Par Razan Ghazzawi
Le mercredi 17 février, les grands médias – dans le cadre de la campagne d’intoxication sur la «mise en attente» d’une Conférence de Genève 3 qui n’a jamais eu lieu – tambourinent sur les «convois humanitaires» organisés par le Croissant-Rouge syrien en direction des villes «assiégées», une réalité connue, mais camouflée par l’ONU, qui ne mit l’accent, après un certain temps, que sur Madaya, où les enfants crèvent de faim, au sens littéral du terme, ou, pour les dénutris durant des mois, porteront le poids de très graves séquelles pour toute leur vie.
A grands frais d’annonce, le 17 février, il est diffusé que: «Un premier convoi, composé de 35 camions, chargés de milliers de sacs de farine, de rations alimentaires, et de médicaments, est entré dans la ville de Moadamiyyat al-Cham, tenue par les rebelles au sud de Damas.» Car, semble-t-il, sur les 46 villes encerclées (officiellement), il n’y en a qu’une par «les rebelles»? Celles bombardées par l’aviation russe, encerclées par l’armée syrienne de Bachar, ses groupes mafieux, les mercenaires d’Iran et d’Irak, du Hezbollah n’existeraient pas. En outre, le Croissant-Rouge syrien n’est pas exactement une structure indépendante du régime!
Dans l’histoire, «on» a connu 75 médecins, infirmières et auxiliaires de la Croix-Rouge suisse – selon des modalités négociées avec le Conseil fédéral et le général Guisan – être placés sous les ordres du colonel-divisionnaire Eugen Bircher pour porter secours aux troupes allemandes du Troisième Reich sur le front russe. L’ambassadeur suisse à Berlin, Hans Frölicher, avait conseillé cet appui et reçu le soutien de Johannes von Muralt, colonel-divisionnaire et président de la Croix-Rouge suisse! Ces secouristes-humanitaires – dont une presse helvétique presque officielle (Neue Zücher Zeitung) vantait les mérites dans la «lutte contre le bolchevisme» – furent intégrés, de facto, dans l’armée allemande, car soumis au code pénal militaire nazi.
Une analogie avec le statut du Croissant-Rouge syrien ne relève pas de l’ordre de la spéculation. En outre, l’acheminement des convois est totalement soumis à l’armée syrienne et à ses supplétifs. Or, la trêve est loin d’être assurée, comme le promettait l’envoyé de l’ONU Staffan de Mistura à ne pas confondre avec S. de Mystification. Donc l’avance des convois est conditionnée à des «strictes règles de sécurité». Lesquelles sont appliquées – et pour qui en Syrie? – par le régime.
En outre, cet «effort humanitaire», non seulement permet de détourner les regards des massacres divers commis – qui s’ajoutent à ceux de Daech (gaz moutarde, entre autres) –, mais aussi de donner à la filouterie de Genève 3 un semblant de réalité, alors qu’il s’agit de laisser le régime d’Assad en place. Il n’est pas trop nécessaire d’insister sur l’aspect médiocre de cette «aide», alors qu’un tout récent rapport de l’ONU indique que plus d’un million de personnes manquent de nourriture, d’électricité et d’eau courante, dans les 46 localités encerclées par les belligérants. Dans l’article de Razan Ghazzawi, publié ci-dessous, est abordée une autre facette de la «politique des pays donateurs». (Rédaction A l’Encontre)
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Un peu plus tôt ce mois-ci [le 4 février], 30 dirigeants du monde entier se sont retrouvés à Londres pour la quatrième conférence internationale afin de réunir les promesses de dons destinés à l’aide humanitaire des victimes de la guerre civile syrienne. NOW News a parlé avec des représentant·e·s de la société civile syrienne qui étaient présents à la conférence afin de connaître leur appréciation de cet événement. Cet article tente de dévoiler la logique derrière les priorités et les préoccupations exprimées lors de la réunion des donateurs. La conférence Supporting Syria est, d’une manière ou d’une autre, un exemple capital des politiques menées en ce qui concerne l’aide étrangère destinée aux Syriens affectés par la guerre civile [voir aussi sur ce thème l’article publié sur ce site en date du 7 février, intitulé: «Quelle aide au peuple syrien?»].
