Cosco, l’armateur pékinois, contrôle désormais l’ensemble des activités du plus grand port de Méditerranée. Il est à peine 7h30 et déjà la température flirte avec les 38°C, en ce matin de juillet sur le port du Pirée. La mer se charge de reflets dorés au gré du soleil levant. S’amorce alors le ballet de ferrys bondés de vacanciers, voguant vers les îles des Cyclades ou du Dodécanèse. Au loin, on aperçoit de luxueux bateaux, voiles au vent, évoquant ces clichés en noir et blanc de marins grecs immortalisés par le célèbre photographe américain Robert McCabe dans les années 1950.
Yannis ne s’attarde que quelques minutes sur cette vue idyllique, qu’il peut observer depuis l’embarcadère numéro 1 de la zone de fret du port mythique. Cet homme de 44 ans, au visage buriné, aux mains rocailleuses et à la carrure d’Hercule, est calier depuis plus de dix ans. Il fait partie des dockers qui escaladent les coursives des navires pour charger de marchandises les cargos. Un métier intenable dans la chaleur émolliente. «Quand il y a plus de 40°C, la direction m’autorise à quitter le travail à 10 heures, au lieu de 14 heures, mais je le rattrape en heures supplémentaires par la suite», lance-t-il. Au vu de la conjoncture, il se sent privilégié. Bien que son salaire ait été amputé il y a trois ans, il perçoit néanmoins 1550 euros par mois, soit deux fois plus que le salaire moyen du pays. «C’est bien mieux que mes collègues du 2, payés 50 euros par jour, qui n’ont pas droit aux heures supplémentaires et ne peuvent s’arrêter qu’entre 13 heures et 16 heures en période de canicule», poursuit-il.
Le «2», c’est l’embarcadère mitoyen du sien, racheté par les Chinois de Cosco en juin 2008. Il se distingue par ses grues bleues imposantes qui s’étalent sur un troisième embarcadère, récemment construit par la compagnie pékinoise. Aucun des employés de l’armateur chinois, dont 80% sont Grecs, ne se plaint de ses revenus, mais les dockers de l’embarcadère 1 en doutent. Ces derniers viennent pourtant, depuis un an, de passer aussi sous la bannière de Cosco. Le colosse chinois a, en effet, acquis l’intégralité du port du Pirée à l’Etat grec, dans le cadre du programme de privatisations. Le port de marchandises, le terminal des voyageurs et celui des paquebots de croisière, l’ensemble est passé sous contrôle chinois.
«Mais il faut distinguer les conditions de travail», assène Giorgos Gogos, secrétaire général du syndicat du port de fret. «Les employés du 2 et du 3 sont salariés de PCT, Cosco Pacific Limited. C’est une société différente de Cosco Holding, celle qui a racheté l’OLP, la société de gestion du port du Pirée en 2016. Nous relèverons peut-être tous de la maison mère, Cosco, à la fin, mais nous, au moins, nous gardons nos conventions collectives et nos salaires», souligne-t-il.
Les ambitions de «Captain Fu»
Si Cosco semble avoir gagné la paix sociale avec les dockers grecs dont les mobilisations ont, à plusieurs reprises, totalement paralysé l’activité du Pirée, c’est parce que ses projets pour le port sont titanesques. D’ici au printemps 2018, le très emblématique «Captain Fu», président de PCT, voudrait avoir transformé les embarcadères des ferrys et bateaux de croisières. Le défi est de taille, car le Pirée est le plus grand port en nombre de visiteurs de la Méditerranée avec 16,5 millions de passagers, selon l’étude annuelle de l’Union des ports de croisière méditerranéenne (MedCruise). Il se classe devant Naples, Messine (Sicile), les Baléares (Espagne) et Split (Croatie). Fu Changqiu veut développer des hôtels, rénover les immeubles, des centres commerciaux, pour changer la physionomie du port et satisfaire les vacanciers, en croissance exponentielle.
