Par Fabián Kovacic (Buenos Aires)
Javier Milei [La Libertad Avanza] est le vainqueur incontesté [dans 16 des 24 districts] des élections du PASO (élections Primaires, Ouvertes, Simultanées et Obligatoires). Il a obtenu plus de 7 millions de voix dans tout le pays et a mis en crise les deux coalitions qui gouvernaient depuis huit ans [Juntos por el Cambio, avec à sa tête Patricia Bullrich, et Union por la Patria, avec à sa tête Sergio Massa]. Le dimanche soir 13 août, Javier Milei a fêté avec ses partisans un afflux de votes plus important que prévu. Dès le lundi, dans les médias, il a revêtu le costume imaginaire d’un président pour annoncer son programme de gouvernement.
Javier Milei est son propre porte-parole. Il a distribué au compte-gouttes les noms des membres possibles de son hypothétique futur gouvernement, auxquels il a déjà indiqué les directives à suivre. Les contre-réformes de l’Etat [supprimer la Banque centrale, dollariser l’économie, couper les dépenses publiques «à la tronçonneuse», supprimer des ministères…] sonnent, dans sa bouche, comme des phrases lapidaires et excessives qui ne tiennent pas compte des trois pouvoirs établis par la Constitution, dont le Parlement, qui est chargé de voter les lois pour ces réformes. Carlos Menem [juillet 1989-décembre 1999] a dû soumettre ses propositions au Parlement pour réaliser, par exemple, des privatisations libérales et des changements dans l’administration publique.
Euphorique, le candidat de La Libertad Avanza prévient que son ajustement des dépenses publiques ne serait pas de 1,9 point de PIB, comme l’exige le Fonds monétaire international (FMI), mais de 15 points. «Nous ne devrions pas avoir de problèmes avec le FMI parce que notre proposition d’ajustement est plus agressive que ce qu’il propose», a-t-il déclaré lors d’une tournée trépidante des médias – entre lundi matin et mercredi après-midi –, aussi bien des chaînes de télévision que des stations de radio. «Si nous frappons le premier, nous frappons deux fois», a déclaré un membre de son équipe de campagne. Les annonces ont un impact en raison de la nature radicale de chaque mesure.
Selon Javier Milei, les 15 points de réduction des dépenses proviendraient de la suppression de 11 ministères (Santé, Education, Logement, Travail, Développement social, Transports, Environnement, Femmes, diversité et genre, Tourisme, Travaux publics et Science et technologie), de la vente de toutes les entreprises publiques à moyen terme, de la fermeture des médias publics et de l’élimination du Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet).
Victoria Villarruel [signataire entre autres de l’Appel de Madrid initié par Vox en 2020], sa colistière à la vice-présidence, active dans la défense d’officiers militaires condamnés pour crimes contre l’humanité [durant la dictature]. Elle devrait être responsable de la sécurité intérieure et de la défense nationale. Diana Mondino, économiste du Conicet [ancienne responsable pour l’Amérique latine de Standard&Poors], sera chargée du ministère des Affaires étrangères et des relations extérieures, tant diplomatiques que commerciales.
Javier Milei insiste sur son projet de dollarisation de l’économie et affirme qu’il dispose déjà des ressources «déjà engagées» à cette fin. Une telle déclaration est agrémentée par une invitation des instances de direction du FMI à rencontrer prochainement le candidat. Toute cette batterie d’annonces, prononcées sans retenue, provoque la sensation d’une fin de cycle pour les restes de l’Etat-providence argentin et une généreuse dose d’euphorie pour les ultra-libéraux.
Sa proposition d’éliminer la Banque centrale envoie un double message. D’une part, celui, simple et direct, d’éliminer l’institution responsable de l’émission monétaire. Cependant, une deuxième lecture inclut l’atterrissage des cryptomonnaies, critiquées par les banques centrales presque partout dans le monde et louées par Javier Milei lui-même [à l’instar des libertariens états-uniens], qui en Argentine est l’un de leurs plus fervents défenseurs. Si le néolibéralisme de Mauricio Macri [président de 2015 à 2019] semble dur, celui de Javier Milei semble directement tiré des manuels des pères fondateurs tels que Ludwig von Mises ou Friedrich Hayek.