Pour la première fois des Syriens ont été invités
à la conférence des donateurs
La conférence des donateurs de Londres est la quatrième de ce type. Les trois premières conférences se sont tenues au Koweït en 2013 (elles ont collecté 1,5 milliard de dollars), 2014 (2,4 milliards) et 2015 (3,8 milliards). La conférence de cette année était significative non seulement parce que les pays donateurs ont fait des promesses de dons s’élevant à 10 milliards de dollars en aide humanitaire sur quatre ans, mais parce que, pour la première fois, des Syriens y ont été invités – bien que cela ait été «à la toute dernière minute», a déclaré à NOW un représentant de la société civile syrienne. Le premier ministre britannique, David Cameron, a indiqué lors d’une conférence de presse que les donateurs s’étaient engagés à verser 6 milliards de dollars pour cette année, auxquels s’ajoutent 5 milliards jusqu’en 2020.
Les quatre représentants de la société civile syrienne avec lesquels NOW s’est entretenu ont formulé des éloges quant au succès de la rencontre des organisations de la société civile (CSO), qui s’est tenue un jour avant la conférence des donateurs. Les organisations de la société civile syrienne «s’accordaient» sur les priorités pressantes en Syrie, auxquelles devaient répondre, ainsi que l’expliquait un travailleur humanitaire, les dons. «Il y avait une déclaration rédigée par les organisateurs afin que nous la lisions et l’approuvions. Nous ne l’avons même pas lue, nous avons écrit et fait circuler notre propre déclaration», affirma le représentant de la société civile.
Malgré le pas notable qu’a représenté l’invitation de Syriens à la réunion de cette année, certaines préoccupations concernant les capacités organisationnelles ont été soulevées: «Bien que la rencontre des CSO ait été décidée en septembre 2015, nous n’en avons été avertis qu’en janvier!» s’est plaint un travailleur humanitaire. Lors d’une réunion séparée, un autre agent humanitaire expliquait dans quelle mesure un tel retard a pu affecter la participation de Syriens: «Tout le monde sait à quel point il est difficile d’assurer un visa pour un délai aussi bref, en particulier pour les Syriens en ce moment», a-t-il déclaré alors qu’il parlait de la mission impossible que représentait l’obtention de son visa pour le Royaume-Uni. En outre, «dès lors que tout a été fait à la dernière minute», a-t-il remarqué, «nous avons dû réserver nous-mêmes les hôtels et acheter nos propres billets», laissant entendre que certains Syriens n’ont pas même pu venir en raison du manque de fonds.
De telles limitations dans l’organisation de l’événement ont conduit à des «nominations croisées» par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et d’autres organisations internationales dans la sélection de représentants de la société civile syrienne. «Aucun Syrien de l’intérieur à l’exception d’une personne, nous parlons tous anglais, nous sommes tous connus des partenaires internationaux, pour résumer, nous sommes tous des privilégiés, comme le dit l’un de nos collègues», a conclu le travailleur humanitaire.
Néanmoins, malgré la «présence symbolique» de Syriens à cette conférence, les quatre travailleurs humanitaires ont apprécié les efforts visant à inclure des voies syriennes dans le processus. Ils ont aussi souligné l’importance de la présence de personnes non privilégiées, en particulier celles venant de l’intérieur du pays.
Plus de 10 milliards de dollars promis pour faire face
à la «crise des réfugiés»s et pour éviter «la radicalisation»
Ceux qui suivent étroitement les développements et comprennent les raisons derrière la grande différence entre les promesses de dons de cette année et les promesses des années précédentes savent que la crise des réfugiés est une préoccupation sérieuse pour les nations européennes. La conférence des donateurs de 2016 reflétait cette inquiétude. Ainsi que la doctoresse Rouba Mhaissen l’a décrite, la conférence des donateurs était une «stratégie de rétention afin de garder les réfugiés éloignés des frontières européennes». Elle a été façonnée en fonction des besoins des puissances. Ce sentiment était évident dans la plupart des discours européens. Par exemple, le premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, dans son article publié dans le quotidien The Guardian un jour avant la conférence des donateurs, n’aurait pu être plus clair: «La conférence de Londres est une tentative radicale de recentrer les efforts de la communauté internationale sur le sauvetage des vies en Syrie et pour empêcher les réfugiés de risquer leurs vies par désespoir. Alors que nous aspirons toujours à une Syrie pacifique, nous devons apporter l’espérance que seules la stabilité sociale et des perspectives économiques sur le long terme peuvent apporter.»
