Le mouvement en faveur du climat a commencé à prendre de l’ampleur et l’industrie du pétrole et du gaz commence à avoir peur. Les compagnies d’énergie fossile ont multiplié leurs achats de propagande publicitaire, plaçant des tas de publicités sur les médias sociaux, dans les magazines et même lors des sommets mondiaux sur le climat. En Australie, un rapport récent a révélé que l’industrie des combustibles fossiles a doublé ses dons politiques au cours des quatre dernières années.
Ces exemples d’accablement croissant des compagnies pétrolières et gazières sont en fait un signe d’espoir dans la mesure où ils reflètent la montée en puissance du mouvement climatique, qui a remporté des victoires dans tout le pays.
L’élan actuel du mouvement climatique remonte à des changements sociaux et culturels sans précédent qui se sont produits à la fin de 2018, lorsque le public américain a commencé à se préoccuper d’une nouvelle manière de la crise climatique.
Les récents changements culturels aux Etats-Unis alimentent le mouvement climatique
En 2016 encore, il était difficile d’amener les gens à se préoccuper de la crise climatique. Les chercheurs et les communicants sur le climat sonnaient la cloche depuis des décennies. Ces derniers temps, avec force, ils pointaient du doigt le rapport crucial de 2014 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui affirmait, de manière décisive, que les humains réchauffaient la terre et que nous n’avions que quelques décennies pour arrêter d’émettre des gaz à effet de serre afin d’éviter une catastrophe totale. Pourtant, sur 14 thèmes électoraux, les électeurs américains interrogés par le Pew Research Center en 2016 classaient l’environnement au douzième rang. La candidate démocrate à l’élection présidentielle (Hillary Clinton) était une opportuniste du climat qui a conduit le Département d’Etat à «[vendre] la fracturation hydraulique au monde», a écrit Mother Jones. Ce fut aussi l’année la plus chaude jamais enregistrée.
Puis ce fut 2018, la cinquième année la plus chaude jamais enregistrée. Il était encore difficile d’amener les gens à s’intéresser à la crise climatique. Lors d’une conférence des dirigeants démocrates cette année-là, rapporte Politico, des personnalités démocrates supposées être «dévouées au climat» – les milliardaires Michael Bloomberg, Tom Steyer, et même le gouverneur de l’Etat de Washington (depuis 2013) Jay Inslee – ont tourné autour du sujet en s’adressant aux électeurs. Par rapport à d’autres questions, «on ne peut pas dire que c’est prédominant», a déclaré M. Inslee à Politico. Seulement 2% des électeurs interrogés par le Yale Program on Climate Change Communication (YPCCC) ont déclaré que le réchauffement climatique était leur principal sujet de discussion pour les prochaines élections de mi-mandat.
Mais à la fin de cette année-là, quelque chose de nouveau s’est produit au sein du public américain: une masse critique de personnes a commencé à se préoccuper réellement de la crise climatique.
Il est difficile de dire exactement pourquoi. Il s’agissait probablement d’une convergence d’éléments: les catastrophes naturelles de 2017 et 2018 ont coûté aux Etats-Unis près de 400 milliards de dollars en dommages, l’activisme climatique s’est intensifié et le Green New Deal (GND) a donné au mouvement engagé face à la crise climatique une orientation qui correspondait à l’urgence nécessaire pour y faire face. Comme l’a dit Al Gore [vice-président de janvier 1993 à janvier 2001] au début de 2019, les Etats-Unis étaient, pour la première fois, proches d’un «point de basculement» politique sur le climat.
Un document publié au début du mois de février 2020 [élaboré par Hans Joachim Schellnhuber et alii, en novembre 2019] par des chercheurs allemands sur les points de basculement sociaux en matière de climat le suggère également. «Il existe des preuves anecdotiques récentes que des manifestations, telles que les Friday For Future climate strikes d’écoliers/étudiant·e·s du monde entier, les manifestations d’Extinction Rebellion au Royaume-Uni et des propositions telles que le Green New Deal aux Etats-Unis, pourraient être des indicateurs de ce changement de normes et de valeurs qui se produit actuellement», ont écrit ces scientifiques.
Le mouvement en faveur du climat commence enfin à faire son chemin. La sagesse ancienne dit que la compréhension du problème est la moitié de la solution, mais la crise climatique est un problème beaucoup plus complexe que ceux que l’homme moderne a dû résoudre jusqu’ici. Comme l’a écrit David Roberts pour Vox: «Le problème est que le changement climatique… est plus profondément enraciné dans l’économie, global et irréversible d’une manière qu’aucun problème précédent n’a été» [in Vox du 29 janvier 2020 «Les seuils de basculement sociaux constituent le seul espoir pour le climat»].
