Par Robert Lochhead
Les premiers vaccins contre le virus d’Ebola ont été essayés avec succès sur des singes dès le début du siècle, il y a 14 ans.
Si un vaccin avait été disponible pour les humains, les milliers de morts et les souffrances inutiles de l’actuelle épidémie en Guinée, Liberia et Sierra Leone auraient pu être évités. Il aurait justement pu compenser le délabrement de leurs services de santé (propres aux politiques d’ajustements structurels du FMI et à la cooptation conjointe de leurs élites) et éviter l’aggravation de ce délabrement auquel on assiste sous l’effet de l’épidémie.
Les vaccins ne représentent qu’environ 13% de la production pharmaceutique mondiale. Ils ne sont pas une priorité des grandes compagnies pharmaceutiques car ils ne vont pas être consommés régulièrement par un public solvable, mais généralement appliqués en une fois à une grande population, souvent d’enfants, par des programmes publics. Les priorités des big pharmas, ce sont les médicaments pour les maladies chroniques d’un public solvable, contre les cancers et les troubles cardio-vasculaires, en particulier. Aux Etats-Unis, leur désintérêt pour les vaccins entraîne une pénurie chronique que le Center for Diseases Control (CDC) d’Atlanta suit pour faciliter le transfert des stocks disponibles vers les régions qui en manquent. Sur sa page web à ce sujet, le CDC donne comme première cause de cette pénurie, « les compagnies quittant le marché des vaccins ».[1]
Le professeur Adrian Hill, directeur de l’Institut Jenner d’Oxford, nommé à la tête de la réponse du Royaume-Uni à l’épidémie d’Ebola, déclarait le 7 septembre 2014 au quotidien The Independent: «Mais qui fabrique donc les vaccins? Actuellement la production commerciale de vaccins est monopolisée par 4 ou 5 mégafirmes – GSK, Sanofi, Merck, Pfizer, Roche… – qui figurent parmi les plus grandes compagnies du monde. Le problème est que, même si on découvre un moyen de fabriquer un vaccin, les grandes entreprises considèrent qu’il ne vaut la peine de le produire qu’à condition qu’il existe un marché important» [2]
This epidemic, in other words, was an avoidable crisis…
(Cette épidémie, en d’autres termes, était une crise évitable)
Voilà ce qu’écrivaient, dans leur éditorial dramatique du New England Journal of Medicine du 16 octobre 2014, Jeremy Farrar, le directeur du Wellcome Trust, et Peter Piot, le découvreur d’Ebola en 1976. [3]
Le 3 août 2014, le Dr John Ashton, le président de la Faculté de santé publique du Royaume-Uni, déclarait à The Independent on Sunday : « Si Ebola arrivait à Londres, ils trouveraient un traitement. (…) Nous devons aussi aborder le scandale du refus de l’industrie pharmaceutique d’investir dans la recherche pour produire des traitements et des vaccins, quelque chose qu’ils refusent parce que les nombres concernés sont, selon eux, si petit et ne justifient pas l’investissement. C’est la faillite morale du capitalisme agissant en absence d’un cadre éthique et social.» [4]
S’adressant le 1er novembre 2014 au comité régional de l’Organisation Mondiale de la Santé réuni au Bénin, Madame Margaret Chan, la directrice générale de l’OMS, déclarait :
« Ebola est apparu il y a presque 40 ans. Pourquoi les médecins ont-ils toujours encore les mains vides, avec aucun vaccin et aucun traitement ?(…) Parce que Ebola a été historiquement confiné à des pays africains pauvres. L’encouragement à la R&D est virtuellement non-existant. Une industrie mue par le profit ne va pas investir dans des produits pour des marchés qui ne peuvent pas payer. » [5]
L’OMS, quant à elle, n’a pas de quoi être fière. L’épidémie lui a été communiquée officiellement en mars 2014. Les investigations épidémiologiques établiront que le premier décès vérifié a eu lieu au sud-est de la Guinée en décembre 2013 : un petit garçon de deux ans, suivi dans la mort par sa famille et les infirmières qui les soignaient. [6]
Ce n’est que le 8 août que l’OMS a déclaré officiellement que cette épidémie représentait une «urgence de santé publique de portée mondiale.» L’OMS s’est révélée invalide. Peter Piot, qui avait découvert, et nommé, le virus Ebola en 1976, et qui dirige aujourd’hui la London School of Hygiene and Tropical Medicine, répondait dans une interview à Der Spiegel le 26 septembre 2014 ainsi, à la question pourquoi l’OMS a réagi si tard:
« D’une part, parce que son bureau régional d’Afrique n’est pas occupé par les personnes les plus capables mais par des nommés pour raisons politiques. Et parce que les bureaux du siège à Genève avaient souffert de grandes coupes budgétaires avec l’accord des pays membres. Le département compétent pour les fièvres hémorragiques et celui responsable de la gestion des urgences épidémiques avaient été durement frappés. Mais depuis août, l’OMS a récupéré son leadership. »
C’est qu’à l’époque des privatisations et des coupes budgétaires pour baisser les impôts, on voulait croire que cette épidémie d’Ebola, serait comme la vingtaine de précédentes : Quelques centaines de morts dans une petite région d’Afrique, et l’épidémie vite éteinte par les mesures d’isolement des malades et de leurs contacts par quelques humanitaires comme Médecins sans Frontières (MSF). On aura mis presque une année à comprendre, cinq mille morts plus tard, qu’une région fortement peuplée et urbanisée comme la frontière entre Guinée, Sierra Leone et Liberia, c’est autre chose.
