Par Oren Ziv
Après des années de condamnation verbale insipide de la violence des colons israéliens par les gouvernements états-uniens successifs, l’administration Biden a signé le 1er février un décret historique imposant des sanctions à l’égard de quatre colons impliqués dans des attaques récentes en Cisjordanie occupée. Le décret prévoit le gel des avoirs des colons aux Etats-Unis et l’interdiction de leur entrée dans le pays. Les banques israéliennes ont également gelé les comptes de deux des colons figurant sur la liste, conformément aux sanctions états-uniennes [1].
La fréquence des actes de violence commis par les colons est en augmentation depuis des années. Leurs auteurs sont très souvent soutenus par des soldats israéliens et bénéficient d’une impunité quasi totale de la part du système judiciaire israélien. L’entrée en fonction, il y a un peu plus d’un an, du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël – un homme arrêté pour avoir planifié un attentat est devenu le maître de la Cisjordanie [Bezalel Smotrich] et un homme condamné pour soutien au terrorisme est devenu ministre de la Sécurité nationale [Itamar Ben-Gvir] – a encore enhardi les colons les plus violents: 2023 a vu une forte escalade des pogroms à grande échelle, notamment à Huwara, Al-Lubban ash-Sharqiya, Turmus Ayya et dans de nombreuses autres localités.
Ces attaques atteignent leur objectif, approuvé par l’Etat, de nettoyer de vastes régions de la Cisjordanie de leurs habitants palestiniens afin de permettre l’expansion des colonies juives. La situation s’est encore détériorée dans l’ombre de la guerre, les colons ayant déplacé de force au moins 16 villages palestiniens entiers depuis le 7 octobre.
Pour tenter d’évaluer la portée de la décision de Joe Biden, +972 Magazine et Local Call se sont entretenus avec des Palestiniens et des Israéliens qui ont été directement touchés par la violence des colons visés – David Chai Chasdai, Shalom Zicherman, Einan Tanjil et Yinon Levi – ainsi qu’avec leurs frères d’armes. La plupart d’entre eux ont formellement bien accueilli le décret, mais se sont demandé s’il aurait un quelconque effet sur le terrain, s’il dissuaderait d’autres colons, si les sanctions seraient étendues à d’autres colons impliqués dans les violences, et si ces sanctions atteindraient finalement les dirigeants du mouvement de colonisation, y compris ceux qui siègent au gouvernement.
«Il s’agit de groupes organisés qui viennent pour tuer»
David Chai Chasdai a été arrêté pour avoir dirigé l’un des pires actes de violence commis par des colons de mémoire récente: le pogrom de la ville palestinienne de Huwara en février 2023 [voir à ce propos les articles publiés sur ce site en date du 2 et 6 mars], au cours duquel des centaines de colons ont incendié des dizaines de maisons et des centaines de véhicules, blessant plus d’une centaine d’habitants dans l’opération. Sameh Aqtash, originaire du village voisin de Za’atara, a été tué par balle au cours de l’attaque.
David Chai Chasdai, qui vit dans la colonie de Beit El, est une figure familière dans le monde des «jeunes des collines» – le terme générique donné aux jeunes colons israéliens qui descendent régulièrement des avant-postes illégaux de Cisjordanie pour attaquer les Palestiniens. En 2014, alors adolescent, il a été décrit par le média des colons Makor Rishon [Première source, quotidien suprémaciste et religieux] comme «la cible numéro un de la Nationalist Crimes Division Police de Judée et Samarie et l’un des noms qui causent le plus de maux de tête aux membres du Department for Counter-intelligence and Prevention of Subversion in the Jewish Sector du Shin Bet [Département du contre-espionnage et de la prévention de la subversion dans le secteur juif du Shin Bet].»
En 2015, Chasdai a été reconnu coupable d’intention d’utiliser illégalement des matières dangereuses après que des bouteilles remplies d’essence et d’autres substances inflammables ont été trouvées dans sa voiture. Deux ans plus tard, il a été reconnu coupable d’agression caractérisée pour avoir attaqué un chauffeur de taxi palestinien avec du gaz lacrymogène. En 2021, il a été condamné pour avoir menacé un officier de police.
David Chai Chasdai était l’un des 18 colons arrêtés après le pogrom de Huwara (un seul d’entre eux a été inculpé). Il a été libéré peu après, mais a été de nouveau arrêté et placé en détention administrative pour une durée de trois mois – un outil qu’Israël utilise presque exclusivement contre les Palestiniens pour détenir qui il veut sans inculpation ni procès. Cinquante membres de la Knesset ont de suite signé un appel à sa libération!
