France. «Contrat de projet» entre gouvernement et patronat

Manuel Valls et Pierre Gattaz
Manuel Valls et Pierre Gattaz

Par Apex

«J’aime l’entreprise», lance le premier ministre Manuel Valls [qui dispose de 34% d’opinions favorables selon un sondage réalisé le 9 décembre 2014]. Devant une assemblée du Medef [Mouvement des entreprises de France, organisation du patronat], cela équivaut à soutenir la vision patronale de l’entreprise, c’est-à-dire son leadership dans la définition des objectifs économiques et sociaux. Sourd à toutes les mises en garde et critiques émanant désormais de nombreux horizons, le gouvernement a fait le choix d’une vision mécaniste de la compétitivité, réduite au facteur social.

La croyance en la magie

C’est un peu le bal des magiciens. Côté gouvernemental, c’est la croyance en une politique de relance par l’investissement et l’exportation. Une sorte de course de vitesse, essentiellement entre pays européens, pourtant supposés naviguer confraternellement dans le même bateau. Il n’y aurait donc aucune autre solution française ou européenne que d’abaisser les «coûts du travail», de détricoter le droit social et d’affaiblir les dispositifs de solidarité. Seule l’augmentation du taux de marge des entreprises pourrait donc nous faire sortir de la crise. Mais par quelle magie?

L’économie européenne est à genoux, ce qui réduit fortement les débouchés à l’exportation. Même l’Allemagne n’est pas à l’abri de la récession à force d’imposer ses dogmes au reste de l’Europe et de scier ainsi la branche sur laquelle elle est assise. La Commission européenne elle-même tire le signal d’alarme sur l’entrée d’un certain nombre de pays en déflation [taux de croissance négatif des prix qui s’accompagne d’une régression du PIB]. En France beaucoup de branches sont désormais concernées par la baisse des prix et donc du chiffre d’affaires. La demande des ménages est atone en raison des politiques d’austérité et de l’aggravation du chômage. Le secteur de la construction et le commerce sont profondément touchés. La quasi-totalité des secteurs restructurent, réorganisent, réduisent la voilure. Et l’Etat réduit ses investissements. Mais il est vrai que le ministre de l’Economie a beaucoup d’idées pour surmonter tout cela: le développement du transport par autocars et les ouvertures dominicales dans le commerce!

Et avec tout cela le gouvernement croit encore en sa politique. Démagogique ou inconscient, il se plaît même quelques fois à interpeller le patronat sur les effets attendus du CICE en matière d’emploi. L’obsession du désendettement, la conversion totale aux dogmes surannés du libéralisme étouffent toute reprise et aggravent les tensions au sein des finances publiques. Le CICE est un cadeau sans contrepartie possible dans cette conjoncture.

La danse des sorciers

Et pendant ce temps-là le patronat danse autour du feu. Il sait pertinemment que la sortie de crise n’est pas pour demain. Pour réduire le conflit éternel entre grandes et moyennes entreprises ou petites, la direction du Medef alimente chaque semaine le débat public sur les charges, la fiscalité, le code du travail, les couvertures sociales. Mais pendant ce temps les grands groupes, que le Medef représente réellement, siphonnent la marge des PME sous-traitantes et réalisent leur croissance en Asie ou aux Etats-Unis. Pour eux le taux de marge n’a plus rien à voir avec le périmètre français, il se réalise de manière consolidée au niveau mondial. Sauf que la crise de tous les pays européens va commencer à leur poser de sérieux problèmes. L’arroseur est arrosé.

Les soi-disant provocations de Pierre Gattaz (le président du Medef) n’en sont pas. C’est précisément dans ces périodes d’atonie économique et de doute général que le patronat et ses mandants doivent montrer leurs muscles pour que le partage entre capital et travail soit profondément modifié. Ce n’est évidemment pas quand la croissance est là qu’on peut plaider pour la baisse des coûts sociaux! Alors Gattaz pousse le bouchon au maximum sachant pertinemment qu’il en récoltera quelques bénéfices au gré d’une campagne de presse et d’un nouveau «j’aime l’entreprise». Un million d’emplois!… si… on procède au démantèlement complet de notre législation sociale:

• Inverser la hiérarchie des normes et faire primer les accords d’entreprise sur la loi.

• Abolition de la durée légale du travail. L’entreprise fixerait «le seuil de déclenchement des heures supplémentaires mais aussi le taux des majorations horaires».

Etendre le travail dominical et allongement du temps de travail.

Refondre le CDI (Contrat à durée indéterminée) en contrat projet [Le patronat souhaite la mise en place du «contrat de projet» qui «prendrait fin automatiquement une fois le projet réalisé»; ainsi la crainte de l’embauche serait supprimée!].

• Transformer le CICE en baisse de charges. L’organisation patronale souhaite «supprimer progressivement les impôts sur les facteurs de production et les taxes sectorielles», et «instituer un plafonnement général des impôts payés par les entreprises, que ce soit en fiscalité nationale ou locale».

Pourquoi se gêner quand on a en face de soi un gouvernement qui épouse une partie de ces idées au nom de l’adaptation à un «monde nouveau». Aussi, les appels aux partenaires sociaux, venant du gouvernement, pour «nouer des compromis donnant-donnant» sont aussi dérisoires qu’hypocrites. (Fin novembre 2014)

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