Le 2 septembre, la Dr Joanne Liu, présidente internationale de Médecins sans Frontières, déclarait devant les Nations Unies :
« Je suis devant vous aujourd’hui, en tant que présidente d’une organisation humanitaire médicale en première ligne depuis qu’a éclaté cette épidémie. Mes collègues ont pris en charge plus des deux tiers des patients officiellement déclarés infectés. Bien que nous ayons multiplié par deux notre personnel sur le terrain au cours du dernier mois, je peux vous dire qu’ils sont totalement dépassés. Médecins sans Frontières sonne l’alarme depuis plusieurs mois, mais la réponse est trop restreinte et trop tardive. L’épidémie a commencé il y a six mois, mais n’a été déclarée “urgence de santé publique de portée internationale” que le 8 août dernier. »
Qu’une organisation non gouvernementale humanitaire comme Médecins sans Frontières, financée par la charité publique et la générosité des millions de donateurs modestes, soit en charge, à l’échelle mondiale, d’une telle épidémie, et bien cela porte un jugement sur le capitalisme du XXIème siècle ! C’est MSF qui est sur le terrain ; c’est MSF qui diffuse sur son site Internet le modèle de centre de traitement que lui a appris son expérience ; c’est MSF qui donne des cours de formation aux volontaires envoyés enfin par les gouvernements: l’Espagne, la Suisse, Cuba, etc. ; c’est à MSF que renvoie un lien au premier plan de la page Ebola, fort bonne, du Center for Diseases Control d’Atlanta… !
On est, au 28 novembre, à 15901 cas et 5674 morts. L’épidémie n’est pas jugulée et on aura aux premiers mois de 2015, quand les premières campagnes de vaccinations pourront peut-être commencer, les dizaines de milliers de morts que les projections de l’été passé prédisaient. Le fait que les contaminations au Nigeria, au Sénégal et, semble-t-il, aussi au Mali, aient pu être contenues avec succès, illustre combien l’épidémie en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia est due à la pauvreté particulière de ces pays, et à l’effondrement particulier de leurs systèmes de santé. Ces trois pays sont parmi les plus pauvres de la Terre, classés respectivement 178ème, 177ème , et 174ème, des 187 pays de l’Index du Développement humain de l’ONU.
Le fait que le taux de mortalité des malades soignés en Occident est bien moindre que sur place en Afrique montre combien cette maladie peut être relativement facilement soignée et toute contagion évitée par des méthodes relativement standard.
La crainte des spécialistes, c’est que à la faveur des voyages intercontinentaux, Ebola réussisse soudainement à prendre pied dans des milieux à forte densité de population très pauvre, l’Inde ou une mégalopole comme Manille ou Mexico, ou encore en Chine.
L’épidémie d’Ebola montre comment la pénétration d’une urbanisation chaotique de populations pauvres dans la forêt tropicale humide crée l’occasion d’un passage de virus d’animaux sauvages aux humains. Les Filoviridés, la famille des sept virus dont le pire est Ebola, semblent bel et bien être des virus de chauves-souris frugivores de la forêt qui en sont le réservoir.