Son équipe a été rejointe par des économistes du Centre d’études macroéconomiques (CEMA), un haut lieu de la célèbre école de Chicago qui a produit des collaborateurs libéraux de Carlos Menem lors de sa dernière période de gouvernement [il avait été réélu en 1995 et resté au pouvoir jusqu’en décembre 1999]. Parmi eux, Carlos Rodríguez, qui dirige aujourd’hui le CEMA et a été conseiller financier au ministère de l’Economie entre 1993 et 1998, et Roque Fernández, ministre de l’Economie à la fin du gouvernement Menem.
Réactions des entrepreneurs
Les acteurs traditionnels de l’économie productive argentine, telles que la Sociedad Rural, l’Unión Industrial (UIA), l’Asociación de Bancos de la Argentina ainsi que la Bourse, suivent avec curiosité et attention le parcours électoral du consultant [1] et du candidat. Pour l’instant, fin juillet, lors de la présentation des candidats à la présidence devant les propriétaires terriens de la Sociedad Rural, Javier Milei a été apprécié parce qu’il a préconisé l’élimination des taxes à l’exportation sur toutes les céréales et l’élimination des taxes internes sur la production agricole et animale «pour stimuler un secteur essentiel de l’activité économique nationale», comme il l’a dit sous les applaudissements des hommes d’affaires.
Au sein de l’Union industrielle argentine (UIA), on le considère avec plus de prudence et on scrute ses moindres paroles. Javier Milei a prévenu que sa politique de commerce extérieur ne prendrait en compte aucun «pays socialiste» [ce qui pose une interrogation sur les exportations agricoles en Chine], mais il évite de s’étendre sur le Mercosur et le reste des blocs avec lesquels l’Argentine a des accords et des relations. Lors d’une réunion entre les directeurs de la fédération des entreprises et l’ambassadeur des Etats-Unis Marc Stanley, diverses craintes ont été exprimées. Pour Daniel Funes de Rioja, président de l’UIA, le candidat à la présidence [en octobre] devrait être Horacio Rodríguez Larreta [qui a perdu la primaire face à Patricia Bullrich, il occupe depuis 2015 le poste de gouverneur de la ville de Buneos Aires et est proche de Macri]. Le nouveau scénario, mené par «un type instable comme Milei, avec des propositions irréalistes», est «inquiétant», selon ce qu’a déclaré à Brecha l’un des secrétaires de l’association des entrepreneurs.
Il en va de même pour la Bourse et l’Association des banques (ADEBA). Javier Bolzico, directeur de l’ADEBA, considère que la dollarisation promise est irréalisable, mais la victoire de Milei aux primaires ne complique pas la tâche de l’institution. «Les banques ont les liquidités nécessaires pour faire face à une ruée avec retrait de capital», a assuré Javier Bolzico lors d’une récente rencontre avec la presse. «Nous n’imaginons pas une Argentine dollarisée ou une Argentine qui se passerait de la Banque centrale», a-t-il ajouté.
La répartition des votes
Dimanche 13 août, Patricia Bullrich a également remporté la victoire, se positionnant sur la droite de la coalition Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement), en battant le maire de Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta, avec un total de 28,3% des voix. Au sein du parti au pouvoir, la victoire de Sergio Massa [ministre de l’Economie du gouvernement d’Alberto Fernandez] sur la candidature symbolique de Juan Grabois [péroniste se revendiquant de «la justice sociale et de la souveraineté nationale»] était plus prévisible que la troisième place occupée par la coalition Unión por la Patria qui ne récolta que 27,3% des voix. Le ticket péroniste dissident de Juan Schiaretti [actuel gouverneur de Cordoba] et Florencio Randazzo [député péroniste] obtint 3,8%, et le Frente de Izquierda y los Trabajadores Unidad (FIT-U) avec le duo Myriam Bregman et Nicolás del Caño obtint 2,45%. La loi indique que les formations politiques qui dépassent le seuil de 1,5% des voix accèdent à la compétition électorale présidentielle d’octobre. Ainsi, cinq coalitions débattront de leurs programmes de gouvernement les 1er et 8 octobre avant le scrutin du dimanche 22 octobre.