Intervention de la Doctoresse Rouba Mhaissen
«Empêcher les réfugiés de risquer leurs vies» sort ici de son contexte. Monsieur D. Cameron pourrait facilement ouvrir les frontières de son pays et sauver les vies de réfugiés. Mais la logique humanitaire l’emporta sur une approche politique lors de la rencontre des donateurs. Les discours ont accordé peu d’attention aux causes de la guerre, aussi bien qu’à l’ensemble de la crise humanitaire qui, en premier lieu, a rassemblé 30 dirigeants du monde entier à Londres: le régime Assad. L’urgence de la crise des réfugiés en Europe a pavé la voie à ces promesses de dons élevées qui seront utilisés afin d’assister les pays hôtes des réfugiés de la région: la Turquie, le Liban et la Jordanie, qui ont demandé des possibilités d’emplois pour leurs citoyens parallèlement aux réfugiés. En outre, les promesses assureront que tous les enfants ont accès à l’éducation «à compter de la fin de la prochaine année scolaire», ainsi que l’espère Cameron. Après tout, «fournir cette éducation est un acte humanitaire et juste», ainsi que nous le rappelle une fois de plus Cameron dans son article, mais il s’agit aussi d’une stratégie contre le radicalisme. Il poursuit: «C’est aussi une chose essentielle pour la stabilité à long terme. Une génération de réfugiés écartée de l’école signifie une génération de jeunes adultes non seulement inaptes au travail mais aussi plus vulnérables à l’extrémisme et à la radicalisation. Empêcher cela correspond à tous nos intérêts.»
En d’autres termes, l’éducation est et a toujours été un droit, mais suite aux attentats de Paris, l’éducation pour les enfants réfugiés est nécessaire pour la «stabilité à long terme», parce que l’on craint désormais qu’une génération sans éducation soit vulnérable à la radicalisation. En effet, le motif des priorités de la rencontre et leur logique reflètent celles de l’Europe plus que celles des Syriens eux-mêmes. Laila Alodaat, responsable du Programme de réponse aux crises auprès de la Women’s International League for Peace and Freedom, décrit ainsi ses préoccupations envers une telle approche: «La protection était absente [de la conférence]. Ils parlaient de secours, insensibles au fait qu’il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle, il s’agit d’un ensemble de crimes réalisé par des êtres humains et il est plus simple de les arrêter que de trouver des manières de secourir les victimes et les survivants.»
La conférence Supporting Syria est un autre véhicule utilisé pour attirer l’argent des donateurs au nom de la lutte d’un peuple pour sa survie afin de le garder loin de leur continent (l’Europe) et aider les Etats (Liban, Jordanie et Turquie) qui rendent l’obtention des permis de résidence et les visas plus difficile, d’un côté, ainsi que, de l’autre, des institutions comme l’ONU qui a été accusée de paver la route de la famine pour les habitants de Madaya. Alodaat ajoute: «Aucun argent n’a été collecté lors de la conférence des CSO, tout a été collecté lors de la conférence des donateurs et sera géré par l’ONU (ce qui est, en soi, problématique car l’ONU a une histoire et des pratiques horribles, en particulier en Syrie). En ce moment, il n’y a pas de mécanisme de contrôle au niveau des communautés et nous ne sommes pas en mesure d’exercer une surveillance.»
Plutôt que d’utiliser les ressources mondiales pour assister les victimes des guerres qui ont besoin de nourriture, de sécurité et d’un abri, la conférence Supporting Syria 2016 est une démarche collaborative des dirigeants du monde afin d’aider les puissants contre les démunis sous le nom d’aide [humanitaire]. Il est évident que cette logique d’institutionnalisation reflète le sentiment contre les réfugiés qui monte en Europe et, plus largement, dans les pays occidentaux. Ce qui signifie que seul un mouvement d’activistes de base en faveur de l’accueil des réfugiés, antiraciste et anti-impérialiste pourrait répondre avec un discours suffisamment fort pour contrer le discours fascistoïde. Ce qu’un tel mouvement favorable à l’accueil des réfugié·e·s pourrait enseigner aux 30 dirigeants du monde entier, c’est en quoi une politique de solidarité est ce dont les réfugié·e·s ont le plus besoin. (Article publié le 16 février 2016 sur le site now.mmedia.me, traduction A l’Encontre. Razan Ghazzawi a participé à L’Autre Davos de janvier 2016 qui s’est tenu à Zurich. Son intervention, en anglais, peut être écoutée ici: http://sozialismus.ch/das-war-das-andere-davos-2016/ ou en cliquant sur la photo ci-dessous)
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