La forêt tropicale humide existe aussi en Indonésie et en Amérique du Sud. Un des virus de la famille a provoqué des infections aux Philippines.
L’Amérique du Sud a, elle aussi, par le passé, connu des épisodes inquiétants avec des virus analogues.[7]
Enfin des vaccins… et des bonnes affaires
Pour que les vaccins soient enfin développés en accéléré, il aura été indispensable, pour vaincre le désintérêt des pharmas et le cynisme des responsables sanitaires des pays riches, que l’épidémie frappe beaucoup de gens et qu’apparaisse la menace de contagions en dehors de l’Afrique.
Développés depuis quelques années par des institutions de recherche étatiques, les vaccins possibles sont finalement pris en charge par des pharmas parce qu’un financement généreux de la part de sources étatiques ou philanthropiques facilite le développement et parce que la mise en route, enfin, de programmes publics de lutte globale promet une demande solvable, un marché, le marché des budgets publics.
Mieux, l’appât de ce marché voit une course bien capitaliste aux vaccins contre Ebola: Le principal hebdomadaire économique suisse, Handelszeitung, parmi beaucoup d’articles informatifs sur Ebola, publie le 24 octobre 2014, sous la signature de Jürgen Büttner, un article « Ebola- sur quelle société de pandémie par actions miser?» :[8]
« En se basant sur les expériences historiques, les analystes arrivent à la conclusion, qu’en cas d’apparition d’une pandémie sévère et longue 180 à 360 millions de personnes pourraient mourir dans le monde. Une récession mondiale serait inévitable. Ainsi les analystes évaluent le recul de l’activité économique durant la première année d’une telle pandémie à 5 jusqu’à 10%, avec également des conséquences négatives pour les marchés des actions. (…) Mais il n’y a pas que des perdants si on considère les choses du point de vue économique. Les entreprises qui se préoccupent dans le monde entier de la lutte contre une infection, profitent. C’est ainsi que le marché des vaccins a augmenté depuis l’an 2000 de 10 à 15 % par année et par là deux fois plus vite que le secteur de la santé dans son ensemble. »
Et l’auteur d’attirer l’attention du lecteur-investisseur, sur trois bons plans : Sur Sanofi, « le leader mondial des vaccins », no.5 des big pharmas, et en particulier sur sa filiale spécialisée, en commun avec Merck, Sanofi PasteurMSD, sur Pfizer, no.1 des big pharmas mais no.3 des producteurs de vaccins, et enfin sur Gilead, no.21 des big pharmas, mais leader mondial des antiviraux (dont le fameux et très coûteux Sovaldi/Sofosbuvir contre l’hépatite C) étant donné que les traitements de malades d’Ebola ont utilisé aussi des antiviraux courants.
La vaccination
Un vaccin est une introduction dans le corps d’un antigène, c’est-à-dire d’une seule protéine au moins de l’agent infectieux, afin de provoquer de manière préventive la production d’anticorps.
Le premier vaccin, celui contre la variole, a été découvert en 1796 par le médecin anglais Edward Jenner (1749-1823) et a permis à l’échelle de la planète d’éradiquer finalement en 1979 cette terrible épidémie. Il consiste à inoculer le virus de la variole des vaches, espèce-sœur, mais elle relativement inoffensive. Le virus de la vaccine a la même protéine de surface et suscite la production des anticorps efficaces contre la variole. Voilà pourquoi le mot vaccin vient de vache.
Le vaccin contre le virus de la rage, mis au point par Louis Pasteur en 1885, est constitué d’extraits de cervelle de lapins contenant des virus de la rage atténués par une culture sur plusieurs cervelles de lapin successives.
Le vaccin contre l’hépatite B mis sur le marché en 1981 est constitué par la protéine de surface du virus HBsAG. Cette protéine a d’abord été extraite du sérum sanguin de malades chroniques puis, dès 1986, produite par une culture de levures transgéniques dans lesquels on a inséré, par génie génétique, le gène viral HBsAG de cette protéine de surface.[9]
Un vaccin doit réunir plusieurs qualités qui ne sont pas simples à garantir toutes ensemble :
• Il doit être efficace. Des anticorps doivent être produits en quantité suffisante qui circulent dans les organes atteints. Ces anticorps ne doivent pas seulement être compétents pour agglutiner les virus mais il faut qu’ils le fassent réellement efficacement en protégeant ou guérissant le patient.