Si Javier Milei a été le candidat individuel le plus voté, Sergio Massa arrive en deuxième position, avec un peu plus de 5 millions de voix, et Patricia Bullrich en troisième position, avec un peu plus de 4 millions. Ce n’est pas un mince exploit dans un pays où les noms ont tendance à l’emporter sur les partis. Les 60 jours qui nous séparent de l’élection seront décisifs pour l’attitude des millions de personnes qui ont voté pour les partis qui n’ont pas atteint 1,5%, ainsi que celle des 10 millions de personnes qui se sont abstenues (malgré le vote obligatoire) et des presque 2 millions de personnes qui ont voté blanc ou annulé leur bulletin de vote.
L’économie en flammes
Sergio Massa avait la lourde tâche d’être le candidat pro-gouvernemental, chargé de susciter l’enthousiasme d’un électorat qui fait face quotidiennement aux mesures gouvernementales. En l’absence de Cristina Kirchner, exclue par la condamnation judiciaire pour corruption dont elle fait l’objet, Massa a assumé la responsabilité d’être l’héritier d’un gouvernement dont il fait lui-même partie. Lundi 14 août, il s’est réveillé en essayant de prendre l’initiative sur les marchés, où la valeur du dollar parallèle [face au peso] a grimpé en flèche tandis que les actions argentines chutaient à Wall Street et que l’inflation augmentait à nouveau de près d’un demi-point par rapport au mois de juillet.
Avant l’ouverture des marchés, Sergio Massa a dévalué le peso de 22%, augmenté le taux d’intérêt annuel de 97% à 118% et fixé le dollar officiel à 350 pesos, au moins jusqu’aux élections d’octobre 2023. Il n’a pas pu empêcher que le taux de change parallèle passe à 690 pesos le lundi et clôture à 740 pesos le mercredi après-midi, causant de sérieux désagréments aux citoyens ordinaires. Les détaillants de produits non alimentaires ont refusé de vendre en raison de l’absence de prix actualisés, ce qui a ravivé la mémoire de la pire période d’hyperinflation sous le gouvernement de Raul Alfonsin [1983-1989]. «Les magasins ne vendent pas parce qu’ils considèrent que les mesures prises lundi par Massa visent à rectifier certaines variables instables de l’économie. Les détaillants ne vendent pas parce qu’ils savent que lorsqu’ils le feront, ils devront vendre à des prix 25% plus élevés», a déclaré le consultant Fernando Camusso, spécialiste des petites entreprises et du commerce de détail. S’il y a une chose qui échappait à Sergio Massa, ce sont les données de l’inflation pour le mois de juillet: 6,3% par mois, avec une projection pour la fin du mois d’août comprise entre 10 et 13%. Le taux d’inflation, en glissement annuel, est de 113%.
Dès que les mesures officielles ont été connues (la dévaluation), le FMI s’est félicité de la décision et a annoncé qu’il débloquerait le 23 août les fonds promis à l’Argentine pour 10,5 milliards de dollars afin de rembourser la dette auprès de la Corporación Andina de Fomento, de l’émirat du Qatar et de couvrir une partie de l’échange en yuans avec la Chine [pour les exportations], que Massa utilisait pour renforcer ses réserves de change. D’ici à novembre, le FMI prévoit de verser 3,25 milliards de dollars.
Recoupements
La politique argentine continue de s’articuler autour d’un obstacle issu du passé: détruire l’adversaire, même en l’absence de meilleures propositions. La dictature qui a renversé Juan Perón en 1955 a interdit son nom et son symbolisme pour tenter d’éradiquer toute trace de péronisme. Javier Milei et les partisans de Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement) maintiennent le cap. «Je vais en finir avec le kirchnerisme», s’est écrié Milei à la fin de sa campagne électorale.
Au milieu de la campagne, Horacio Rodríguez Larreta, le pré-candidat défait de l’opposition, se présentait comme le garant de la liquidation du kirchnerisme «pour toujours». Il avait enregistré son spot de campagne dans la province de Santa Cruz, la ville natale de Néstor Kirchner. «Deux mille vingt-trois sera l’année où nous mettrons fin au kirchnerisme», a également prédit Mauricio Macri à l’occasion du 20e anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner. L’idée d’éradiquer le rival de l’arène politique comme s’il s’agissait d’un mal en soi et non d’une manière différente d’organiser et de conduire le destin d’un pays semble avoir fait son chemin depuis longtemps.