«C’est une mesure symbolique», a déclaré à +972 un habitant de Huwara de la famille palestinienne Awwad, qui a demandé que son prénom ne soit pas publié par crainte de représailles de la part des colons. «L’Amérique dit: “Nous regardons aussi ce qui se passe dans les territoires [occupés]. Le fait que le gouvernement israélien sache que les Palestiniens entretiennent de bonnes relations avec les Etats-Unis et qu’ils leur fournissent des informations sur ce que font les colons aide un peu.”»
M. Awwad estime que si les sanctions sont un bon début, elles sont loin d’être suffisantes pour décourager la violence des colons. «Ce n’est pas seulement à Huwara, c’est partout en Cisjordanie», dit-il. «Les colons se promènent en uniforme militaire et avec des armes. Ce ne sont pas des gens qui tirent et s’enfuient. Ce sont des groupes organisés qui viennent pour tuer, et les Etats-Unis devraient les déclarer organisations terroristes [qualificatif qui est utilisé sans restriction pour ce qui est des organisations palestiniennes]. Ils font partie de la droite dure, et la droite est responsable d’eux: elle leur donne des ordres, leur fournit des avocats et de l’argent, et soutient leurs agissements criminels.»
M. Awwad s’interroge également sur l’efficacité de ce premier train de sanctions, étant donné que ces colons ne voyagent probablement pas régulièrement – voire jamais – aux Etats-Unis et qu’ils n’ont très certainement pas de comptes bancaires américains. «Nous avons besoin que les sanctions soient prises ici», déclare-t-il. «Ceux qui doivent agir contre les colons sont le gouvernement et les autorités chargées de l’application de la loi en Israël. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils commenceront à avoir peur… Le problème, c’est que le gouvernement ne veut pas agir contre eux. Les colons font partie du gouvernement, et ce dernier ne veut donc pas traiter avec eux parce qu’il craint que la coalition ne tombe.»
David Chai Chasdai a lui-même réagi au gel de ses comptes bancaires en déclarant à la chaîne publique israélienne Kan qu’il s’agissait d’une «infamie nationale», d’autant plus qu’elle s’est déroulée sous un gouvernement de droite. «Au fil des générations, nous avons vu de nombreux oppresseurs nuire au peuple d’Israël», a déclaré David Chai Chasdai Chasdai. «Nous surmonterons également la persécution de Biden et de ses collaborateurs.»
«Il est commode de condamner les petits poissons»
Un autre colon sur la liste de Biden est Shalom Zicherman, un résident de l’avant-poste de Mitzpe Yair. En juin 2022, il a jeté des pierres à travers la vitre d’une voiture appartenant à des militants israéliens de gauche. J’étais présent sur les lieux et j’ai documenté l’attaque, après laquelle Zicherman a pu retourner à l’avant-poste, malgré le fait que le commandant de la brigade de la zone de Judée de l’armée, le colonel Yehuda Rosilio, ait vu l’attaque et n’ait rien fait pour l’arrêter ou le détenir. Le porte-parole des Forces de défense israéliennes (FDI) a d’abord décrit l’incident comme une «friction entre colons et manifestants», mais Zicherman a ensuite été inculpé et son procès est en cours.
Le département d’Etat des Etats-Unis note que «selon des preuves vidéo, [Zicherman] a agressé des militants israéliens et leurs véhicules en Cisjordanie, les immobilisant dans la rue. Il a tenté de briser les vitres des véhicules qui passaient avec des militants à l’intérieur. Zicherman a battu au moins deux des militants et les a tous deux blessés.»
Selon le décret états-unien, Zicherman et un autre colon «se sont livrés ou ont tenté de se livrer, directement ou indirectement, à la planification, à l’ordre, à la direction ou à la participation d’efforts visant à placer les civils dans une crainte raisonnable de violence dans le but ou l’effet de les obliger à changer de résidence pour éviter une telle violence, en Cisjordanie».