L’immunité doit être durable : Le vaccin contre le tétanos, qui produit des anticorps contre la toxine protéique de la bactérie Clostridium tetani, est notoirement peu durable et nécessite un rappel au moins tous les dix ans.
• Le vaccin doit être sûr. Il ne doit pas produire une autre infection ni trop d’effets secondaires.
L’antigène vaccinal doit être sûr. Mais aussi les adjuvants, stimulateurs de la réaction immunitaire qu’on y ajoute, les agents conservateurs, les excipients pour en faire une préparation injectable, ou ingérable, conservable et transportable. Enfin, il faut que le vaccin soit mis sur le marché en doses innombrables sous une forme pratique qui ne nécessite pas une réfrigération constante trop complexe et coûteuse.
Les vaccins contre Ebola
Depuis sa découverte en 1976, le virus Ebola a été très étudié et il est remarquablement bien connu.
Dans les années 1990, plusieurs laboratoires ont essayé sur des animaux des vaccins constitués de virus Ebola atténués. Ils ne procuraient aucune protection. Mais oui le danger de tels virus qu’ils redeviennent virulents.
En 1998, des vaccins consistant en l’ADN des gènes du virus ont montré une bonne efficacité chez la souris mais pas chez les singes.
Dans les années 2002-2005, ont été essayés des vaccins consistant en un mélange des trois protéines NP, VP40 et GP du virus Ebola. Ces vaccins ont octroyé une bonne protection aux singes auxquels on a inoculé ensuite le virus Ebola.
C’est en 2006 qu’a pu être montrée l’efficacité chez les singes de vaccins utilisant un virus inoffensif comme vecteur auquel on a par génie génétique inséré le gène de la protéine de surface GP du virus Ebola. Le virus vecteur a donc maintenant en plus de ses protéines de surface à lui, la pointe GP d’Ebola.[10]
Le candidat qui a pris la tête est le ChAd3 de GlaxoSmithKline, la pharma classée sixième au palmarès des big pharmas, derrière Pfizer, Novartis, Roche, Merck et Sanofi. Il a été développé par la biotech bâloise Okairos, que GSK a rachetée en 2013, en collaboration avec le National Institute of Allergy and Infectious Disease/NIAID, un des National Institutes of Health (NIH) de l’administration fédérale des Etats-Unis, la plus grande entreprise publique de santé dans le monde .
Le ChAd3 utilise comme vecteur l’adénovirus type 3 du Chimpanzé dans lequel on a inséré par génie génétique le gène de la GP de Ebola Zaïre et qui exprime donc cette pointe. Okairos a breveté ce virus recombiné. Ce virus est judicieux parce qu’il suscite une forte réaction immunitaire tout en étant peu répandu chez les humains chez qui il est inoffensif. Il n’est donc pas détruit dès son entrée par des anticorps préexistants chez le patient vacciné. Son efficacité durable et son absence d’effets secondaires ont été vérifiées chez des singes auxquels on a inoculé Ebola Zaïre et Ebola Soudan et qui ne sont pas tombés malades.
Le ChAd3 est testé pour son innocuité, et son efficacité à susciter la production d’anticorps contre Ebola, depuis septembre au Jenner Institute à Oxford, dans les NIH au Maryland, et au Mali, et depuis fin octobre par le professeur Blaise Genton, médecin-chef au Service des maladies infectieuses, au CHUV à Lausanne.
ChAd3 a été financé par une contribution de £ 2,8 millions du Wellcome Trust, le plus grand fonds charitable britannique d’aide à la science, héritier des propriétaires de Wellcome, un des ancêtres de GSK, du Medical Research Council, et du gouvernement britannique.
Lors d’essais normaux d’un nouveau vaccin, le producteur contracte habituellement une assurance pour dédommager d’éventuels effets dommageables chez les personnes injectées. Aucune assurance n’étant prête à assurer quoi que ce soit lié à Ebola, David Cameron a annoncé que son gouvernement assumerait ce risque. La Banque mondiale prévoit aussi un fonds spécial pour cela.
Si les essais sont positifs, GSK promet 230’000 doses pour avril 2015, réservées en un premier temps au personnel médical et infirmier en Afrique.
