«Ce marteau est petit, mais il peut faire de grandes choses ! » Telles ont été les paroles de Laurent Fabius, président de la COP21, samedi 12 décembre à 19h32, au moment de marquer d’un coup l’adoption de l’Accord de Paris. « Un moment historique», ont jubilé de nombreux pays, après un tonnerre d’applaudissements.
Mais que contient réellement cet accord de Paris? Est-il, conformément à la formule du ministre des Affaires étrangères, «différencié, juste, durable, équilibré et juridiquement contraignant»? Reporterre est sceptique: il y a quelques bonnes idées, poussées par les pays en développement les plus vulnérables au changement climatique, mais elles ont été affaiblies au maximum par les pays qui ont encore intérêt à polluer.
La portée juridique de l’accord
L’accord de Paris, qui devrait rentrer en vigueur en 2020, compte 17 pages. Il est précédé d’une «décision» de la COP (Conference of parties) de 22 pages, dans laquelle sont précisés certains points de l’accord, ainsi que l’action à mener avant 2020.
La portée juridique de ces deux documents est différente. La décision de la COP a un pouvoir juridique relativement faible: elle peut être contredite par la décision de la COP suivante.
En revanche, l’accord constitue un traité, s’il est ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions, et c’est un acte juridique international dont les dispositions engagent les Etats qui le ratifient.
Cependant, la force juridique d’une proposition dépend de plusieurs critères – place et formulation. Par exemple, une proposition comme «respecter, promouvoir et prendre en considération les droits de l’homme» n’est pas contraignante si elle est placée dans le préambule de l’accord.
Si elle se trouve dans un article, elle est contraignante si elle est formulée au présent ou au futur simple «les parties doivent respecter, promouvoir…», pas contraignante si elle est formulée au conditionnel «les parties devraient respecter…». Cette nuance entre temps simple et conditionnel est également valable pour la décision de COP. Le document actuel, qui regroupe décision et accord, compte 141 propositions formulées dans un temps simple, et 41 formulées au conditionnel.
Mais la contrainte est toute politique, puisque l’ONU ne prévoit pas de sanction pour les mauvais élèves. Qui ont la possibilité de quitter l’accord trois ans après son entrée en vigueur, sans être inquiétés (article 28).
Ne pas dépasser 1,5°C et plafonner les émissions – mais sans date et sans moyen
Les pays se sont fixé un objectif de long terme réellement ambitieux: « [Contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels » (article 2, paragraphe 1. a).
Cette mention à une limite de 1,5°C a été portée par les pays les plus vulnérables au changement climatique, en premier lieu les petits Etats insulaires, qui ont réussi à imposer leur volonté face aux réfractaires (Arabie Saoudite, en premier lieu). Cependant, l’accord ne spécifie aucun moyen véritable pour atteindre cette ambition.
Il est seulement précisé que « les parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de GES [gaz à effet de serre] dans les meilleurs délais, (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite, (…) de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » (article 4, paragraphe 1).
En clair, cela signifie que les Etats ne devront plus émettre de GES qu’ils ne seraient pas capables d’absorber (en plantant des forêts, en changeant de pratiques agricoles de sorte à améliorer le stockage du carbone dans le sol, etc.).
Cette formulation est décevante, alors qu’une précédente version du texte proposait des objectifs précis de réduction des émissions (40-70 % voire 70-95 % de réduction des émissions en 2050).
Tous les Etats publieront leurs objectifs d’émissions
Chaque Etat doit se donner des objectifs de réduction des émissions de GES, indiqués dans une contribution nationale remise à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). Aujourd’hui, 189 pays ont remis leurs contributions.
Mais ces efforts nationaux additionnés ne suffisent pas à contenir le réchauffement sous la barre des 2°C, a fortiori de 1,5°C, comme le reconnaissent les Parties (paragraphe 17 de la décision de COP). Un cycle de révision de cinq ans des contributions nationales a donc été inscrit dans l’accord (article 4, paragraphe 9), ce qui est une très bonne chose. Mais le premier bilan mondial des contributions nationales n’aura lieu qu’en… 2023 (article 14, paragraphe 2). Un peu tard pour rectifier le tir !