Ensemble, les deux principales options de droite ont représenté près de 59% de l’électorat lors de ces PASO (élections primaires, ouvertes, simultanées et obligatoires). L’une des grandes inconnues se situe dans la manière dont elles se comporteront l’une envers l’autre en octobre. «Maintenant, l’objectif principal est de battre [le gouverneur de la province de Buenos Aires Axel Kicillof», a annoncé Carolina Píparo, candidate de Milei au poste de gouverneur de la province, dans un message aux électeurs de Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement) afin d’obtenir leur soutien.
Patricia Bullrich a obtenu la candidature présidentielle avec la bénédiction de Mauricio Macri et a affronté Horacio Rodríguez Larreta, qu’elle a dépassé d’un million et demi de voix et a mené une attaque permanente contre la campagne de construction d’un accord promu par le chef du gouvernement provincial de Buenos Aires. En ce sens, la campagne agressive de Patricia Bullrich est entrée en concurrence avec celle de Milei, qu’elle considère en fin de compte comme un allié, même si, après les élections, Milei l’a durement attaquée et, plus généralement, l’ensemble de la coalition Juntos por el Cambio. Cependant, l’économiste Milei avoue qu’il maintient une ligne directe avec Mauricio Macri, avec qui il a «un excellent lien», comme il l’a admis cette semaine à Radio la Red, où il a avoué que Mauricio Macri était le seul dirigeant important qui lui ait écrit pour le féliciter de son «excellent résultat» de dimanche. Quelques jours plus tôt, Javier Milei avait déclaré que Mauricio Macri l’avait appelé pour le féliciter de son meeting de campagne au Movistar Arena [centre polyvalent pouvant contenir 15’000 personnes].
«Il y a un recoupement entre ce qu’il [Milei] prêche et ce que j’ai toujours prêché, et ce que plusieurs dirigeants de Juntos por el Cambio prêchent également», a déclaré Mauricio Macri lui-même peu avant l’élection. Après l’annonce du résultat, l’ancien président a déclaré à la presse que «les libertariens, comme Milei, font partie du changement qui arrive». Dans le même temps, il a ajouté: «Mais il faudra de l’expérience.»
Les résultats des trois dernières primaires (PASO) n’ont pas été mécaniquement répétés lors des élections présidentielles et législatives qui ont fait suite. Cependant, si ces résultats se répétaient, et même si Milei n’arrivait pas à la Casa Rosada [Palais de la présidence], il disposerait d’un bloc d’une douzaine de députés nationaux et d’au moins trois sénateurs. Cela impliquerait un pouvoir de négociation considérable vis-à-vis du péronisme et du macrisme, qui se refléterait dans l’adoption de chaque projet de loi. (Article paru dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 18 août 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Javier Milei fut économiste en chef de l’AFJP (Administration des fonds de pension), il occupa le poste d’économiste senior dans la banque HSBC. Il fut aussi conseiller d’Antonio Domingo Bussi, membre de la dictature militaire. Il occupa de nombreux postes universitaires. Il joua le rôle de conseiller d’Eduardo Eurnekian, qui est à la tête d’un holding contrôlant une trentaine d’aéroports en Argentine. Dès 2012, il occupa dans divers médias une place de relief. (Réd. A l’Encontre)
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Argentine-débat. «Les résultats des PASO et le jour d’après»
Par Izquierda Socialista
Les élections des PASO du 13 août ont permis de définir les principaux candidats pour les élections générales du 22 octobre. Le parti d’ultradroite de Milei a remporté le plus grand nombre de voix, canalisant une grande partie du mécontentement populaire. Un mécontentement également exprimé par onze millions de personnes qui n’ont pas voté et un million qui ont voté en blanc ou dont le vote est nul.
Avec de mauvais résultats électoraux, Juntos por el Cambio est arrivé en deuxième position et son ticket sera dirigé par Patricia Bullrich, qui a battu Rodríguez Larreta lors de l’élection interne. Le parti péroniste Unión por la Patria (Union pour la patrie) a quant à lui connu une véritable débâcle avec Massa-Grabois, réalisant ainsi la pire élection de son histoire. Les deux coalitions patronales traditionnelles ont été battues.