Le second candidat est le VSV développé depuis 2007 dans le Laboratoire national canadien de microbiologie en collaboration avec les services spécialisés du Département US de la défense. Le Wellcome Trust y a contribué pour 3,1 millions £.
Le VSV utilise comme vecteur du gène GP le virus de la stomatite vésiculaire modifié par génie génétique. Le brevet est détenu par l’Agence canadienne de la santé. Ce virus ne cause chez les humains qu’un léger rhume. Le VSV a démontré chez des macaques qu’il peut incorporer les gènes de GP des sept virus de la famille des Filoviridés. Le vaccin spécifique pour un de ces virus n’a pas empêché la mort des macaques inoculés avec un autre virus de cette famille, mais un vaccin cocktail a démontré qu’il protégeait contre tous, ce qui est très intéressant pour des campagnes de vaccinations en Afrique où sévissent plusieurs et pas seulement le Zaïre ebolavirus. Le VSV a démontré qu’il peut être administré oralement, ou par diffusion à travers une muqueuse, ou sous-cutanée et pas seulement par injection. Cela est un autre avantage en Afrique ou la réutilisation de seringues non stérilisées est un problème grave.
Des essais ont commencé en Suisse, aux Hôpitaux Universitaires de Genève, aux Etats-Unis, au Gabon et au Kenya, avec 800 ampoules offertes par le gouvernement canadien.
Par contre, le virus de la stomatite vésiculaire utilisé provoque des lésions neurales chez les animaux de ferme. Mais, semble-t-il pas celui recombiné avec le gène GP. C’est donc à vérifier.
Johnson & Johnson , no7 du palmarès des big pharmas, est aussi dans la course. Avec un peu plus de retard. Alors qu’elle allait fermer sa filiale Crucell de Berne, l’ancienne Berna Biotech de nos vaccins d’enfance, elle est revenue récemment sur cette décision pour y produire son vaccin contre Ebola. C’est que Crucell a annoncé le 3 octobre qu’elle avait reçu 30 millions $ des NIH, avec 40 millions possiblement dans un deuxième temps, pour développer un vaccin utilisant comme vecteur du même gène GP d’Ebola un autre adénovirus, le Ad35, rarement rencontré chez les humains.
Comme on voit, tout à coup les pharmas flairent la bonne affaire mais ne se mettent en mouvement qu’à coup de subventions publiques. Coûts publics, profits privés ! Les vaccins contre Ebola vont être un exemple classique supplémentaire comment les dépenses publiques ouvrent des marchés aux capitalistes, assistent et accompagnent leurs investissements pour en garantir par avance les profits.
C’est ce qui amène Leigh Phillips, qui a publié le 21 octobre dans la revue new-yorkaise Jacobine Magazine « The political Economy of Ebola » à écrire : « Si, à cause de l’impératif de la recherche du profit, l’industrie pharmaceutique est structurellement incapable de produire ce dont la société a besoin, et si le secteur public ( sous la forme dans ce cas de l’armée) doit systématiquement boucher les trous que laisse cet échec du marché, alors ce secteur devrait être nationalisé, en permettant aux revenus des traitements rentables de subventionner la recherche, le développement, et la production des traitements non rentables. » [11]
ZMapp
ZMapp n’est pas un vaccin mais un traitement expérimental tout récent utilisé ces dernières semaines pour soigner quelques malades d’Ebola, principalement en dehors d’Afrique. Comme il a été injecté aux patients parallèlement aux autres traitements, et donc pas dans des conditions d’expériences contrôlées, on ne peut pas pour le moment tirer de conclusion claire quant à son efficacité chez l’humain. Mais il a démontré au début de l’année 2014 son efficacité chez 18 Macaques rhésus qui ont tous survécu grâce à une dose de ZMapp par jour pendant trois jours trois ou cinq jours après l’inoculation du virus d’Ebola alors que les six singes du groupe de contrôle qui n’ont pas reçu ZMapp sont morts de la maladie.[12]
ZMapp est un mélange de trois anticorps que des souris infectées par le virus Ebola ont produit.
Ces anticorps dits monoclonaux sont produits artificiellement par des plantes de Tabac transgéniques dans lesquels on a inséré par génie génétique les gènes codant pour ces trois protéines, gènes extraits de cultures de cellules chimériques recombinant cellules de thymus des souris infectées et cellules humaines. Ces anticorps chimériques combinent ainsi dans l’architecture de leur molécule le site actif produit par le système immunitaire de la souris avec les autres parties humaines de la molécule d’anticorps propre à notre espèce.
