L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré, le 8 août 2014, que l’épidémie d’Ebola (voir articles ci-dessous) qui sévit en Afrique de l’Ouest est une «urgence de santé publique de portée mondiale». A l’heure actuelle, 932 personnes sont déjà décédées dans la région. Ci-dessous la réaction de Bart Janssens, directeur des opérations de Médecins Sans Frontières (MSF).
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«La déclaration de l’OMS démontre à quel point elle prend au sérieux cette épidémie. Mais ce ne sont pas les déclarations qui sauvent des vies. Cette déclaration doit maintenant se traduire rapidement en actes sur le terrain.
MSF travaille en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia avec 66 expatriés et 610 collaborateurs locaux pour lutter contre l’épidémie. Tous nos spécialistes en Ebola sont mobilisés, nous ne pouvons tout simplement pas faire davantage.
MSF répète depuis des semaines qu’une réponse médicale et épidémiologique massive et coordonnée doit impérativement se mettre en place pour sauver des vies et renverser le cours de l’épidémie. Des vies sont perdues parce que la réponse est beaucoup trop lente.
Les pays qui ont les compétences nécessaires doivent immédiatement déployer des experts en maladies infectieuses et du matériel dans la région. Il est évident que l’épidémie ne sera pas endiguée sans un déploiement bien plus important de moyens dans ces pays.
Concrètement, il est nécessaire de renforcer massivement la provision de soins médicaux, la formation du personnel de santé, le contrôle infectieux afin d’éviter de nouvelles contaminations, le suivi des personnes qui ont été en contact avec un cas suspect ou confirmé, la surveillance épidémiologique, le système d’alerte et de transfert des cas, ainsi que la mobilisation et la sensibilisation des communautés.»
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De retour d’un reportage à Kailahun, en Sierra Leone, où les équipes MSF luttent contre l’épidémie d’Ebola, David McKenzie, correspondant de CNN International, témoigne de la peur de la population et des défis que doivent relever les équipes médicales.
La première chose que j’ai remarquée lors de mon arrivée cette semaine dans la capitale de la Sierra Leone, était cet étrange et impressionnant silence. Les trottoirs, qui sont en temps normal occupés par la foule, étaient quasiment vides. Le gouvernement avait demandé aux habitants de rester chez eux ce jour-là ; les magasins étaient fermés, et la circulation limitée. Ce pays fait face aujourd’hui à une épidémie d’Ebola, la première de son histoire. L’atmosphère y est nerveuse et inquiétante.
Nous nous sommes rendus dans le district de Kailahun pour visiter un centre de soin au cœur de l’épidémie. Nous sommes la première équipe TV à nous y rendre depuis que le virus est devenu incontrôlable. Sur notre route, nous apercevons clairement l’étendue du problème lorsque l’on nous fait passer des contrôles de sécurité extrêmement stricts à hauteur des barrages routiers. «Nous devons prier», nous dit Mohammed Sisay, l’une des rares personnes que nous avons rencontrées. Selon un représentant de la Croix Rouge, le virus Ebola est «omniprésent». Des experts ont indiqué que le pays et sa région ne pouvaient simplement pas gérer cette épidémie.
Au centre de soins, nous rencontrons l’extraordinaire équipe de Médecins Sans Frontières, qui travaille sur le terrain pour combattre cette maladie mortelle. Le virus Ebola n’est pas particulièrement contagieux, mais il se distingue par son caractère hautement infectieux. Une petite goutte de fluides corporels suffit pour infecter quelqu’un. Une douzaine de docteurs et infirmières en sont déjà morts. Au centre, des combinaisons très perfectionnées permettent d’assurer la sécurité du personnel, mais ces courageux travailleurs humanitaires prennent de grands risques personnels. Malgré cela, un docteur m’a confié qu’il devait impérativement être présent : «Sans nous, il n’y aurait rien ici».
Quant aux patients eux-mêmes, le pronostic n’est pas bon. 70% des cas confirmés meurent. Alors que nous interrogeons certains malades sous traitement, des mesures strictes nous imposent d’être à au moins quelques mètres. Isolée et effrayée, une femme me raconte comment son mari et son fils ont été tués par la maladie. Elle et sa fille de 12 ans sont contaminées par le virus Ebola, mais elles sont déterminées à le combattre et le vaincre, me dit-elle.
Le centre fonctionne à pleine capacité. Malheureusement, personne ne connaît le nombre réel de cas présents sur le territoire. Une représentante de Médecins Sans Frontières m’a indiqué qu’ils sont «débordés» face à l’épidémie et qu’ils ne parviennent pas à rattraper ce retard. Les efforts actuellement fournis ne seront pas suffisants pour endiguer le virus, précise-t-elle. (7 août 2014)
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Ebola: une urgence de santé publique internationale,
dit l’OMS
La pire épidémie d’Ebola jamais recensée a jusqu’à présent fait au moins 961 victimes et son taux de mortalité s’établit à environ 50%. L’OMS avait proclamé des urgences similaires pour la pandémie de grippe porcine en 2009 et pour la polio en mai.
