Communiqué de LUCHAS (en réponse à l’agression contre la protestation des professeurs d’université)
Le lundi 18 février 2019, face à une manifestation de professeurs d’université devant le ministère de l’Enseignement universitaire, des Sciences et de la Technologie (MPPEUCT), conduite par le président de la Fédération des travailleurs universitaires (secteur des enseignants), c’est-à-dire le professeur Telémaco Figueroa, une bande de motards [1] a attaqué avec des bâtons et des agressions physique la direction du syndicat du secteur. Plusieurs enseignants ont été blessés et la manifestation a été dispersée, contrainte à passer la nuit dans les bâtiments.
Dans la IVe République, durant des décennies, nous avons affronté les dirigeants étudiants et syndicaux d’Acción Democrática-Copei (AD: la social-démocratie aux ordres de Carlos-Andrés Pérez qui fut le président du Venezuela de1974 à1979 et de 1989 à 1993, et le Comité des organisations politiques indépendantes réunissant le Parti social-chrétien et les Verts entre autres, qui se sont toujours opposés à Chavez). Quand nous dénoncions les problèmes dans nos universités ou nos usines, la réponse était toujours: l’agressivité, les attaques.
Vous devez vous rappeler, Monsieur le Président Maduro – ou plutôt, camarade Nicolás Maduro – comment nous avons été persécutés aux portes des usines textiles ou d’autres entreprises et firmes lorsque nous avions distribué des tracts ou vendu la presse révolutionnaire. Nous faisions face à la menace aux directions des entreprises qui nous haïssaient parce que nous avons ouvert les yeux et éveillé la conscience des travailleurs et travailleuses. Ils nous ont envoyé leurs hommes de main pour nous liquider. Les gouvernements bourgeois nous ont accusés de rompre la paix sociale et nous ont envoyé les escouades antiémeutes de la police avec l’ordre de nous gazer et de nous battre avec des matraques et des revolvers et de nous infliger des peines de prison.
La bureaucratie syndicale nous détestait parce que nous dénoncions leur rôle pro-patronal, leur manque de démocratie comme l’absence de leur engagement à lutter pour des salaires et des conditions de travail décents. Elle nous envoyait les gangs armés de bâtons et de barres de fer et plus d’une fois, armés de poings américains et de revolvers. Se pourrait-il que nous ayons affaire à un déjà-vu syndical?
Telémaco lui-même accuse le ministre Hugbel Roa [avocat et ministre de l’éducation universitaires, de la science et de la technologie, en fonction depuis le 4 janvier 2017] de cette action, disculpant ainsi de toute faute la direction bureaucratique dirigée par M. Carlos López. Il semble préférer s’affronter à un ministre qui propose son changement que faire face à la direction syndicale dont il fait partie. Mais en tout cas, s’il en était ainsi, et si le ministre du secteur en était responsable, il n’y a pas d’explication au silence, encore moins à l’absence de répudiation de la Centrale syndicale bolivarienne du Venezuela (CTV) contre l’action pénale contre les frères de classe du secteur universitaire. Au contraire, M. López, sur son fil Twitter, semble célébrer et justifier l’action. La première chose qu’il a faite pour les réseaux sociaux a été de dénoncer le fait que Telémaco et la FUTV (Fédération des travailleurs universitaires) étaient du côté de Guaidó et ont mis en relief une image sur laquelle on pouvait lire : «Maduro usurpateur» et «Dégage maintenant». De cette façon, il disqualifie la légitimité de la protestation, jusqu’à ce qu’il en vienne à considérer que toute protestation aujourd’hui est une agression contre notre patrie, alors qu’il ne remet aucunement en question les agressions que les chavistes ou les étudiants universitaires non chavistes ont subies. Nous pouvons être d’accord ou non avec l’action directe du FTUV enseignant, mais nous la comprenons dans le cadre de la lutte des classes. Notre engagement est avec le mouvement historique de la lutte ouvrière, ouvrant chaque jour de plus en plus d’espaces pour organiser et rendre possibles les luttes de la classe ouvrière, syndiquée ou non, pour ses droits dans un cadre toujours plus large de libertés syndicales. Par conséquent, nous jugeons que le silence de la CBST (Centrale bolivarienne des socialistes, des travailleurs et des travailleuses) équivaut à une déclaration de fait.
La classe ouvrière vénézuélienne, depuis la grève du pétrole dans les années 1930, rêve d’une révolution où les travailleurs seraient écoutés et respectés dans leurs revendications, même si nous avions tort. Nous ne faisons pas que rêver, nous travaillons durement avec la base du peuple pour atteindre cet objectif. Un jour, nous avons rencontré Chávez tout juste sorti de prison [en avril 2002] et nous lui avons dit que nous craignions qu’en tant que militaire, il ne réprime les luttes sociales. Chávez nous a promis que cela n’arriverait jamais et malgré quelques incidents et agressions policières, on peut dire qu’il a tenu cet engagement, mais il a aussi promis de créer un cadre juridique et institutionnel pour la meilleure organisation de la classe, ce qu’il a également respecté.