ZMapp a été développé par MappBiopharmaceutical de San Diego sur des fonds alloués depuis plusieurs années par les NIH (la NIAID) et la Defense Threat Reduction Agency du Pentagone, en collaboration avec Defyrus de Toronto, une entreprise de « biodéfense » financée par l’Agence canadienne de la santé publique. Le tabac transgénique qui produit le ZMapp est cultivé par une filiale de Reynolds American Tobacco. Le tabac est une plante fréquemment utilisée pour le génie génétique. Voilà que l’industrialisation souhaitable du ZMapp permettrait à l’industrie du tabac de se refaire une vertu…
Le Pentagone contre le bioterrorisme
Le rôle décisif de laboratoires publics aux Etats-Unis et au Canada financés par les crédits militaires consacrés depuis le 11 septembre 2001, et l’alerte aux bactéries du Charbon/Anthrax, dans les recherches sur Ebola, et le développement de vaccins, et de traitements est frappant.
« “Le financement de biodéfense a été immense” déclare le microbiologiste Thomas Geisbert du Département médical de l’Université du Texas à Galveston, qui étudie les ébolavirus depuis 26 ans. » [13] Dans son récent livre Tempêtes microbiennes, Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique, montre combien cet effort de R & D est beaucoup plus important en Amérique qu’en Europe, pourtant pas moins exposée. « C’est le NIAID – le second des instituts composant les NIH par la taille et le budget (4 milliards de dollars en 2001-2002) – qui abrite la majorité des recherches consacrées au bioterrorisme dans les domaines de la biologie moléculaire et de l’immunologie, des vaccins, des outils diagnostiques, des thérapeutiques et des méthodes. »[14] En 2014, le budget du NIAID est, à lui seul, de 4,578 milliards, sur les 31,3 milliards de budget des NIH au total, à comparer avec les 3,9 milliards $ de budget de l’OMS.
Mais s’il s’agit d’investir dans la production à l’échelle mondiale d’un médicament ou d’un vaccin, les moyens publics qui ont été investis dans la recherche et le développement à propos du virus Ebola, de l’ordre d’environ 500 millions de dollars depuis le début du siècle, pâlissent devant les moyens dont seules disposent les big pharmas : En 2013, les chiffres d’affaires des dix plus grandes totalisaient 292 milliards $.
On estime généralement que conduire un nouveau médicament de la recherche jusqu’à la mise sur le marché coûte entre 500 millions et un 1,5 milliard de dollars.
Voilà qui donne l’échelle de leur désintérêt pour les maladies des pauvres Africains : Le 31 juillet 2014, le directeur du NIAID, Anthony Fauci, déclarait : « Nous avons travaillé sur notre propre vaccin contre Ebola depuis des années, mais nous n’avons jamais réussi à attirer un investissement des compagnies. » [15]
Fast track
En temps normal, un vaccin est testé longuement sur un programme d’essais qui prend habituellement dix ans jusqu’à la certification par les services de santé qui autorisent sa mise sur le marché. En une Phase I, il est testé sur des animaux, puis il est testé sur une petite population saine pour son innocuité et son immunocompétence, c’est-à-dire sa capacité à susciter une production d’anticorps en suffisance. C’est la phase dans laquelle se trouvent aujourd’hui ChAd3 et VSV. En une Phase II, ce test porte sur des populations plus grandes.
Mais la Phase III, décisive, porte sur une grande population parmi laquelle sévit l’infection. Et cela en double aveugle, c’est-à-dire que certaines personnes participant au test reçoivent un placebo sans le savoir et sans que les médecins qui les observent ne le sachent.
L’efficacité et surtout l’innocuité de nombreux vaccins ont souvent suscité des fortes polémiques, preuves et contre-preuves.
Mais contre un agent infectieux mortel on ne peut pas distribuer des placebos.
Contre Ebola aujourd’hui, c’est urgent et il sera immoral de distribuer en Afrique des placebos. Cela va donc obscurcir la saisie des mesures en empêchant de comparer avec la non-prise du vaccin.
Des perfectionnements de la Phase II, et des modèles animaux, permettent alors, néanmoins, de réunir un maximum d’informations sans le double aveugle afin de garantir innocuité et efficacité du nouveau vaccin.
