Plus de 2 millions de personnes vivant aux Etats-Unis sans assurance maladie risquent d’être hospitalisées ou traitées pour le COVID-19, la maladie respiratoire due au nouveau coronavirus. La pandémie a provoqué l’arrêt d’une grande partie du pays, selon une nouvelle analyse effectuée par la Kaiser Family Foundation.
Selon les chercheurs, de nombreuses incertitudes pèsent sur l’évaluation de l’épidémie de COVID-19 et sur le nombre de personnes qu’elle affectera. Les taux d’infection ainsi que des modèles épidémiologiques permettent néanmoins d’estimer que 2 à 7% de la population non assurée contre la maladie nécessiteront une hospitalisation ou un traitement pour COVID-19. C’est-à-dire qu’entre 670’000 et un peu plus de 2 millions de personnes dépourvues de toute couverture sanitaire pourraient nécessiter un traitement pour le COVID-19 avant la fin de la pandémie.
Ces chiffres suivent de peu la publication du rapport alarmant du Department of Health and Human Services (ministère de la Santé et des Services sociaux) qui confirme ce que répètent depuis des semaines les travailleurs et travailleuses de la santé. Les hôpitaux du pays sont submergés par la crise du COVID-19. Avec sa propagation, les hôpitaux signalent l’apparition de «défis importants» affectant leur capacité à traiter les malades du COVID-19. La pénurie générale de ventilateurs, d’équipements de protection individuelle et d’autres fournitures essentielles met en danger patients et employés.
L’administration Trump a affirmé qu’elle rembourserait les hôpitaux traitant des patients COVID-19 non assurés, ce qui coûtera au gouvernement entre 13,9 milliards et 41,8 milliards de dollars, selon l’analyse de Kaiser Family Foundation. Bien que le plan de l’administration pour rembourser les prestataires de soins de santé manque de détails, des responsables de l’administration ont indiqué la semaine dernière qu’ils débloqueraient 100 milliards de dollars pour le financement des hôpitaux du programme de relance Coronavirus Aid, Relief and Economic Security (CARES), récemment adopté par le Congrès.
Les Etats-Unis comptaient près de 28 millions de personnes dépourvues d’assurance en décembre 2019. Leur nombre a probablement augmenté puisque les entreprises ont licencié ou mis en disponibilité des millions de travailleurs en raison de la crise [l’assurance maladie étant liée à l’emploi]. De nombreux Américains ont perdu la couverture maladie que prenaient en charge leurs employeurs ou n’ont plus un revenu suffisant pour payer leurs primes aux compagnies d’assurances privées. Selon une étude publiée mardi 7 mars dans les «Annals of Internal Medicine», 7,3 millions de travailleurs perdront leur couverture maladie d’ici à juin 2020, preuve de ce qu’un auteur a appelé la «folie de lier la couverture maladie aux emplois».
Certains nouveaux chômeurs/chômeuse pourront bénéficier du Medicaid, le programme d’assurance gouvernemental pour les personnes à faible revenu. Toutefois, les politiciens conservateurs de 14 Etats ont refusé l’extension de l’Affordable Care Act’s (ACA), la loi sur l’accès aux soins du Medicaid, qui permettrait d’en faire bénéficier plus de gens. D’autres Etats ont réduit les fichiers d’accès à Medicaid en supprimant la couverture des personnes dont les conditions de travail ne satisfont pas aux contraintes fastidieuses du dispositif, ou qui sont tout simplement incapables de documenter leur emploi et de remplir les papiers à temps.
Du président Trump à la base de son parti, les républicains ont passé leur temps à attaquer Medicaid et l’ACA. Ils se trouvent maintenant dans un cul-de-sac politique lorsque la crise met en évidence les graves problèmes du système de santé des Etats-Unis, complexe et extrêmement coûteux. La semaine dernière, Alex Azar, le secrétaire d’Etat à la Santé a suggéré que les personnes perdant la couverture maladie liée à leur emploi s’inscrivent à Medicaid ou bénéficient d’une période d’inscription spéciale pour l’ACA, où des régimes d’assurance privés subventionnés sont proposés à ceux qui y ont droit. Les gouverneurs républicains des Etats rouges (les Etats traditionnellement républicains), comme le Texas et le Mississippi, après des années passées à empêcher l’extension du Medicaid, subissent aujourd’hui une forte pression pour enfin avancer dans cette direction.
Eagan Kemp, défenseur de la politique des soins de santé au sein du groupe de vigilance citoyenne Public Citizen, estime que l’analyse de Kaiser met en évidence les avancées que l’administration Trump doit encore accomplir pour garantir à tous les Etasuniens ces soins dont ils ont besoin pendant une crise.
«Cette administration a bousillé presque tous les moyens qui auraient permis d’affronter la crise du COVID-19. Et nous voilà conduits à traiter tant de patients, à déplorer tant de décès que nous aurions pu éviter si tel n’avait pas été le cas», a déclaré Eagan Kemp dans un e-mail. «Et parce que leur réponse inadéquate a également entraîné une baisse plus forte et probablement plus longue de l’économie, cela signifie que davantage de personnes perdront leur emploi et par conséquent leur assurance.»
Le président de la Kaiser Family Foundation, Drew Altman, estime que les plans de l’administration pour prendre en charge les frais hospitaliers des patients COVID-19 non assurés apporteraient sans doute quelque «tranquillité d’esprit» à ces derniers. Toutefois, les personnes non assurées ou sous-assurées devraient quand même affronter des frais élevés, en particulier si leur traitement n’est pas couvert dans le cadre de la loi CARES, ou si elles souffrent d’une autre maladie, comme la grippe.