Par ailleurs, «la [contribution] suivante de chaque partie représentera une progression par rapport à la [contribution] antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible», indique l’accord (article 4, paragraphe 9). Mais rien de plus précis: l’article 4 (paragraphe 4), qui engageait les pays développés à «montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus, à l’échelle de l’économie», a été reformulé in extremis au conditionnel par les Etats-Unis, juste avant la plénière de clôture de la COP.
Ce travail commun de publication des «contributions», avec date et méthodologie commune, constitue le cœur opérationnel de l’Accord de Paris, sa seule vraie exigence: tout le monde publiera ses données et ses objectifs, et l’on espère que l’émulation entraînera le mouvement. Ceci prolonge une disposition inscrite dès… 1992 dans la Convention sur les changements climatiques : son article 4.1.a prévoyait l’établissement, la mise à jour périodique et la publication des «inventaires nationaux des émissions».
Aucune action concrète pour limiter les émissions
Pire, les moyens concrets de lutte contre le changement climatique sont éjectés de l’accord et renvoyés à des décisions ultérieures des COP (la prochaine aura lieu en novembre 2016 à Marrakech, au Maroc), à la portée juridique moindre. Les énergies renouvelables ne sont mentionnées que dans le préambule de la décision, et encore, seulement en ce qui concerne les pays en développement et en particulier l’Afrique. Rien sur les émissions liées aux transports maritimes et aériens, ni sur les énergies fossiles. La mise en place d’un prix du carbone n’est mentionnée que dans la décision (paragraphe 137). Par contre, l’accord ne ferme pas la porte aux marchés carbone (article 6), sur lesquels les pays riches « achètent » le droit de polluer chez eux à condition de compenser leurs émissions dans les pays en développement.
Les pays pauvres victimes du réchauffement privés de recours juridique
Principale victoire des pays les plus vulnérables, la mention d’une limite de réchauffement de 1,5°C. Pour le reste, les principales revendications apparaissent, mais reléguées dans la décision de COP ou dans le préambule. Tout a été bordé pour que les recours juridiques des pays en développement contre les pays développés, pour les obliger à assumer leurs responsabilités de pollueurs historiques, soient quasiment impossibles.
Les pertes et dommages victimes d’une catastrophe non-climatique
Autre revendication importante des pays les plus vulnérables, la mise en place d’un mécanisme de « pertes et dommages » – sorte d’assurance pour les aider à se relever après une catastrophe climatique type typhon, tempête, inondation, etc. Ce mécanisme fait bien l’objet d’un article à part dans l’accord (article 8). Seul problème, il est vide. Tout juste les parties reconnaissent-elles la « nécessité de réduire au maximum les pertes et préjudices » et évoquent-elles le mécanisme international de Varsovie, sans indiquer des objectifs d’aide financière chiffrés. Pire, la décision de l’accord précise que « l’article 8 de l’accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation » (paragraphe 52).
Les 100 milliards de dollars continuent à jouer l’Arlésienne
En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les pays développés avaient promis aux pays en développement de leur fournir 100 milliards de dollars de financements climat, chaque année à partir de 2020. Les pays en développement étaient arrivés à la COP21 avec trois revendications relatives à ces 100 milliards : 1) la garantie d’arriver à rassembler cette somme, 2) le respect d’un équilibre entre aide à l’atténuation (déploiement d’énergies renouvelables, par exemple) et l’aide aux projets d’adaptation aux changements climatiques (construction de digues pour lutter contre la montée du niveau des mers, par exemple), et 3) la promesse que ces 100 milliards constitueront un plancher, régulièrement rehaussé après 2020.
La récolte est maigre. La somme de 100 milliards associée à la notion de plancher a été rejetée de l’accord et reléguée dans la décision de COP (paragraphe 115). L’accord lui-même ne comporte sur ce point aucun objectif chiffré, et seulement des propositions au conditionnel : « Cette mobilisation de moyens devrait présenter une progression par rapport aux efforts antérieurs » (article 9, paragraphe 3) et « la fourniture de ressources financières accrues devrait viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » en tenant compte de « la nécessité de prévoir des ressources d’origine publiques et sous forme de dons pour l’adaptation » (article 9, paragraphe 4). Rien non plus sur le fait que ces financements seront additionnels à l’aide au développement déjà apportée, ce qui laisse craindre que des petits malins se contenteront de requalifier en « financements climat » l’aide déjà apportée par ailleurs.
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