Face à l’urgence, les gouvernements, Barack Obama et David Cameron, entre autres, ont promis que les procédures d’autorisation des vaccins et traitements contre Ebola seraient facilitées en faisant des exceptions. L’OMS devient le chef d’orchestre d’un subit effort industriel. Les NIH se sont entremis auprès de la Food and Drug Administration pour que le ChAd3 de GlaxoSmithKline soit mis au bénéfice d’une procédure accélérée en fast track (Voie rapide). Qui peut être contre face à l’urgence humanitaire ?
Mais cela promet des profits rapides. Les pharmas ont souvent mendié habituellement des privilèges de fast track car les années que prennent habituellement les procédures de certification de leurs nouveaux médicaments, retardent la réalisation de leurs profits et rapprochent l’échéance de leur brevet. Une urgence planétaire comme Ebola permet judicieusement de justifier le fast track. D’exceptionnel, il se banaliserait dorénavant, en créant le précédent de sa nécessité morale et de son indispensabilité.
Mais le fast track est un pari. Le pari que ne vont pas survenir tout à coup, ou avec retard, des effets secondaires ou autres dommages collatéraux imprévus. En Afrique, qu’importe donc ? Les propriétaires des pharmas sont de toute façon à l’abri de cela.
Mais pour MSF qui se heurte depuis des mois en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, et ailleurs en Afrique pour d’autres infections, à la méfiance des populations. Méfiance accrue par le rôle de transmetteurs d’Ebola, et de mouroirs qu’ont joué les hôpitaux débordés et dépassés, et leurs personnels décimés ; une méfiance qui fait fuir les gens et répand toutes sortes de rumeurs et d’explications magiques de complots de Blancs. Pour MSF, et d’autres, un tel couac serait une catastrophe meurtrière qui briserait la confiance des populations qu’ils peinent à reconstruire depuis des semaines.
C’est à cela, et à l’indignation populaire que susciterait une vaccination rapide de seulement certains et pas les autres, que pensait Joanne Liu quand elle a déclaré le 16 septembre à l’ONU:
« Dans le même temps, il faut poursuivre les efforts visant à produire un vaccin efficace de manière à briser la chaîne de transmission. Mais l’innocuité et l’efficacité de ce vaccin doivent être prouvées et il doit être largement disponible. Jusqu’à ce que cela arrive, nous devons faire comme s’il n’y avait pas de vaccin. » [16]
C’est qu’en effet, un vaccin contre une infection est aussi un raccourci facile pour résoudre une infection comme Ebola qui n’est grave que parce qu’elle survient dans le contexte de pays ravagés par la pauvreté et des guerres civiles meurtrières et avec des systèmes de santé absolument effondrés. Un vaccin efficace contre Ebola qui sauverait des milliers de personnes ainsi pourrait être une feuille de vigne facile pour cacher toutes les autres urgences sanitaires de l’Afrique. En Occident, un tel vaccin pourrait être surtout vu comme le moyen pour les gens biens de se protéger d’une maladie de Noirs !
Or, et MSF, et Peter Piot, et tous les spécialistes, ne cessent de le répéter, ces systèmes de santé sont effondrés aussi pour les autres maladies, malaria, tuberculose, rougeole, les diarrhées, qui tuent chaque jour, plus de personnes dans ces pays, et dans toute l’Afrique, que Ebola. Joanne Liu soulignait qu’au Liberia les femmes enceintes aux grossesses à risques n’ont plus nulle part à aller!
En octobre 2014, une épidémie de choléra a sévi au Ghana, avec des milliers de malades à réhydrater pour leurs terribles diarrhées. Entre le Ghana et le Liberia, il n’y a que la Côte d’Ivoire. La Guinée et le Sierra Leone ont connu une grave épidémie de choléra en 2012, qui a fait 400 morts. On frémit à l’idée d’une superposition d’Ebola et du choléra.[17]
Plus qu’une reconstruction, c’est une construction d’un bon Système africain de santé publique qui doit être un plan international massif !
