Peu avant cinq heures de l’après-midi, une volontaire chauffe le lait dans une énorme marmite dans la cuisine de Lidia Amanda Grim. En quelques minutes, il sera distribué aux enfants du quartier Rivadavia, l’un des quartiers précaires de Bajo Flores, au sud de Buenos Aires. Lorsque Lidia Amanda Grim a décidé en 2016 de sacrifier la cour de sa maison pour en faire une aire de repas gratuits, 20 enfants sont venus. Aujourd’hui, il y en a plus de 130, la fréquentation a éclaté dans tous les endroits qui offrent de la nourriture gratuite et dans certains il y a une liste d’attente. Ils sont confiants que la déclaration d’urgence alimentaire approuvée mercredi 18 septembre [1] par le Congrès, qui augmente de 50% les fonds pour les cuisines communautaires, leur permettra d’avoir plus de ressources pour atténuer ces effets de la grave crise économique argentine.
«Au moins, on reconnaît le problème, espérons qu’il y aura plus d’aide», dit Lidia Amanda Grim en évaluant l’urgence alimentaire à la porte de sa maison, qui est aussi la porte de l’aire de repas Los días más felices et dont la façade présente un portrait peint de Perón et Evita. Les enfants et les adolescents s’approchent avec des récipients à la main pour recevoir l’équivalent d’une tasse de lait et deux petits pains sucrés pour chaque enfant de la famille. Le lait est donné par la municipalité ou, à défaut, ils le reçoivent grâce à des dons, tandis que les petits pains sont cherchés dans une boulangerie de la zone.
«Ça devient de plus en plus difficile. La semaine dernière, comme ils ne nous ont pas envoyé de lait, nous avons dû leur donner du maté cuit» [boisson traditionnelle à base d’herbe], explique la responsable, en référence à l’infusion argentine la plus populaire. Les boulangeries ont réduit leur production et n’ont pas d’excédents, ou les vendent moins cher à la dernière minute, ce qui complique aussi leur distribution aux plus démunis. Une rue plus loin se trouve un autre local pour la distribution d’aliments; deux rues plus loin se trouve une cantine populaire.
La moitié des enfants argentins sont pauvres et un tiers d’entre eux reçoivent des repas gratuits à l’école ou dans les cantines des organisations de quartier. Sans ces espaces, la situation actuelle serait encore pire. En Argentine, un pays qui produit de la nourriture pour plus de 400 millions de personnes, près de dix fois sa population, en 2018 «13% des enfants ont connu la faim, tandis que 29,3% ont réduit leur alimentation», prévient le dernier rapport de l’Observatoire de la dette sociale Argentine. Cela représente une augmentation de 30% par rapport à 2015. «Ces données montrent la nécessité d’organiser un débat académique, mais aussi politico-social pour mettre fin à la faim et garantir le droit à l’alimentation», affirme l’agence de l’Université catholique argentine.
L’Observatoire souligne également que dans les ménages les plus vulnérables d’Argentine, en plus de la quantité, la qualité des repas a également été réduite. Selon le rapport Barómetro de la Deuda Social de la Infancia (Baromètre de la dette sociale des enfants), l’alimentation quotidienne de 6,5% des enfants et adolescents manque de tous les nutriments essentiels.
«Une fois un enfant s’est évanoui en faisant du sport, quand nous l’avons emmené à l’hôpital Piñeiro, nous avons découvert que c’était parce qu’il n’avait pas mangé, qu’il n’avait pas mangé depuis un jour», explique Guido Veneziale, président du club de sport du quartier Villa Miraflores, qui accueille de nombreux enfants du quartier Rivadavia, dont la plupart sont boursiers (scolaires). «Nous avons environ 300 retraités ici et je vous dirais que 90% d’entre eux mangent une fois par jour aujourd’hui», ajoute Veneziale.
Une inflation effrénée
Le prix des aliments a augmenté de près de 60% au cours de la dernière année, alors que les revenus des ménages ne cessent de diminuer. «J’ai travaillé quatre ans dans le nettoyage, mais quand je suis tombée enceinte, j’ai dû arrêter parce qu’ils me rendaient folle. Depuis 2017, je n’ai pas pu trouver un emploi stable», dit Lis, une mère célibataire avec deux enfants à charge. «Si je n’avais pas l’AUH (aide universelle pour un enfant) et l’aide de ma mère, je n’aurais même pas à manger», poursuit cette bénévole de la cantine.
Soledad Gómez, une employée de maison avec une petite fille de trois ans à sa charge, se souvient qu’au cours des dernières années, elle a réduit les dépenses l’une après l’autre jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle ne peut même plus se payer de nourriture. «La nuit, je vais à la soupe populaire avec ma fille depuis un mois maintenant, je n’en peux plus», dit cette femme de 40 ans, résidente de Quilmes, dans la banlieue sud de Buenos Aires. «La situation est très triste et les politiciens ne la voient que maintenant, seulement parce qu’il y a des élections», se lamente-t-elle. (Article publié dans le quotidien El Pais, en date du 20 septembre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] La situation d’urgence alimentaire jusqu’en 2022. Cela implique une augmentation de 50% des fonds distribués aux cantines populaires. Cette décision a été prise sous la double pression de la situation sociale extrême et de l’échéance électorale du 27 octobre, dans la perspective d’améliorer, peut-être, la position de Mauricio Macri. Toutefois la dépense estimée à 175 millions de dollars sera à la charge du prochain gouvernement, probablement aux mains d’Alberto Fernandez. Néanmoins, le vote adopté par les deux chambres du législatif est le résultat des mobilisations sociales massives qui, depuis des semaines, exigent une aide accrue aux cantines populaires. (Réd.)
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