populaires, citons «Que votre village brûle», «Shuafat est en feu» [quartier de Jérusalem-Est à population majoritairement palestinienne], «Mahomet est mort» et la chanson génocidaire de la «vengeance», qui reprend une injonction biblique dirigée contre les Palestiniens: «Que leur nom soit effacé». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, sont tous deux arrivés à la porte de Damas avec leurs gardes du corps vers la fin des festivités et se sont joints avec joie aux fêtards qui chantaient et dansaient. [S’était jointe à eux la ministre des Transports, membre du parti Likoud, Miri Regev.]
Parallèlement aux chants, certains participants portaient des drapeaux du groupe suprématiste juif Lehava [1], ainsi que des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Une balle dans la tête de chaque terroriste» et «Kahane avait raison» [2]. Quelques-uns ont fait explicitement référence à l’assaut israélien en cours sur Gaza, appelant à «raser Rafah» et portant le drapeau de Gush Katif – le bloc de colonies israéliennes qui a été évacué de Gaza dans le cadre du «désengagement» de 2005 et que de nombreux membres de la droite israélienne espèrent voir se reconstruire. Certains brandissaient des pancartes représentant les otages toujours détenus par le Hamas à Gaza.
Cependant, l’objectif principal des participants n’était pas Gaza, mais plutôt le Mont du Temple/Haram al-Sharif. La journée a commencé par l’ascension de plus d’un millier de Juifs sur ce site sacré pour les juifs et les musulmans, administré conjointement par la police israélienne et le waqf islamique [fondation composé de la monarchie jordanienne, avec intégration en 2019 de responsables de l’Autorité palestinienne]. Nombre de manifestants portaient des drapeaux israéliens et certains ont violé le «statu quo» de longue date du site en se livrant à des actes de prière.
Ils étaient menés par des militants qui aspirent non seulement à permettre aux Juifs de prier sur le site, mais aussi à reconstruire un temple juif sur le site de la mosquée Al-Aqsa et du dôme du Rocher. Lors de la marche, un groupe de jeunes portait des T-shirts représentant le Dôme du Rocher en train d’être démoli.
A l’exception de l’arrestation d’une poignée de manifestants qui ont attaqué des journalistes, la police – dont le chef de la police et plusieurs hauts gradés – n’a rien fait pour empêcher ou punir les provocations. Cette absence d’intervention était particulièrement flagrante compte tenu de la répression qui a suivi le 7 octobre et qui a vu la police arrêter et inculper des centaines de citoyens palestiniens pour avoir exprimé leur opposition à la guerre à Gaza, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans le cadre de petites manifestations non violentes.
Ce double standard est ancré dans la politique du gouvernement israélien: ce qui compte, ce n’est pas le contenu du discours, mais la personne qui le prononce. Ainsi, alors que des Palestiniens sont arrêtés pour des messages sur les réseaux sociaux, des Juifs ont toute latitude pour célébrer la Journée de Jérusalem en agressant des Palestiniens et en appelant à leur mort.
Journalistes attaqués
Les violences ont commencé vers 13 heures. A ce moment-là, la police avait déjà dégagé une route à travers le quartier musulman de la vieille ville en forçant les résidents palestiniens à rentrer chez eux et les propriétaires de magasins palestiniens à fermer leur commerce.
Par conséquent, les seules cibles restantes vers lesquelles les premiers participants pouvaient diriger leur rage étaient quelques journalistes qui étaient déjà arrivés pour couvrir la marche. Le journaliste palestinien Saif Kwasmi a été agressé par la foule, tandis que le journaliste de Haaretz, Nir Hasson, a également été mis à terre et a reçu des coups de pied. Au lieu d’arrêter les manifestants, la police a arrêté et interrogé Kwasmi, accusé d’incitation à la violence.
La plupart des journalistes n’ont pas pu s’approcher aussi près des manifestants. Avant l’arrivée du gros de la foule, la police a contraint tous les journalistes à se réfugier dans un petit enclos donnant sur la porte de Damas; selon les responsables de la police, permettre aux journalistes d’accompagner les participants à travers la vieille ville aurait été une provocation dangereuse, compte tenu de l’hostilité des manifestants à l’égard des médias.
Après plusieurs heures et de nombreux appels au bureau du chef de la police, les journalistes ont été autorisés à se déplacer parmi les manifestants, mais seulement après avoir été avertis qu’ils le faisaient à leurs risques et périls. A ce moment-là, les manifestants avaient déjà jeté de nombreuses bouteilles en plastique dans la zone de presse et insulté les journalistes.
Peu avant la fin de ces «cérémonies», Ben Gvir est arrivé à la porte de Damas. Entouré d’un important dispositif de sécurité qui a empêché les journalistes de s’approcher et de poser des questions, le ministre a profité de l’occasion pour déclarer qu’il rejetait totalement le délicat statu quo religieux sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, qui stipule depuis longtemps que les Juifs ont le droit de visiter le site, mais pas d’y prier.
«Je suis revenu ici pour envoyer un message au Hamas et à toutes les maisons de Gaza et du Liban: Jérusalem est à nous. La porte de Damas est à nous. Le mont du Temple est à nous», a-t-il proclamé. «Aujourd’hui, conformément à ma politique, les Juifs sont entrés librement dans la vieille ville et les Juifs ont prié librement sur le mont du Temple. Nous le disons de la manière la plus simple qui soit: ceci est à nous.»
Lors des précédentes marches de la Journée de Jérusalem, Ben-Gvir n’était qu’un participant parmi d’autres. Aujourd’hui, il est le ministre responsable de la police, chargé de sécuriser la marche et de faciliter l’ascension des Juifs vers l’enceinte d’Al-Aqsa. Bien que le Premier ministre Benyamin Netanyahou ait pris ses distances avec l’intention déclarée de Ben-Gvir de bouleverser le statu quo, c’est en fin de compte le ministre de la Sécurité nationale qui applique la politique.
Le Jour de Jérusalem était autrefois un événement exceptionnel, où le racisme et la suprématie juive qui ont toujours existé au sein de la société israélienne étaient exposés aux yeux de tous. Mais aujourd’hui, alors que la vengeance de l’armée à Gaza se poursuit avec le soutien actif de la plupart des Israéliens, que la violence des militaires et des colons s’intensifie en Cisjordanie et que des campagnes sont menées pour persécuter et réduire au silence les dissidents à l’intérieur de la ligne verte, la Marche des drapeaux n’est plus qu’un exemple de plus de la façon dont Israël a banalisé l’extrémisme. (Article publié par le site israélien +972 le 6 juin 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
Oren Ziv est photojournaliste et reporter pour le site israélien en hébreu Local Call – qui est conjoint avec +972. Il est membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
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[1] Il s’oppose par exemple aux mariages entre Juifs et non-Juifs, en particulier des mariages des femmes juives avec des hommes arabes, exerce sa violence contre les Palestiniens et les demandeurs d’asile africains. (Réd.)
[2] Meir Kahane a fondé l’organisation Jewish Defense League aux Etats-Unis et le parti Kach d’extrême droite en Israël, interdit en 1994, qualifié d’organisation terroriste. Le Kach soutient une colonisation massive en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avec une dimension de sionisme religieux. Kahane fut élu en 1984 à la Knesset – suite à trois échecs – après avoir profité de la «permissivité» des structures politiques et juridiques de l’Etat d’Israël, qui ne prendra des mesures pour disqualifier le parti Kach qu’après son élection. Kahane sera assassiné aux Etats-Unis en novembre 1990. (Réd.)
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