Le mouvement pour le climat obtient quelques victoires, mais il reste d’énormes obstacles à franchir.
Les compagnies pétrolières et gazières perdent de leur influence
Si les problèmes sont aussi profondément enracinés que le dit David Roberts, c’est en partie à cause de la domination historique presque complète des combustibles fossiles dans l’approvisionnement énergétique. Mais, même depuis le début de l’année 2020, cette domination commence à s’atténuer.
Les institutions sont plus nombreuses qu’auparavant à se défaire des placements dans le secteur des combustibles fossiles. Le fonds d’investissement BlackRock [siège social à New York], le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a annoncé tardivement en janvier qu’il allait désormais placer le climat dans la détermination de ses choix d’investissement (une mesure positive mais qui ne doit pas nous détourner du fait qu’il est «toujours le plus grand investisseur au monde dans les combustibles fossiles», selon le site d’informations VICE).
En outre, Goldman Sachs a récemment annoncé qu’il ne financerait pas de forage dans l’Arctique: un désinvestissement lointain, mais un bon début. Selon le Financial Times (9 septembre 2019) plus de 1100 investisseurs institutionnels se sont maintenant engagés à réduire leur portefeuille dans le secteur des combustibles fossiles, contre 180 en 2014. Et, de manière plus spectaculaire, l’université de Georgetown a rejoint le nombre croissant d’universités qui se sont engagées à ce type de désinvestissement. La campagne pour le désinvestissement de Harvard s’est récemment rapprochée lorsque les professeurs de Harvard ont voté massivement en faveur de cette mesure.
Pendant ce temps, fin janvier 2020, l’animateur de Mad Money [sur la chaîne de TV CNBC] Jim Cramer a déclaré qu’il en avait «fini» avec les combustibles fossiles, déclarant qu’ils étaient dans la phase «pour qui sonne le glas». A peu près à la même époque, les actions d’ExxonMobil et de Chevron ont chuté en raison de la faiblesse des bénéfices trimestriels.
Bref, l’argent commence à se réduire. Et les entreprises sont de plus en plus inquiètes.
Les compagnies pétrolières et gazières ont peur, «en raison de l’activisme public visible et croissant et de la construction du mouvement», dit Kathy Mulvey, qui dirige la campagne sur la responsabilité des entreprises à l’Union of Concerned Scientists. Elles ne cherchent toujours pas à abandonner le pétrole et le gaz, et ne le feront probablement jamais. Comme le rapporte Emily Atkin dans HEATED (24 février 2020), les dirigeants du secteur pétrolier ont dédoublé leur stratégie en achetant une sorte d’approbation sociale – en d’autres termes, pour essayer d’accroître l’acceptation de l’entreprise par le public [des fonds sont alloués au MIT, par exemple] –, en lançant un appel aux investisseurs au lieu d’arrêter ou de ralentir le forage. Mais ils sont poussés à l’extrême pour continuer à acheter un acquiescement social, et des campagnes comme #ExxonKnew sèment encore plus de scepticisme face à ces tentatives.
En février, BP a annoncé son plan pour atteindre le niveau zéro net d’émissions d’ici à 2050 – une affirmation qui a suscité beaucoup de scepticisme de la part des milieux engagés dans la question climatique, car, en 2018, même les entreprises de combustibles fossiles qui parlent beaucoup de leurs investissements dans les «énergies propres» n’y consacrent encore qu’environ 1% de leur budget.
Selon Kathy Mulvey, le mouvement anti-fossiles prend rapidement de l’ampleur, «et c’est à ce stade d’une campagne, lorsqu’elle a de l’élan, que s’affirme le moment où nous devons intensifier la pression». L’élan est grand pour le mouvement, mais il ne permettra pas de réduire les émissions. C’est là que, espérons-le, la politique peut intervenir.
Les politiques climatiques se répandent
Sauf une victoire majeure au plan juridique, l’un des meilleurs moyens de faire tomber l’industrie des combustibles fossiles sera de réduire considérablement la demande de combustibles fossiles. Au cours de l’année dernière, le Green New Deal est apparu comme la politique la mieux placée pour y parvenir.
