Par Hamza Abu Eltarabesh
La série de mobilisations de la Grande Marche du Retour a été sanglante.
L’armée israélienne a réagi avec une violence mortelle et déterminée, tuant et blessant de façon apparemment aléatoire. Et pourtant, des gens sont venus de tout Gaza pour manifester et exiger leur droit au retour sur les terres d’où, par le passé, ils ont déjà été expulsés, eux, leurs parents et leurs grands-parents.
Avec eux, nous sommes venus, en tant que journalistes, regardant et filmant, témoignant des événements au fur et à mesure qu’ils se produisaient et parlant avec les gens afin d’entendre leurs histoires et leurs motivations.
Pour nous aussi, les protestations ont été dangereuses. J’ai eu la chance d’avoir un beau-père dermatologue qui pouvait me donner la crème adéquate pour une éruption cutanée sur mon épaule et mon abdomen qui est apparue des heures après avoir été exposée à des gaz lacrymogènes le jour de la première manifestation, le 30 mars 2018.
Depuis un tel exemple, relativement banal, jusqu’à ceux mortels, les journalistes ont été dans la ligne de mire des tireurs de l’armée israélienne.
Jusqu’à présent, il y a eu deux morts parmi les journalistes qui ont couvert les manifestations. Selon Ashraf al-Qedraf, porte-parole du Ministère de la santé de Gaza, les journalistes ont subi un nombre élevé de blessures – jusqu’à 66 au cours des quatre manifestations qui ont eu lieu jusqu’à présent –, ce qui a suscité des appels à la protection des journalistes et des enquêtes sur les violences. Les organisations de défense des droits de l’homme et les organismes de surveillance internationaux comme le Comité pour la protection des journalistes ont été à l’avant-garde de ces appels.
Ces derniers ont eu peu d’effet sur le comportement d’Israël.
«Notre devoir»
Ahmad Abu Hussein, le dernier journaliste à être mort dans l’exercice de ses fonctions à Gaza, a été tué par balle dans l’abdomen le 13 avril lors de la troisième des manifestations de la Grande Marche du Retour. Le photojournaliste portait un gilet pare-balles bleu clairement marqué du mot “PRESSE”, en lettres majuscules sur la poitrine.
Les images ayant trait au tir qu’il a subi montrent qu’il se tenait à une bonne distance de la frontière – qualifiée de «permise» par le journal israélien Haaretz – avec un casque bleu et un gilet pare-balles au milieu d’une foule de manifestants.
Le groupe de défense des droits de l’homme Al Mezan a déclaré qu’Abu Hussein se trouvait à environ 200 mètres de la frontière lorsqu’il a été abattu.
Abu Hussein, 24 ans, a été transporté d’urgence dans un hôpital de Gaza. Il était dans un état critique, mais l’armée israélienne l’a empêché de quitter Gaza pour recevoir un meilleur traitement en Cisjordanie ou ailleurs; et cela pendant deux autres jours.
Il a finalement été transféré en Cisjordanie. A plusieurs jours dans un hôpital de Ramallah, il a été transféré à Tel Hashomer, un hôpital israélien, le 20 avril pour recevoir des soins spécialisés.
C’est là qu’il est mort le mercredi 25 avril, cinq jours après que ses collègues de Gaza soient retournés à Gaza pour couvrir la quatrième manifestation de masse.
Ils ne sont pas dissuadés. La manifestation, selon la plupart d’entre eux, devait être couverte.
Israa al-Buhaisi, 32 ans, a souffert de l’inhalation de gaz lacrymogène le 13 avril, mais n’avait aucun doute quant à son retour pour la dernière manifestation, le 20 avril.
«J’ai peur des gaz lacrymogènes», a déclaré le journaliste du réseau iranien Al-Alam News Network à The Electronic Intifada. «Mais cela ne m’empêchera pas de couvrir ce qui se passe sur le terrain.»
Un autre photojournaliste d’Al-Araby Al-Jadeed’s, Muhammad al-Hajar, 32 ans, a été blessé le vendredi 13 avril, une balle a atteint son épaule, mais il est également revenu avec son appareil photo et son gilet bleu pour la manifestation suivante.
