Etats-Unis. L’United Auto Workers commence à syndiquer travailleurs et travailleuses des firmes automobiles du Sud

Le président de l’UAW Shawn Fain parle aux médias devant l’usine Volkswagen à Chattanooga, le 18 décembre 2023.

Par John Nichols

Plus de la moitié des travailleurs de la tentaculaire usine d’assemblage automobile de Volkswagen à Chattanooga, dans le Tennessee, ont signé des formulaires indiquant qu’ils souhaitaient être représentés par le syndicat United Auto Workers (UAW).

Ils l’ont fait en moins de 60 jours, révélant un degré d’enthousiasme qui suggère que l’une des plus grandes usines automobiles non syndiquées du sud-est des Etats-Unis pourrait constituer une percée majeure dans les efforts de l’UAW pour organiser les travailleurs et travailleuses dans des régions du pays qui ont été dominées par des forces antisyndicales pendant des décennies.

Tout le monde sait que le syndicat représente les travailleurs et travailleuses des Big Three – les «trois grands» – de l’automobile, General Motors, Ford et Stellantis [voir sur ce site par exemple l’article publié le 31 octobre 2023]. Toutefois, beaucoup ignorent que des dizaines de grandes usines automobiles du pays n’ont aucune présence syndicale. Ces usines appartiennent à des constructeurs allemands, japonais et coréens qui, dans leur pays d’origine, doivent compter avec une présence syndicale, mais pas aux Etats-Unis.

Après que l’UAW a remporté des contrats historiques avec les constructeurs automobiles de Détroit en automne de l’an dernier, le président Shawn Fain a annoncé que l’UAW apporterait son soutien aux travailleurs qui organisent 13 usines non syndiquées à travers les Etats-Unis, y compris celles appartenant à Volkswagen, Toyota, Honda, Hyundai, Nissan, BMW, Mercedes-Benz, Subaru, Mazda, Rivian [constructeur états-unien spécialisé dans les SUV électriques], Lucid [états-unien, automobiles électriques] et Volvo [suédois d’origine, Volvo appartient actuellement au constructeur chinois Geely]. Les activités de Tesla du milliardaire Elon Musk ont également été ciblées. Il s’agit d’une démarche audacieuse de la part d’un syndicat qui s’efforce d’étendre sa présence au-delà de l’implantation historique qu’il a eu pendant des décennies avec les «trois grands». L’UAW a connu des difficultés particulières dans le Sud, où des lois anti-ouvrières sur le «droit de travailler» [right to work law: loi faisant obstacle au paiement de cotisations à un syndicat et permettant à un salarié de travailler sans adhérer à un syndicat] sont en vigueur depuis l’époque de la ségrégation, et où les sentiments antisyndicaux farouches de politiciens tels que l’ancienne gouverneure de Caroline du Sud, Nikki Haley – représentante des Etats-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU sous la présidence de Trump et candidate républicaine lors des primaires 2023-24 –, ont constitué un obstacle à l’organisation de tout syndicat.

Mais Shawn Fain s’est montré confiant, déclarant en novembre 2023: «Les travailleurs de tout le pays, de l’Ouest au Midwest et surtout dans le Sud, nous tendent la main pour rejoindre notre mouvement et l’UAW. L’argent est là [allusion aux bénéfices des firmes]. Le moment est venu.» Sa promesse que le syndicat chercherait à s’appuyer sur ses victoires contractuelles de l’automne dernier – qui ont garanti des gains salariaux records d’au moins 25% sur les quatre prochaines années pour les travailleurs des usines des Big Three – a clairement dynamisé les efforts d’organisation parmi les plus de 4000 travailleurs de l’usine VW de Chattanooga. La firme allemande y a lancé sa production en 2011 et a résisté aux précédentes campagnes de syndicalisation.

Cette usine est désormais la première des grandes usines non syndiquées où l’UAW a pu annoncer qu’il avait obtenu le soutien de la majorité des travailleurs et travailleuses qui ont commencé à s’organiser dans la foulée de sa grève dynamique – et finalement couronnée de succès – contre les trois grands constructeurs automobiles.

«La mobilisation n’a cessé de croître, et maintenant que nous avons atteint 50%, elle ne cesse de croître», déclare Zach Costello, instructeur dans le département de perfectionnement de l’usine VW. «Ce n’est pas parce que nous sommes dans le Sud que notre travail vaut moins, que nos avantages sociaux [retraite, assurance maladie] doivent être réduits ou que nous n’avons pas de droits. Tous les travailleurs et travailleuses devraient pouvoir s’exprimer, et j’espère que le succès que nous rencontrons ici montre à l’ensemble des salarié·e·s du pays ce qu’il est possible de faire.»

Il y a encore du pain sur la planche. Les organisateurs du syndicat souhaitent dépasser largement la barre des 50% de signatures – probablement jusqu’à 70% – avant de procéder à une élection de représentation supervisée par le National Labor Relations Board (Conseil national des relations de travail). Avec un tel niveau de soutien, le syndicat pourrait également exiger une reconnaissance volontaire [donc sans passer par l’ensemble de la procédure légale] de la part de l’entreprise.

Mais ce n’est pas une mince affaire que de franchir la barre des 50% dans une usine située dans un Etat qui applique le principe du «right to work», où le gouverneur républicain Bill Lee [depuis janvier 2019], un fanatique anti-syndicats, a ouvertement participé aux efforts visant à faire échouer une précédente campagne de syndicalisation à l’usine VW. Dans un Etat où le législatif, contrôlé par les républicains, a adopté l’année dernière un nouveau train de mesures antisyndicales. C’est une avancée significative pour les travailleurs et travailleuses de l’usine de Chattanooga; elle est remarquée par les salarié·e·s d’autres usines où des campagnes de syndicalisation ont commencé, notamment une usine Mercedes à Vance, en Alabama, qui emploie plus de 4000 personnes, et l’usine Hyundai à Montgomery, en Alabama, qui emploie environ 4000 personnes.

Le jour où il a annoncé que la majorité des travailleurs de VW à Chattanooga avaient signé leur carte syndicale, l’UAW a publié une vidéo mettant en scène des travailleurs et travailleuses tels que Moesha Chandler, ouvrière d’assemblage à l’usine Mercedes-Benz, qui a déclaré: «Je vous [salarié·e·s de Volkswagen] ai observés faire croître votre adhésion syndicale, et je dois dire que je suis enthousiasmée par le chemin parcouru.» Jeremy Kimbrell, un autre ouvrier de Mercedes, a dit aux ouvriers de VW: «Continuez, faites savoir au patron que ce n’est plus le moment d’exploiter les travailleurs… Syndiquez-vous et décrochez votre contrat, et nous, ici, chez Mercedes, nous vous soutiendrons.» (Article publié dans The Nation, le 7 février 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

John Nichols est correspondant pour les affaires nationales au journal The Nation. Son dernier ouvrage, coécrit avec le sénateur Bernie Sanders, est le best-seller du New York Times intitulé It’s OK to Be Angry About Capitalism (C’est normal d’être en colère contre le capitalisme).

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