Le Frente de Izquierda-Unidad a obtenu 628 893 voix pour la présidence, la liste PTS-Izquierda Socialista menée par Myriam Bregman et Nicolás Del Caño (PTS) étant celle qui a remporté l’élection interne de FIT-Unidad, et qui figurera donc parmi les cinq formules présidentielles en octobre. Nous appelons dès à présent à faire face à l’ajustement brutal de la dévaluation que le gouvernement vient d’appliquer au lendemain des élections, et à renforcer le Frente de Izquierda Unidad afin de lutter pour les changements fondamentaux dont les travailleurs ont besoin.
L’ultradroite Milei a gagné et a déclaré: «Je n’aurai pas de problèmes avec le FMI parce que l’ajustement que je prépare est beaucoup plus sévère».
La grande surprise a été la progression de Milei, qui a obtenu 30% du total des voix. Un phénomène qui n’avait pas été enregistré dans les sondages. S’ajoutant aux défaites du péronisme et de Juntos por el Cambio, le résultat des PASO a provoqué une secousse politique, avec l’émergence d’un candidat présidentiel d’ultradroite qui prend comme vice-président un négationniste voué à la défense des génocides de la dernière dictature militaire, face à un gouvernement qui doit tenir jusqu’en décembre pour appliquer l’ajustement du FMI. De nouveaux changements brutaux sont à prévoir, tant sur le plan social que politique.
Le vote pour Milei a été national, il a gagné dans 16 des 24 districts, même là où le péronisme ou Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement) gouvernaient. Il a obtenu le vote des jeunes (principalement des hommes) des secteurs populaires et ouvriers. Le vote pour Milei est un vote de répudiation et de dégoût qui est complètement erroné. En effet, il s’agit d’un politicien d’ultradroite et réactionnaire qui ne peut offrir que moins de droits, plus de faim et d’asservissement. Son «plan tronçonneuse» est dirigé contre la classe ouvrière, contre les femmes et les dissidents, et contre la jeunesse. Si nous ajoutons à cela le fait que Patricia Bullrich (qui ne postule qu’une main de fer et la répression) sera à la tête du ticket de Juntos por el Cambio, nous partageons l’inquiétude légitime de millions de personnes qui disent: «comment se fait-il qu’on en soit arrivé là», avec une grande incertitude qui englobe tous les secteurs sociaux. Lali Expósito a mis en garde contre le danger que «certaines personnes votent pour un anti-droit» et le musicien Catriel a déclaré que «si les hôpitaux étaient tous privés, je serais mort».
Mais, quelle est la raison de cette croissance d’un personnage qui dit ouvertement qu’il va éliminer les droits essentiels, en taxant l’accès à la santé et à l’éducation publique gratuite, qui propose la dollarisation (ce qui signifierait la pulvérisation directe des salaires et des pensions), ainsi que la vente d’organes et qui veut mettre fin au droit à l’avortement légal, sûr et gratuit, entre autres barbaries ?
Cela ne peut s’expliquer que par le désastre auquel nous ont conduits les différents gouvernements capitalistes, avec plus de misère et de capitulation, générant une déception et une lassitude qui finissent par tirer profit des personnages extrêmement dangereux comme Milei, comme Bolsonaro au Brésil, Vox en Espagne ou l’ultra-droitier Katz au Chili, précisément ceux qui l’ont félicité pour sa victoire.
Milei est l’expression nationale de ces phénomènes d’extrême droite qui se produisent dans d’autres pays face à la décadence capitaliste et à la répudiation de cette démocratie pour ceux qui sont au sommet, justement alors que l’on célèbre les «40 ans de démocratie», au cours desquels tout le monde a gouverné, les radicaux, les péronistes sous leurs différentes formes, le centre-droit et le centre-gauche, responsables d’un tel désastre social.