«C’est notre devoir», a-t-il dit à Electronic Intifada. «Nous le devons à Yaser et Ahmad. Il est de notre devoir mettre en lumière les crimes israéliens contre la marche pacifique.»
Des accusations ridicules
Al-Hajar faisait référence à Yaser Murtaja, 31 ans, la première victime parmi les journalistes. Murtaja a reçu une balle dans l’abdomen alors qu’il couvrait les manifestations dans l’est de Khan Youni, dans le sud de la bande de Gaza le 6 avril. Il est mort à l’hôpital quelques heures plus tard.
Rushdi Sarraj, 25 ans, était juste à côté de Murtaja quand il a été abattu.
«Nous étions à 300 mètres des positions israéliennes», nous a-t-il déclaré. «Soudain, je l’ai vu tomber sur le sol, en sang. Son appareil photo, qui était réglé pour tourner des vidéos, continuait d’enregistrer.»
Sarraj, qui a cofondé la société Ain Media avec Murtaja, est convaincu que son ami a été délibérément pris pour cible. Il a fait remarquer que Murtaja a été l’objet d’un tir qui visait la partie non protégée de son gilet pare-balles bleu – également clairement marqué par le mot “PRESS” –, ce qui suggère un tir de précision [avec lunette] et donc une intention.
Avigdor Lieberman, le ministre israélien de la Défense, a suggéré plus tard que l’assassinat de Murtaja était justifié, affirmant que le jeune journaliste était sur la liste de paie de l’aile militaire du Hamas.
«Une fois de plus, nous voyons comment le Hamas utilise les médias, les ambulances et les patients, y compris les malades du cancer qui sont envoyés dans les hôpitaux en Israël» pour mener à bien des «missions terroristes», a affirmé M. Lieberman.
Les collègues locaux de Murtaja, comme la Fédération internationale des journalistes, affirment que les propos de Lieberman relèvent du «ridicule». Et les remarques du ministre israélien étaient également en conflit avec les nouvelles selon lesquelles Ain Media avait été autorisé par le Département d’Etat américain à obtenir une subvention de l’USAID pour l’assistance technique et l’équipement, comme les ordinateurs.
Une telle subvention – normalement offerte seulement après un examen long et exhaustif – ne serait pas accordée s’il avait été soupçonné que l’un ou l’autre des fondateurs avait des liens avec le Hamas. Un mouvement que le Département d’Etat américain classe comme une organisation terroriste.
«Comme un frère»
Murtaja, le père d’un enfant de 2 ans, était une figure bien connue sur la scène médiatique de Gaza. Il a laissé de bons souvenirs, notamment parmi ceux avec qui il est entré en contact en raison de son travail.
Bisan Daher, âgée de 12 ans, n’oubliera jamais Murtaja. Le journaliste a documenté le sauvetage de la jeune fille sous les décombres de sa maison familiale lors de l’offensive israélienne de 2014.
Le film, Bisan, était une coproduction entre Ain Media et Al-Jazeera. C’était bien plus qu’un simple travail pour toutes les personnes concernées. Le sauvetage, qui a duré des heures, a été à la fois traumatisant et libérateur. Bisan en est venu à considérer les personnes impliquées, y compris l’ambulancier paramédical qui l’a sortie des décombres, ainsi que Murtaja, qui était en train de filmer, comme des membres de sa famille.
La jeune fille a perdu la plupart de sa famille lors du bombardement meurtrier de sa maison dans le quartier al-Shujaiya. Elle vit maintenant avec un frère aîné qui n’était pas à la maison au moment de l’attaque. Et Murtaja, ému, comme tous ceux qui sont entrés en contact avec la jeune fille, est devenu plus qu’un simple cameraman. Il l’aidait à travers les conseils qu’il lui donnait, lui rendait visite et lui apportait des jouets.
«Il était comme un frère pour moi», a dit Bisan à The Electronic Intifada, serrant une poupée «SpongeBob SquarePants» que Murtaja lui avait apportée.