Près de 1 million de visiteurs sont passés par le Pirée en 2016, soit 12% de plus qu’en 2015, et les chiffres de cette année semblent exploser. Quant aux touristes chinois passant par la Grèce, selon les prévisions des professionnels du secteur, leur nombre pourrait atteindre le million en 2021, contre 150’000 en 2016. De facto, mis à part certains dockers, qui – peut-être à juste titre – regrettent de voir les bénéfices du port aller dans d’autres caisses que celles de l’Etat grec, rares sont ceux qui contestent les ambitions des Chinois. «Leurs résultats sur le port de fret font foi, explique Petros Machas, avocat d’affaires associé à Yingke, le plus grand cabinet d’avocats de Pékin. L’activité des navires de marchandises a triplé en quelques années. Les bénéfices sur les terminaux 2 et 3 ont augmenté de 8,7 %, soit 31,4 millions de dollars.» Le transport en Europe s’accélère grâce aux lignes ferroviaires sur lesquelles Pékin investit. «Ce sont aussi des revenus pour l’État, insiste Petros Machas, parce que Cosco paye ses taxes et crée aussi des emplois.» Cet avocat travaille notamment avec les Chinois pour le rachat du distributeur d’électricité (Admie), mais se diversifie aussi dans les services et le tourisme. Comme beaucoup, Petros Machas voit une opportunité de sortie de crise pour son pays, grâce aux investissements de l’empire du Milieu, même s’il distingue les catégories d’investisseurs venus de Chine. «Il y a des entreprises chinoises qui sont, sans conteste, occidentalisées, disposent de conseillers européens et avec qui il est aisé de travailler. Mais il y a ceux, venus chercher des golden visas, qui souhaitent acheter un appartement et obtenir un visa européen.» Ces derniers ne sont pas familiers du «mode d’emploi occidental», pointe l’avocat. Certaines entreprises chinoises s’apprêtent d’ailleurs à construire des immeubles en Grèce, «pour vendre des appartements à leurs compatriotes désireux d’un visa», assure encore Petros Machas.
Tsipras, défenseur de l’empire du Milieu
A Athènes, l’engouement des Chinois pour la Grèce est encouragé au plus haut niveau. Alexis Tsipras fait partie des grands défenseurs de l’empire du Milieu en Europe. Le Premier ministre grec est allé jusqu’à mettre son veto sur la déclaration commune du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui condamnait les abus du régime chinois. «N’oublions pas qu’Alexis Tsipras a fait ses classes chez les communistes et ne peut s’en éloigner totalement», estime l’un de ses détracteurs, sous couvert d’anonymat. Plus prosaïquement, le chef du gouvernement grec sait son pays étranglé par la dette (180% du PIB) et connaît le besoin vital d’investissement pour faire redémarrer l’économie, dont la valeur s’est contractée d’un quart en neuf ans.
D’ailleurs, la majorité des Grecs ne conteste pas les investissements chinois. Elle s’insurge plus contre les déclarations d’Angela Merkel à la presse allemande sur la collaboration entre la Chine et la Grèce. La chancelière s’interroge sur l’importance des investissements de Pékin en Europe, via les «pays les plus faibles économiquement, comme la Grèce». Athènes occupe en effet une place de choix pour les stratèges chinois, car elle constitue une porte d’entrée vers l’Europe.
C’est pourquoi les nouvelles routes de la soie, grand œuvre de Xi Jinping rebaptisé dernièrement «l’initiative de la ceinture et de la route», aboutissent à Athènes. Loin de se contenter du port du Pirée, les Chinois étendent leurs investissements aussi dans les transports terrestres, les télécommunications, l’énergie et le tourisme.
Ce n’est pas le marché grec, en crise profonde, qui les intéresse, mais bien la perspective de rayonner en Europe. Alors que les investisseurs internationaux sont en train de retrouver le chemin de la Grèce, les Chinois, eux, travaillent à y ancrer leur hégémonie. (Publié dans Le Figaro, en date du 5 août 2017)
j’ajouterais qu’ils ne se contentent pas des infrastructures mais également ils grignotent, avec bénédiction du gouvernement tsipras-anel et golden visas à la clef, les terres : ils viennent d’acheter 325 hectares, dont 3 baies, sur ma petite île des cyclades, dans une zone non touristique dont tout le monde se fout à part les écolos locaux.