Dans leur éditorial dramatique du New England Journal of Medicine du 16 octobre 2014, déjà cité, Farrar et Piot concluaient : « Il y aura d’autres épidémies et cas d’Ebola et d’autres infections nouvelles ou qui réapparaissent, Et pourtant notre réaction à de tels évènements reste lente, maladroite, peu dotée financièrement, conservatrice, et mal préparée. Nous avons eu de la chance avec le Syndrome respiratoire sévère aigu (SARS), les grippes H5N1 et H1N1, et possiblement le Coronavirus du Syndrome respiratoire du Moyen Orient (MERS-CoV) mais cette épidémie d’Ebola montre ce qui peut se passer quand la chance nous échappe. Avec un agent infectieux différent et une route de transmission différente, une crise semblable pourrait frapper à New York, Genève, et Beijing aussi facilement que celle-ci a frappé en Afrique de l’Ouest. » [18]
[1] Centers for Diseases Control and Prevention, Atlanta, « Current Vaccine Shortages & Delays », http://www.cdc.gov/VACCINes/vac-gen/shortages/default.htm#why
[2] The Independent, 7 septembre 2014
[3] J.J.Farrar et Peter Piot, « The Ebola Emergency – Immediate Action, Ongoing Strategy », The New England Journal of Medicine, 16 octobre 2014
[4] The Independent on Sunday, 3 août 2014
[5] Charlie Cooper, « Dr Margaret Chan hits out at profit-driven vaccine industry », The Independent, 3 novembre 2014
[6] Erika Check Hayden, « The Ebola Questions », Nature 514, 30 octobre 2014.
[7] Bernard Le Guenno, «Les nouveaux virus », Pour la Science , juin 1995, «Emerging Virus», Scientific American, octobre 1995
[8] Jürgen Büttner, « Ebola – auf welche Pandemie-Aktien Anleger setzen », Handelszeitung, 24 octobre 2014
[9] Quel est le contenu informatif des gènes, inscrit dans leur ADN (ou ARN pour certains virus, dont Ebola) ? C’est la composition précise des protéines de l’espèce ou de l’individu, sauvegardée (au sens informatique) au moyen du code génétique qui est le même pour toutes les espèces, pour la morille comme pour le rhinocéros. C’est à la fois peu et beaucoup ! La nomenclature biologique prévoit qu’on écrit en gras le nom de la protéine et qu’on désigne le gène par le nom de la protéine codée écrit en italique. Si une bactérie a environ 2000 gènes, le virus Ebola n’en a que sept, et celui de la grippe huit.
[10] J.S.Richardson, J.D.Dekker, M.A.Croyle, et G.P.Kobinger, « Recent advances in Ebolavirus vaccine development », Human Vaccines 6 :6, 439.449, Juin 2010.
[1] Leigh Phillips, « The Political Economy of Ebola », Jacobine Magazine, New-York, 21 octobre 2014
[12] Qiu X, Wong G, Audet J, et al. « Reversion of advanced Ebola virus disease in nonhuman primates with ZMapp », Nature 514 (7520), Août 2014.
[13] Erika Check Hayden, « The Ebola Questions », Nature 514, 30 octobre 2014.
[14] Patrick Zylberman, Tempêtes microbiennes, Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique, Gallimard, Paris, 2013, pp. 292-298.
[15] « …but we could never get any buy-in from the companies. », USA Today, 31 juillet 2014
[17] Renaud Piarroux, « Stoppons la menace du choléra qui se profile derrière Ebola ! », Le Monde, 16 octobre 2014
[18] J.J.Farrar et Peter Piot, « The Ebola Emergency – Immediate Action, Ongoing Strategy », The New England Journal of Medicine, 16 octobre 2014
En 2012, sur le continent africain, 6,6 millions d’enfants sont morts avant leur cinquième anniversaire ; pratiquement tous ces décès (99%) sont survenus dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Les principales causes de décès d’enfants de moins de 5 ans ont été : la pneumonie, la prématurité, l’asphyxie ou les traumatismes à la naissance, et les maladies diarrhéiques. Le paludisme était encore l’une des principales causes de décès en Afrique subsaharienne, avec près de 15% des décès de moins de 5 ans dans la région. Les maladies non transmissibles (MNT) ont été responsables de 68% (38 millions) des décès dans le monde en 2012, contre 60% (31 millions) en 2000. Les maladies cardio-vasculaires ont à elles seules tué près de 2,6 millions de personnes de plus en 2012 qu’en 2000…
http://2ccr.unblog.fr/2014/11/26/ebola-petite-mise-au-point/