«Les dispositions précises du plan sont floues, Il n’est pas clair s’il sera appliqué aux patients non assurés testés négatifs au coronavirus mais nécessitant des soins en dehors des hôpitaux», a déclaré Altman dans un communiqué.
Les trois projets de relance économique COVID-19 adoptés par le Congrès prévoient un financement d’urgence pour les hôpitaux et des tests de coronavirus gratuits pour les personnes non assurées via Medicaid. Mais les législateurs n’ont pas alloué de fonds spécifiquement destinés au traitement des patients COVID-19 non assurés. La législation comporte peu d’information sur la façon dont les 100 milliards de dollars aux services de santé seront distribués, l’administration s’était pourtant engagée à les fournir rapidement. Or, un certain nombre de questions cruciales demeurent. Par exemple, le financement du réseau des hôpitaux de santé publique destinés aux populations économiquement vulnérables bénéficiera-t-il d’un soin particulier?
Ce que nous savons, c’est que les hôpitaux, à but lucratif ou à but non lucratif, peuvent demander de quoi payer une série de dépenses liées au coronavirus, comme les fournitures médicales ou la construction de structures temporaires d’urgence pour faire face à la vague de patients. Les hôpitaux ne peuvent donc pas utiliser ce financement pour des dépenses qui font déjà l’objet d’un remboursement par un autre payeur, comme une compagnie d’assurances privée.
Selon l’analyse faite par Kaiser Family Foundation, la proportion de la population américaine infectée pourrait atteindre 20 à 60% de la population. Le remboursement aux hôpitaux des soins dispensés aux patients COVID-19 non assurés pourrait alors représenter 14% à 40% des 100 milliards de fonds spéciaux annoncés par le Congrès. Compte tenu de l’incertitude, on ne sait pas encore s’il existe suffisamment de fonds pour couvrir à la fois les ressources non assurées et les autres ressources essentielles nécessaires aux hôpitaux, comme les fournitures médicales et les installations temporaires.
Mardi 7 avril, Trump a manœuvré pour destituer le président (Glenn Fine) de la commission fédérale, mise en place par le Congrès, pour surveiller la gestion et la distribution par son administration des 2000 milliards de dollars du fonds de relance «coronavirus». Cette manœuvre fait craindre que le président s’entoure à nouveau d’hommes à lui pour empêcher une surveillance indépendante. Vendredi 2 avril, Trump avait déjà destitué l’inspecteur général de la communauté du renseignement (Michael Atkinson), qui avait alerté le Congrès de la plainte des lanceurs d’alerte, ouvrant la voie à la procédure d’impeachment de Trump l’an dernier.
«Donald Trump ne recule devant rien pour entraver la surveillance et installer ses hommes liges aux postes clés», a déclaré mardi 7 avril le Sénateur Ron Wyden (Démocrate, Oregon), membre de la Commission des Finances du Sénat. «Donald Trump se livre délibérément à une purge systématique des inspecteurs généraux qui ont fait leur travail et ont refusé de céder aux pressions politiques. Les républicains qui ont voté contre l’impeachment du président ont tous ouvert la voie à cette dérive autoritaire.»
Les défenseurs des services de santé demandent à l’administration Trump d’inscrire automatiquement et pour la durée de la crise toutes les personnes non assurées à Medicare. Medicare est le système d’assurance fédéral subventionné pour les Etasuniens âgés de 65 ans, système que des progressistes tels que le sénateur Bernie Sanders, ex-candidat à la présidence, veulent développer sous la forme d’un programme public universel «Medicare for All» qui remplacerait les assurances privées.
«Il est difficile d’imaginer un moment plus cruel pour perdre l’accès aux soins médicaux, et faire face à des dettes de santé voire à la faillite», a déclaré Kemp. «Il est temps d’inscrire tous ceux qui perdent leur emploi, ainsi que leurs familles, à Medicare pour la durée de la crise afin qu’ils et elles soient assuré.e.s d’obtenir le test et le traitement dont ils ont besoin sans avoir à se ruiner.»
A ce jour, l’administration Trump a résisté aux appels à étendre Medicare et maintient son opposition obstinée à «Medicare for All». Lundi 6 avril, l’administration a annoncé assouplir les réglementations et réduire l’examen du programme «Medicare Advantage» pour combattre «les abus de facturation les plus répandus et les plus néfastes», selon Kemp. Le secteur de l’assurance privée a passé des mois à attaquer cet examen qui devrait permettre aux contribuables d’économiser 4,5 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.
«Protéger les assureurs privés qui menacent la viabilité à long terme de Medicare au lieu de protéger les Etasuniens contre le paiement de fraudes n’est qu’un autre exemple de cette administration qui soutient les privilégiés aux dépens du peuple américain», a déclaré Kemp.
La semaine dernière, Public Citizen et des dizaines d’autres organisations ont envoyé une lettre aux 10 plus grandes compagnies d’assurances maladie leur demandant de renoncer à tous les frais remboursables pour les patients COVID-19, y compris les participations aux frais, les frais de coassurance et les franchises. Quelques grands assureurs, dont Cigna et Humana, ont déjà accepté de renoncer à certains des coûts pour les patients COVID-19 qui auraient normalement été facturés à leurs clients. (Article publié sur le siteTruthout, en date du 8 avril, 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
Mike Ludwig est membre de la rédaction Truthout. Il a contribué à l’anthologie de Truthout, Who Do You Serve, Who Do You Protect? (Qui sers-tu? Qui protèges-tu?).
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