Dans les PASO, ce vote a été donné à une variante électorale d’extrême droite comme Milei, bien que ce phénomène représente un vote disparate et contradictoire, allant de ceux qui approuvent certaines de ses propositions, à d’autres qui ne les partagent pas, mais qui disent: «nous n’irons pas plus mal», «nous avons déjà essayé tout le monde et ils nous ont conduits au désastre» et «ils peuvent tous partir», croyant au milieu d’une confusion brutale que Milei peut lutter contre les «politiciens voleurs» ou qu’il représente «quelque chose de nouveau et de différent». La confusion et le désespoir sont tels qu’ils optent pour Milei, croyant qu’il représente quelque chose de nouveau, alors qu’il n’a rien de différent de ceux qui nous ont gouvernés, car il soutient la dictature et donne raison au gouvernement péroniste des années 1990 avec Menem et Cavallo (que de nombreux jeunes ne connaissaient pas), qui nous ont conduits à un désastre avec des milliers de licenciements, l’abandon d’entreprises stratégiques, une énorme dette extérieure et le pardon des auteurs du coup d’État militaire. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’un simple «vote de sanction», mais d’un personnage rétrograde, réactionnaire, anti-droits, misogyne et anti-ouvrier que la gauche appelle résolument à affronter, dans les rues et dans les urnes, en donnant le débat aux jeunes et aux secteurs populaires désorientés qui ont voté pour lui, et dont beaucoup font marche arrière en voyant toutes les mauvaises choses que représente son programme gouvernemental néfaste.
Le péronisme a réalisé les pires élections de l’histoire et Larreta-Morales est un autre des grands vaincus.
Le grand perdant de ces PASO a été le péronisme, avec Sergio Massa à sa tête. Ni Alberto Fernández ni Cristina ne sont apparus dans la campagne, ni dans le bunker dans lequel Massa a pris la parole à plusieurs reprises pour remercier Grabois, le collecteur qui s’est manifesté pour empêcher une frange d’aller vers la gauche, avec laquelle le résultat aurait probablement été pire. Il faut aussi noter que l’Union pour la Patrie a perdu à Santa Cruz, terre kirchnériste par excellence, où les enseignants subissent des salaires de misère de la part de la gouverneure Alicia Kirchner, qui les ajuste, les persécute et les criminalise dans le meilleur style de Macriste.
Le péronisme a perdu cinq millions et demi de voix, vingt points de moins qu’en 2019 (27 contre 47%). Même là où il a gagné, comme dans la province de Buenos Aires, le gouverneur Kicillof, qui se représente, a perdu 16 points avec 1,5 million de voix en moins. Concrètement, le Frente de Todos de l’époque (aujourd’hui Unión por la Patria) peut uniquement montrer plus d’austérité, de pillage et de capitulation devant le FMI. Un gouvernement qui, le lendemain des élections, a dévalué le peso de 22% sur ordre direct du FMI, ce qui génère déjà une inflation à deux chiffres pour les mois à venir, ayant comme conséquence une perte plus importante de salaires et de pensions. Voilà le péronisme d’aujourd’hui, au XXIe siècle, qui montre qu’il n’est absolument pas «national et populaire», comme il le prétend faussement.
Le gouvernement a déjà lancé la campagne selon laquelle nous devons le soutenir en octobre pour que «la droite ne gagne pas». Bien sûr, Milei et Bullrich sont condamnables et doivent être combattus, mais le péronisme n’est pas l’outil. Comme l’a très bien dit Myriam Bregman ce dimanche: «sous le gouvernement du Frente de Todos, l’ultradroite s’est développée comme jamais auparavant».
Qu’est-ce que «combattre la droite» ? Combattre la droite aurait été d’ignorer le pacte de Macri avec le FMI et de cesser de payer une dette usuraire et frauduleuse, comme nous l’avons postulé depuis le Frente de Izquierda, et non le contraire, comme l’a fait le gouvernement du Frente de Todos.
Combattre la droite à Jujuy, par exemple, ce serait faire ce que les gens de Jujuy font avec le soutien du Frente de Izquierda Unidad: affronter la réforme constitutionnelle capitularde et répressive de Gerardo Morales, et non comme l’a fait le péronisme, qui a été complice et a même voté en sa faveur. On a vu le même sous le gouvernement de Macri en 2015-2019, où seuls les travailleurs, le syndicalisme combatif et la gauche ont affronté la réforme des retraites en décembre 2017, alors que le péronisme a voté les lois de Macri et que la CGT a été complice de l’ajustement de Macri. Il ne faut pas se laisser abuser. Assez de double discours. La gauche est la seule qui continuera d’être cohérente en affrontant l’ajustement et la répression de tous les gouvernements, comme nous l’avons toujours fait, en y mettant notre militantisme et nos sièges. C’est la grande leçon à tirer des résultats que nous avons obtenus lors toutes ces années.