Yasmin Eran Vardi, une militante de gauche qui passe la plupart de son temps en Cisjordanie à faire du travail de solidarité visant à «protéger la présence palestinienne» – par lequel des militants israéliens et internationaux mettent leur corps entre les Palestiniens, d’une part, et les colons et les soldats, d’autre part – a été blessée dans l’attaque. «Je suis favorable à l’imposition de sanctions, mais ces sanctions ne signifient pas grand-chose», a-t-elle déclaré à +972. «Il est clair que ces quatre [colons] ont commis de graves actions, mais il y a toute une politique ici qui leur permet de faire ce qu’ils veulent, sous les auspices de l’armée et du gouvernement, le tout avec des fonds états-uniens.»
Comme Awwad, Eran Vardi se demande si ces sanctions dissuaderont effectivement d’autres colons. Ou même si elles dissuaderont les quatre colons qui ont été eux-mêmes sanctionnés. «La question est de savoir si quelque chose changera, ne serait-ce qu’un peu», a-t-elle déclaré.
Eran Vardi souhaite des sanctions plus importantes, mais ne s’attend pas à ce que les Etats-Unis les imposent. «Ces sanctions démontrent la pleine coopération de Biden avec les exigences d’Israël. Il est commode de condamner les petits poissons, en particulier parce que [les colons] font du tort aux citoyens israéliens. En fait, Joe Biden pourrait arrêter de financer les massacres à Gaza s’il le voulait.»
Le décret se concentre sur ceux qui ont agressé des militant·e·s israéliens et pas contre tous les colons qui agressent des Palestiniens
Einan Tanjil, un troisième colon nommé dans le décret de Biden, a été filmé en novembre 2021 en train d’attaquer des agriculteurs palestiniens et des militants israéliens venus récolter des olives dans le village de Surif. Le décret stipule que Tanjil «a été impliqué dans l’agression d’agriculteurs palestiniens et de militants israéliens en les attaquant avec des pierres et des gourdins, ce qui a entraîné des blessures qui ont nécessité des soins médicaux».
+972 et Local Call ont rapporté à l’époque que des colons masqués étaient descendus des avant-postes voisins et, à l’aide de pierres et de gourdins, avaient blessé au moins trois activistes israéliens, dont le vétéran Rabbi Arik Asherman, qui ont eu besoin de soins médicaux. Tanjil a été inculpé d’agression et d’atteinte à l’intégrité physique.
Netta Ben Porat, une militante israélienne des droits de l’homme, a été blessée au cours de l’incident. «Nous étions huit Israéliens», a-t-elle raconté. «Einan et son ami nous ont attaqués avec des gourdins, et un autre militant s’est interposé entre eux et moi, puis Einan a réussi à me frapper. Il n’a été inculpé que d’agression, pas même d’agression aggravée ou d’agression à caractère politique [qui entraînerait une peine plus sévère]. Ils ont omis de dire qu’il avait attaqué d’autres personnes. L’acte d’accusation ne précise pas pourquoi il nous a attaqués. Il a invoqué la légitime défense, alors que je me tenais sur le côté et que je continuais à filmer pendant qu’il me frappait.»
Pour Ben Porat, les sanctions sont «grotesques». «Parmi tous [les colons], celui que les Etats-Unis sanctionnent est un jeune de 19 ans qui a attaqué des Israéliens une ou deux fois? Cela ne fait pas sens. Ils auraient pu essayer de faire un peu mieux: qu’en est-il du coordinateur de la sécurité militaire qui était armé et qui a amené les colons [là où nous étions] et les a observés d’en haut [pendant qu’ils nous attaquaient]? Ou des fermiers responsables de l’expulsion de communautés entières? Si le problème est la violence des colons et son impact sur les Palestiniens, pourquoi se concentrer spécifiquement sur ceux qui ont fait du mal à des Israéliens?»
«Peut-être s’agit-il d’un indice de choses à venir», a-t-elle poursuivi. «J’espère qu’il s’agit d’une première étape et que des sanctions seront imposées à [Bezalel] Smotrich et à [l’éminent dirigeant des colons] Yossi Dagan.»
«Nous espérons que cela nous aidera à retrouver nos terres»
Le dernier colon visé par les sanctions est Yinon Levi, qui a participé à la fondation de la ferme Meitarim [«un avant-poste de la colonisation», selon le texte du décret des Etats-Unis]. Selon Kerem Navot, une ONG qui suit la dépossession des terres palestiniennes, Yinon Levi est propriétaire d’une entreprise de terrassement qui a été engagée par les autorités de l’Etat pour exécuter des ordres de démolition dans des villages palestiniens de Cisjordanie.