Son frère Emad, 27 ans, a déclaré que la nouvelle de l’assassinat de Murtaja avait réveillé chez Bisan des souvenirs traumatisants de 2014.
«Elle ne sort plus et ne mange pas bien, comme en 2014.»
Ciblé de manière délibérée
Le nombre de victimes parmi les journalistes suggère une violation délibérée du droit international humanitaire. Les journalistes sont considérés comme des civils et ont donc droit à tous les droits et protections accordés aux civils en temps de guerre.
Ce statut a été réaffirmé en 2006 par le Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU), qui a adopté à l’unanimité la résolution 1738 du CSNU appelant à mettre fin aux attaques contre les journalistes dans les zones de conflit.
Le fait que, dans de nombreux cas, sinon tous, les journalistes portaient des vêtements de protection clairement identifiés suggère toutefois que les blessures infligées – et les assassinats – par l’armée israélienne relèvent d’une politique délibérée.
Cela a également été noté par le Comité pour la protection des journalistes dans une lettre adressée au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
«Les fusillades suggèrent que les autorités israéliennes pourraient essayer de supprimer la couverture médiatique des manifestations», a déclaré cette instance de protection.
Adham al-Najar ne doute pas que le nombre de journalistes blessés est un message envoyé par Israël.
Le photographe indépendant de 32 ans a été blessé à la jambe quelques heures après la fusillade mortelle de Murtaja, le 6 avril, alors qu’il prenait des photos de manifestants dans la zone de Zeitoun, au sud-est de la ville de Gaza et près du point de passage pour les marchandises, fermé, de Karni.
«Tout ce que je faisais, c’était de prendre des photos de ces jeunes», a déclaré al-Najar à The Electronic Intifada alors qu’il attendait sur un lit dans le service orthopédique de l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza pour une troisième intervention chirurgicale sur sa jambe, suite à sa blessure.
«Israël envoie un message à tous les journalistes: nous sommes une cible», a déclaré M. al-Najar. «Ils essaient de nous effrayer. Ils veulent cacher la vérité, mais on ne s’arrêtera pas.»
Al-Najar fait face. Son médecin, Muhanad al-Ajramy, dit qu’il est peu probable qu’il puisse marcher normalement à nouveau. La balle a brisé son genou. Les tendons et les muscles ont subi des dommages permanents. Il a de la chance, a dit al-Ajramy, que sa jambe droite n’ait pas été amputée.
Mais al-Najar dit qu’il reprendra ses reportages. «Je serai de retour sur le terrain, même si je dois le faire sur une jambe.»
Dans une autre salle du même département, Khalil Abu Athra, 34 ans, se remettait d’une opération au cours de laquelle il s’était fait implanter une attelle métallique sur sa jambe gauche.
Ce cameraman d’expérience – travaillant depuis 14 ans avec al-Aqsa TV, pour la première fois blessé, nous a-t-il confié – a été atteint lorsqu’il travaillait dans la région de Rafah, également le 6 avril, malgré le port d’un gilet pare-balles de presse bleu, clairement marqué. Ebrahem Musalam, le collègue d’Abu Athra, qui était avec lui ce jour-là, a déclaré qu’il n’y avait aucun doute dans son esprit que le journaliste avait été délibérément pris pour cible par un tireur d’élite.
Abu Athra, aussi, était catégorique sur le fait qu’il ne pouvait y avoir d’autre explication pour sa blessure. «Je n’ai même pas pensé qu’on pourrait me tirer dessus», nous a déclaré ce père de trois enfants. «J’étais très loin des soldats et des manifestants. Mais il semble que les médias étaient une cible, le deuxième vendredi de manifestation.» (Article publié dans The Electronic Intifada, le 26 avril 2018; traduction A l’Encontre)
Hamza Abu Eltarabesh est journaliste à Gaza et de Gaza.
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Dans un article datant du 27 avril 2018, The Electronic Intifada rapporte que quatre Palestiniens ont été tués le vendredi 27 avril, lors de la cinquième journée (le cinquième vendredi) de la Grande Marche du Retour. Quelque 1000 manifestant·e·s ont été blessés, dont 200 gravement.
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