Le Frente de Izquierda a fait une bonne élection, faisant du ticket Bregman-del Caño le seul ticket de gauche parmi les cinq candidats à la présidence, appelant à lutter dans les luttes et dans les élections.
Le Frente de Izquierda Unidad a fait une bonne élection, dans le cadre de laquelle les trois forces patronales ont obtenu 86% des voix. Les 628 893 voix qu’il a obtenues sont très précieuses pour continuer à renforcer la seule alternative des travailleurs: le syndicalisme militant et l’unité de la gauche pour affronter les candidats de l’austérité et du FMI.
La liste formée par le PTS et Izquierda Socialista, dirigée par Myriam Bregman et Del Caño, avec “Pollo” Sobrero comme gouverneur dans la province stratégique de Buenos Aires et tant de combattants dans le reste du pays, a été la grande gagnante des élections internes du Front d’Izquierda. Un triomphe national qui a récompensé ceux d’entre nous qui ne se sont pas divisés et qui ont respecté les accords au sein du Frente de Izquierda qui lui ont permis de grandir au fil des ans. Un vote particulièrement important a été récolté dans les quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération profonde, comme se fut démontré à La Matanza et dans d’autres districts, à l’exception du chef de gouvernement de la CABA, où il y a eu une élection locale controversée, détachée de l’élection nationale et avec un vote électronique désastreux, la liste PO-MST l’emportant.
La liste PTS-Izquierda Socialista a gagné au niveau national avec 70% des voix contre 30% pour la liste PO-MST avec Solano-Ripoll. Par contre, la division promue par ces partis a empêché le Frente de Izquierda de lutter de manière unie contre les partis patronaux, attaquant notre liste par des mensonges et des accusations infondées. Les autres listes de gauche, en dehors de FIT-Unité, comme le Nouveau MAS de Manuela Castañeira et Marcelo Ramal de Política Obrera, n’ont pas passé les PASO.
Maintenant, le Frente de Izquierda va se battre avec une seule liste contre les candidats des patrons. Nous appelons les combattants et le reste de la gauche à rejoindre ce combat ensemble, en soutenant les candidats du Frente de Izquierda Unidad, dirigé par Bregman.
Nous appelons à continuer à présenter un programme de fond, comme nous l’avons fait dans les PASO, pour la rupture avec le FMI, le non-paiement de la dette extérieure, en soutien aux luttes ouvrières et populaires comme à Jujuy et chez les enseignants, en défense des droits des femmes, des dissidents et des jeunes, contre le pillage de l’environnement et en répudiation de la répression et de la gâchette facile. Nous disons que Milei, Bullrich et Massa sont les candidats de l’austérité et du FMI et que, par conséquent, l’issue traverse la gauche, par le renforcement d’une alternative ouvrière et socialiste afin de lutter pour imposer un plan économique ouvrier et populaire et un gouvernement de gauche et des travailleurs. Les politiciens patronaux sont impliqués dans leurs «stratégies» électorales en vue du mois d’octobre. Ils s’inquiètent de sa façon de continuer à tromper les travailleurs et les jeunes, en spéculant sur qui sera dans les urnes, alors que les travailleurs s’enfoncent dans la misère.
Pour notre part, Izquierda Socialista et FIT-Unité appellent les travailleurs à faire face aux nouvelles mesures d’austérité que le gouvernement vient de décharger.
Nous dénonçons la bureaucratie syndicale de la CGT et du CTA, qui passe son temps à soutenir le gouvernement, en exigeant qu’ils appellent à une grève nationale et à un plan de lutte. Nous mettons tout notre militantisme et notre syndicalisme militant au service du soutien des revendications ouvrières et populaires, et du renforcement de la seule liste de gauche en octobre, en mettant en avant notre programme ouvrier et socialiste et en luttant pour plus de sièges à gauche. Nous saluons celles et ceux qui nous ont accompagné dans ce combat, en les appelant à continuer à le faire ensemble. (16 août 2023, Izquierda Socialista d’Argentine pour version française)
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