La chef de l’OMS, la Dre Margaret Chan, a précisé que l’annonce représente «un appel clair à la solidarité internationale», même si elle a reconnu que plusieurs pays ne seront jamais touchés par la crise [1].
«Les pays déjà infectés n’ont tout simplement pas la capacité d’affronter seuls une épidémie de cette ampleur et de cette complexité, a-t-elle prévenu. Je demande à la communauté internationale de nous fournir cette aide de toute urgence.»
L’agence onusienne avait réuni un comité d’experts cette semaine pour évaluer la gravité de la situation.
L’épidémie actuelle d’Ebola a éclaté en mars en Guinée, avant de se propager à la Sierra Leone et au Liberia. Quelques cas ont aussi été détectés au Nigeria. On ne dispose d’aucun vaccin ou traitement éprouvé contre l’Ebola.
L’impact réel de l’annonce de l’OMS demeure incertain, puisque la déclaration au sujet de la polio ne semble pas avoir freiné la progression de la maladie.
«Des communiqués ne sauvent pas de vies, a dit le directeur des opérations pour Médecins sans frontières, le docteur Bart Janssens. Depuis des semaines, [nous] répétons que nous avons désespérément besoin d’une réponse médicale, épidémiologique et de santé publique énorme… Des vies sont perdues parce que cette réponse est trop lente.»
«Je ne vois pas l’avantage de proclamer une urgence internationale, a dit le Dr David Heymann, qui avait dirigé la réponse de l’OMS à l’épidémie de SRAS. Ça pourrait générer plus d’aide internationale, mais ce n’est pas encore certain.»
Questions d’éthique
L’OMS se réunira de nouveau la semaine prochaine pour discuter des questions d’éthique qui entourent l’utilisation de médicaments expérimentaux pour lutter contre l’épidémie. Rien ne démontre l’efficacité des traitements expérimentaux et il faudrait plusieurs mois seulement pour en produire des quantités modestes.
D’autres experts espèrent que l’annonce de l’OMS verra de nouveaux travailleurs sanitaires arriver en Afrique de l’Ouest.
«La situation est très critique et très différente de ce que nous avons vu précédemment, a dit le Dr Heinz Feldmann, le directeur de la virologie pour l’Institut national américain d’allergies et de maladies infectieuses. Il y a tellement de sites où la maladie se transmet et nous avons besoin de plus de gens au sol.» (La Presse, Québec, 8 août 2014)
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[1] Autrement dit, les pays qui ont le privilège d’avoir des systèmes de santé et des ressources. Pour rappel, selon l’OMS elle-même, dans un communiqué datant de novembre 2013: «La pneumonie est la première cause de mortalité chez l’enfant. On estime qu’elle tue chaque année 1,1 million d’enfants de moins de 5 ans, soit 18% des décès dans ce groupe d’âge à l’échelle mondiale. Elle affecte les enfants et les familles partout dans le monde, mais sa prévalence est la plus forte en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. Ces enfants peuvent être protégés grâce à des interventions simples et soignés par des médicaments et des soins peu coûteux.» Cela relève d’un choix politique et social. Il faut l’avoir à l’esprit lorsque MSF, à juste titre, affirme qu’il faut passer des constats et déclarations aux actes.
Anticipant des financements publics, ayant à l’esprit les ressources financières issues du pétrole d’un pays comme le Nigeria et attentif aux mesures préventives des pays dits à hauts revenus, le groupe GlaxoSmithKline (GSK) annonce enfin le 10 août le départ de la phase I d’essais cliniques sur les êtres humains d’un vaccin contre l’Ebola. Travaillant avec des scientifiques américains, il attend le feu vert de la FDA (Food and Drug Administration), l’autorité sanitaire américaine. Autrement dit, il envisage un retour sur investissement tout à fait respectable! Or, c’est déjà en 1976 que le jeune biologiste belge Peter Piot, avec son équipe, non seulement découvre l’Ebola mais les vecteurs de sa transmission, au Zaïre (Le Monde, 10-11 août 2014, p. 5). Celui qui deviendra directeur de l’Onusida relate sa recherche sur Ebola et le VIH dans un ouvrage intitulé No Time to lose, Ed. W.W. Norton & Co, 2012, pas encore traduit en français! On trouve là, en résumé, la relation entre recherche, mise au point clinique et anticipation du profit privé par les grands groupes pharmaceutiques; ce qui implique un délai de temps socialement et humainement inacceptable entre les premières découvertes étayées et la mise à disposition à un prix adéquat au pouvoir d’achat de populations très pauvres de mesures préventives, de soins et de vaccin. Or, dans les semaines qui viennent, GSK va se parer d’une aura de Saint-Bernard de l’Ebola. Une campagne publicitaire gratuite et un bras de levier pour ses actions en bourse. (Réd A l’Encontre)
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