En novembre dernier, des violences émanant de la ferme de Meitarim ont conduit à l’expulsion de la communauté palestinienne de Khirbet Zanuta – 27 familles, soit environ 250 personnes – de leurs maisons situées près du point de contrôle de Meitar, dans le sud de la Cisjordanie. Au début de la guerre, la firme de Yinon Levi a également bloqué les routes menant à l’entrée du village palestinien de Susiya, dans le but manifeste d’intimider les habitants du village.
Une pétition déposée au nom des Palestiniens expulsés de Zanuta indique que Levi était à la tête d’un groupe de colons qui, accompagnés de deux soldats, sont venus dans le village le 12 octobre, ont battu les habitants du village, ont menacé de les tuer, ont brisé des panneaux solaires et ont détruit une voiture. Selon la pétition, Yinon Levi a conduit un bulldozer et «a commencé à démolir en grand nombre des bâtiments, des infrastructures, des oliviers et d’autres cultures agricoles appartenant aux villageois».
Yinon Levi diffère légèrement des trois autres colons figurant sur le décret états-unien en ce sens qu’il n’est pas simplement un jeune militant au sommet d’une colline, mais plutôt le chef d’une ferme de colons. Ces dernières années, des dizaines de fermes de ce type ont été créées en Cisjordanie et sont au cœur des efforts déployés pour expulser les Palestiniens de leurs terres. Bien que la plupart d’entre elles n’aient pas été créées légalement, elles bénéficient du soutien du gouvernement et de la protection de l’armée.
«Je ne pensais pas que cela arriverait», a déclaré à +972 Fayez al-Tal, le chef de la communauté palestinienne Khirbet Zanuta, en réponse à l’annonce des sanctions contre Yinon Levi. «Nous avons lu la décision et nous avons été ravis. Yinon Levi est responsable de l’avant-poste de la colonisation: il fait partie des personnes qui sont venues au début de la guerre et qui nous ont menacés. Nous espérons que cela nous aidera dans notre procès pour demander à retrouver nos terres, et nous espérons que la cour verra que les Américains imposent des sanctions. Mais Israël ne fait rien.»
Selon Fayez al-Tal, il est important de se rappeler le contexte plus large de la violence des colons: «Les colons n’agissent pas seuls. Ils sont au service du gouvernement et la police ne fait rien lorsqu’ils nous attaquent. Ils savent qu’aucune loi ne s’applique à eux. Ils n’ont peur de rien. Les Américains ne peuvent pas dire un mot sur Gaza, parce que le Hamas y est présent – mais il n’y a pas de Hamas ici, alors ils peuvent demander pourquoi il y a des attaques violentes de la part des colons.»
Comme d’autres personnes interrogées, Fayez al-Tal espère que le décret sera étendu à d’autres colons, y compris Smotrich et Itamar Ben Gvir, et que «le consulat et l’ambassade des Etats-Unis feront pression sur l’administration civile ou la police pour empêcher les attaques et nous ramener sur nos terres».
+972 et Local Call ont contacté l’avocat de David Chai Chasdai, mais il n’a pas répondu. Nous avons également contacté Yinon Levi, mais il n’a pas répondu. Yinon Levi a déclaré à d’autres médias que les accusations portées contre lui étaient «fausses». L’avocat de Einan Tanjil nous a renvoyés à l’organisation juridique Honenu [structure sioniste assurant une aide légale aux militaires et à des civils pour «les protéger et préserver leurs droits»], qui a déclaré qu’elle ne le représentait pas sur la question des sanctions. Shalom Zicherman n’a pas pu être joint pour un commentaire. (Article publié sur le site israélien +972 le 8 février 2024 et en hébreu sur le site Local Call; traduction rédaction A l’Encontre)
_________
[1] En dépit du fait que ce décret sert avant tout de paravent médiatique à l’appui militaire décisif (pièces détachées, munitions…) des Etats-Unis à la guerre menée par Israël, le gouvernement israélien a estimé qu’il n’y avait «pas de place pour des mesures exceptionnelles» contre les colons israéliens en Cisjordanie occupée. «La majorité absolue des colons de Judée et Samarie (Cisjordanie, ndlr) sont des citoyens respectueux de la loi, dont beaucoup combattent actuellement pour la défense d’Israël. Israël agit contre tous ceux qui violent la loi partout», a affirmé dans un communiqué le Bureau du Premier ministre Netanyahou» – L’Orient-Le-Jour, 1er février (Réd.)
Soyez le premier à commenter