Vous, Monsieur le Président Maduro, vous venez de la lutte syndicale contre la bureaucratie. À un moment donné, vous avez sûrement affronté les hommes de main du syndicat et souffert de contusions et de coups. D’autres fois, sûrement comme cela nous est aussi arrivé, voyant qu’il y avait tant de gens armés, nous avons choisi de fuir. Quelle rage et quelle impuissance nous ont saisis devant les gangs armés de la bureaucratie syndicale. Nous ne voulons pas que cela se reproduise dans l’histoire du Venezuela. Ceux qui ont promu cette action répressive hier, le 18 février 2019, cherchent une place dans les ruines de la CTV et dans la négation apparente que reprendraient des charges gouvernementales un certain nombre d’agents de l’impérialisme, comme ce chien domestiqué de Guaidó, cette pratique d’agression sera à nouveau imposée comme relevant d’un usage courant et d’une coutume.
En conclusion, il s’avère, Monsieur le Président, que la bureaucratie des syndicats de travailleurs universitaires utilise des gangs armés pour rendre impossibles les protestations des professeurs d’université. Ce n’est pas de la sorte qu’il faut agir, M. le Président. Vos fonctionnaires doivent écouter les professeurs d’université, encore et encore, même si le gouvernement pense que nos aspirations sont exagérées. Et s’ils les identifient de la sorte, ils doivent chercher une solution le plus rapidement possible, encore plus dans cette situation, au milieu de ce contexte d’hyperinflation qui nous dévore. Si cela les dérange que les travailleurs prennent en charge les bureaux des ministères, alors changez ces fonctionnaires et mettez ceux qui savent comment les travailleurs sont pris en charge dans un processus qui est défini comme révolutionnaire. S’il s’avère qu’au milieu du siège impérialiste, l’argent n’est pas suffisant pour des augmentations, prouvez-le avec des faits et des chiffres aux professeurs d’université, montrant de la sorte comment l’argent du ministère est utilisé. Parlez encore et encore avec les universitaires et même convainquez-les. Et si vous ne les convainquez pas, c’est parce qu’il existe là des ressources financières. Et parfois il est décidé d’utiliser ces ressources financières pour des opérations effectuées à la frontière afin d’améliorer les salaires de l’ensemble des travailleurs, nous chercherons une solution logique et dont la classe ouvrière soit partie prenante. Les professeurs d’université savent quand on leur parle de manière vraie. Vous devriez savoir très bien, M. Maduro, que le peuple possède une certaine sagesse.
Si les saisies des ministères ont lieu jusqu’à la veille de l’invasion, ne vous inquiétez pas pour les fonctionnaires, car au contraire, ils se réjouiront lorsque les canons commenceront à gronder et qu’ils pourront quitter leurs bureaux en alliance avec les travailleurs pour défendre la patrie. Que les fonctionnaires ne s’inquiètent pas, s’ils respectent les professeurs d’université et si ceux-ci se sentent traités avec dignité, même s’ils ne sont pas parvenus à un accord, ils finiront par se battre ensemble.
Vous, Monsieur le Président, vous êtes cofondateur de la Centrale socialiste bolivarienne des travailleurs, votre voix est importante pour que vous inculquiez l’éthique de la lutte ouvrière et sa capacité de direction. Pardonnez-nous d’insister sur ce point : nous ne voulons pas agir de manière agressive et nous n’accepterons pas d’imiter les bandes armées détestées de l’Action démocratique.
Monsieur le Président Maduro, vous savez que nous et la majorité des travailleurs et travailleuses irons défendre la patrie contre l’impérialisme. (Caracas, 19 février 2019; traduction A l’Encontre)
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* Luchas, Ligue unie des chavistes socialistes, animée entre autres par Stalin Pérez Borges, militant syndical et politique de longue date et dont les qualités militantes ne font pas de doute, a développé une orientation consistant, certes avec des fluctuations conjoncturelles, à agir dans le cadre du courant chaviste. Le contenu de ce texte indique à la fois une option classiste et son expression comme une aile socialiste, classiste, d’un chavisme qui n’est pas symbolisé seulement par Maduro mais par, d’une part, le renforcement d’un bolibourgeoisie, d’un parti politico-militaire, d’un effondrement de la société vénézuélienne dans ses diverses expressions. L’anti-impérialisme repose ici sur l’hypothèse d’une intervention directe des Etats-Unis, cela sans prendre en compte, à l’heure présente, les conflits exacerbés entre les différents pôles de ce que l’on nomme, de manière raccourcie et simpliste, l’administration Trump. Pompeo et Bolton n’ont pas la même appréciation d’une intervention directe dans un pays de la dimension du Venezuela et de ses caractéristiques régionales hétérogènes, qu’un Marco Rubio (voir New York Times, 26 janvier 2019 qui titre «On Venezuela, Rubio Assumes U.S. Role of Ouster in Chief», autrement celui qui veut évincer les secteurs de l’administration qui, comme Pompeo ou Bolton, ont tiré quelques leçons de l’Irak. L’hypothèse d’une guerre civile, qui repose sur des éléments concrets, n’aura certainement pas la forme d’un affrontement se réduisant à deux camps, lorsqu’on connaît la fragmentation des différents corps militaires, policiers, sans parler des gangs armée qui ont une longue tradition, pas seulement à Caracas. (Réd. A l’Encontre, C.-A. Udry)
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1) Les groupes de choc de la bureaucratie syndicale et du gouvernement pour démanteler les manifestations et briser les grèves. (Réd.)
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