Le Green New Deal (GND), aux Etats-Unis, est devenu une référence dans le domaine de la politique climatique. Selon des militant·e·s du climat, des politiques et des scientifiques, ce plan est le plus adéquat pour répondre à l’ampleur de la crise. Lors du blitz médiatique du GND fin 2018-début 2019, plusieurs médias ont prédit que le soutien à ce paquet politique serait un test décisif pour les candidats à la présidence en 2020. Depuis lors, il a pris une nouvelle forme: tous les candidats démocrates restants ont une sorte de plan pour faire face à la crise climatique, avec Bernie Sanders qui promeut un plan global qui fait écho au GND [tel que développé par Alexandria Ocasio-Cortez, élue démocrate à la Chambre des représentants pour le 14e district de New York].
Pendant ce temps, les gouvernements locaux et d’Etat, dans des endroits comme Santa Fe [capitale du Nouveau-Mexique], ont introduit ou prévoient d’introduire une législation de type GND qui ne traite pas seulement des émissions de gaz à effet de serre, mais inclut également des termes ayant trait à la justice environnementale. La ville de New York a adopté un Green New Deal en avril 2019, en grande partie grâce au travail acharné des militant·e·s. Peu après, l’Etat de New York a suivi avec un plan ambitieux de réduction des émissions. Justine Calma a écrit sur le site Grist qu’il représentait le «premier pas» vers un GND à l’échelle nationale. Le maire Bill de Blasio [maire de New York depuis janvier 2014] a développé les ambitions de la ville en matière de GND en annonçant l’interdiction de construire de nouvelles infrastructures pour des combustibles fossiles dans la ville. La faisabilité de cette mesure est sujette à discussion, mais c’est exactement le genre de message que les militant·e·s pour le climat cherchent à faire passer aux politiques depuis des années.
«Le mouvement de base prend de l’ampleur comme nous l’avions toujours rêvé, en termes de pression sur nos politiques», déclare Beta Coronel, l’une des principales organisatrices états-uniennes du réseau 350.org [pour la transition énergétique]. «Ce que nous voyons est le résultat, en réalité, d’une décennie ou plus de travail du mouvement climatique», dit-elle.
En octobre de l’année dernière, le Congrès a organisé une audition pour examiner dans quelle mesure Exxon avait semé le doute quant à l’effet de son activité sur le changement climatique. Les politiques commencent à saisir l’influence de l’industrie des combustibles fossiles et, à ce jour, plus de 2000 politiques locaux, fédéraux et à l’échelle des Etats ont signé l’engagement: «No Fossil Fuel Money».
Les candidats à la présidence qui ont signé cette promesse mais qui acceptent néanmoins de l’argent de personnes ayant des liens avec le secteur des combustibles fossiles, comme Joe Biden, sont tenus pour responsables par les militant·e·s et des journalistes. Cette promesse est peut-être une victoire symbolique pour l’instant, mais c’est le premier pas vers un relâchement de l’emprise de l’industrie sur nos politiques, et donc sur notre politique.
Les médias commencent à prendre conscience de leur rôle
Les journalistes qui insistent sur la responsabilisation, sur une reddition des comptes – et ceux qui ne le font pas – jouent indéniablement un rôle important dans la situation actuelle en matière de climat. En ignorant ou en minimisant la crise climatique, les médias ont fait preuve de complaisance, et c’est encore le cas aujourd’hui.
Un rapport spécial de Columbia Journalism Review et The Nation de l’année dernière a constaté que «le silence sur le climat continue de régner» dans les médias états-uniens, en particulier dans les informations diffusées (chaînes d’information en continu). Mais si les médias sont responsables de la persistance de la crise climatique, ils peuvent aussi contribuer à la stopper.
«Au lieu de nous conduire à la catastrophe, les médias états-uniens doivent se souvenir de leurs responsabilités envers Paul Revere [héros populaire de la Révolution américaine]: réveiller, informer et inciter les gens à l’action», ont écrit Mark Hertsgaard et Kyle Pope dans ce même article de CJR/The Nation. Dans cette contribution, ils annoncent la «Couverture du changement climatique: A New Playbook for a 1.5-Degree World», auquel plus de 400 médias, dont le site Truthout, ont participé dans le but de diffuser et d’améliorer le journalisme concernant la crise climatique.
Il s’agissait de l’une des nombreuses nouvelles initiatives sur le climat entreprises par les médias et les journalistes au cours de l’année 2019. La journaliste Emily Atkin – anciennement rédactrice de The New Republic – a lancé un bulletin d’information sur le climat, HEATED, qui a obtenu des milliers d’abonnés dès son lancement. Le succès d’Atkin a inspiré le New Yorker [un magazine prestigieux] à commander un bulletin d’information hebdomadaire à l’écrivain et militant Bill McKibben [fondateur du réseau associatif 350.0rg en 2007]. Bloomberg Media a lancé une nouvelle publication axée sur l’environnement, Bloomberg Green, qui comprend un podcast, des bulletins d’information et un magazine imprimé. La journaliste Amy Westervelt et l’essayiste Mary Annaïse Heglar ont lancé un podcast sur les médias du climat. Et la liste continue.
Le Guardian a donné le ton en matière de normes éditoriales et publicitaires liées à la crise climatique: parallèlement à son propre plan «net-zero» d’ici à 2030, il a annoncé l’année dernière qu’il supprimerait des expressions telles que «changement climatique» et «réchauffement planétaire», qui peuvent induire les lecteurs en erreur quant à la gravité de la crise, pour les remplacer par les expressions plus précises «crise climatique» et «embrasement planétaire». Et, en janvier, The Guardian a annoncé qu’il ne diffuserait plus de publicités financées par des entreprises de combustibles fossiles.
En revanche, la couverture du climat sur le front de l’information télévisée reste lamentable. Un rapport de Media Matters for America a révélé que le plus grand problème auquel l’humanité ait jamais été confrontée ne représentait que 0,6% de la couverture médiatique en 2019. Quoi qu’il en soit, les médias audiovisuels ont fait un petit pas vers une meilleure couverture en 2019: bien que le Comité national démocrate (DNC) [direction nationale du Parti démocrate] n’ait pas voulu autoriser un véritable débat sur le climat, la chaîne CNN a organisé une réunion publique sur le climat. Comme Robinson Meyer l’a fait valoir dans The Atlantic, un débat sur le climat aurait pu soulever la question et aider le public à comprendre les plans climatiques. Hélas, bien que de nombreux médias aient appelé à un débat sur le climat, le DNC s’est montré inflexible.
L’opinion publique change
Les médias ont le pouvoir d’influencer l’opinion publique, et la récente poussée sur le climat dans les médias grand public se produit, probablement pas par hasard, en même temps que des changements dans la prise de conscience de l’opinion publique.
Dans l’Iowa, le New Hampshire et le Nevada, le climat était soit le premier, soit le deuxième sujet de préoccupation des électeurs lors des primaires démocrates. Les salarié·e·s d’entreprises comme Amazon risquent leur emploi pour protester contre les effets de leur propre entreprise sur le climat. Il est encourageant de constater que la dernière enquête du YPCCC (Yale Program on Climate Change Communication) révèle que, pour la première fois, le groupe dit des «alarmés», ceux qui sont les plus préoccupés par la crise climatique, compte plus de personnes que tous les autres groupes d’opinion sur le climat.
Ces changements dans l’opinion publique ne sont pas encore suffisants, mais ils sont passionnants. Les électeurs/électrices états-uniens des deux partis veulent depuis longtemps une politique climatique mais n’en ont pas fait une priorité, comme l’illustre l’élection, vague après vague, de responsables qui refusent et retardent l’adoption de mesures climatiques. Mais de plus en plus d’électeurs et d’électrices commencent enfin à donner la priorité à la crise climatique dans leurs décisions électorales. Ils cherchent à rendre les politiques responsables de leurs liens avec les intérêts des secteurs pétroliers et gaziers.
Il est nécessaire de consacrer du temps à la réflexion sur les victoires et l’élan croissant du mouvement climatique – comme l’a fait cet article – pour continuer à alimenter cette dynamique. Même si le fait de se concentrer sur les victoires peut être ressenti comme trop de bienveillance face à tant de changements urgents et de mauvaises nouvelles climatiques, nous devons reconnaître ces petits pas imparfaits afin de ne pas perdre espoir en cette période critique.
Les militant·e·s pour le climat et la communauté, au sens large, doivent savoir que leur travail est efficace, surtout en ce moment. Presque tous ces changements ont eu lieu au cours de l’année dernière, et la plupart d’entre eux n’ont eu lieu qu’au cours des deux derniers mois.
Alors, «pliez» ces victoires, mettez-les dans votre poche et emportez-les avec vous. Il reste encore beaucoup de travail à faire. (Article publié sur le site Truthout, le 6 mars 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
Sharon Zhang est chargée de la rubrique sur le climat pour le site Truthout.
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