Alep, bastion rebelle, est aux abois: des dizaines de milliers de Syriens ont fui la région en direction de la Turquie devant la vaste offensive lancée par l’armée syrienne, sous la couverture de l’aviation russe et avec l’assistance de combattants d’Iran, du Hezbolah et d’Irak. Le point est fait ici avec le chercheur libanais Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. Voir aussi les deux articles de Delphine Minoui publiés ci-après, ainsi que le texte d’appel à la manifestation du 12 février à Paris. (Rédaction A l’Encontre)
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Entretien avec Ziad Majed
Quelle est la situation à Alep à ce jour?
Depuis jeudi, la partie Est de la ville et les zones limitrophes, contrôlées par l’opposition, sont coupées, au nord, de la campagne menant à la frontière turque. Un déluge de feu s’est abattu sur Alep et ses environs ces derniers jours. Les Russes disent avoir effectué 237 raids sur 900 cibles dans les quatre premiers jours de février. Mais l’offensive avait démarré plus tôt. Les bombardements russes se sont intensifiés sur la ville et ses lignes de ravitaillement depuis début janvier.
Qui sont ces candidats à l’exil?
Les dizaines de milliers de civils Syriens qui fuient en direction de la Turquie proviennent des faubourgs et de la campagne alépine. Les habitants d’Alep, eux, ne peuvent plus sortir. Et ceux qui sont partis sont aussi acculés. 15 à 20 000 personnes sont bloquées aujourd’hui à la frontière turque.
Qui mène l’offensive terrestre du côté du régime ?
Des divisions de l’armée de Bachar el-Assad, plusieurs milliers d’hommes, auxquels s’ajoutent un millier de combattants du Hezbollah libanais et des centaines de combattants irakiens et afghans, recrutés et dirigés par des militaires iraniens.
Quels sont les groupes de l’opposition présents à Alep?
La plupart sont des groupes locaux réunis sous la bannière du Front du Levant (Jabhat al Chamiya), formé fin 2014, dont certains sont des anciens de l’Armée syrienne libre (ASL), tel Harakat Noureddine al-Zenki. Il y a également des brigades restées sous la bannière de l’ASL et le groupe islamiste Ahrar el-Cham. Le Front al-Nosra (affilié à Al-Qaïda) est beaucoup moins présent à Alep qu’il ne l’est à Idleb, même s’il a tenté un coup médiatique, la semaine dernière, en filmant l’envoi vers Alep d’hommes depuis le nord-ouest.
À quoi ressemblait Alep avant cette nouvelle offensive?
L’ex-capitale économique du pays comptait 3 millions d’habitants avant la guerre. Aujourd’hui, elle est divisée en deux.
En 2012, la partie est – des quartiers de classes moyennes et populaires, un peu plus du tiers de la surface de la ville- ainsi que les campagnes environnantes, très peuplées, sont passées sous le contrôle de l’opposition. Faute de pouvoir les reprendre, le régime a lancé, dès l’été 2012, les premiers raids aériens, puis les largages de barils d’explosifs. Les boulangeries, les écoles et les hôpitaux étaient particulièrement visés, avec pour objectif de rendre la vie impossible. Aujourd’hui, à Alep, beaucoup de centres de soin ou d’écoles improvisées sont installées en sous-sol.
De 2 millions d’habitants en 2012, la population du secteur de l’opposition est passée à environ 200 000. Certains habitants ont fui vers les campagnes avoisinantes, d’autres vers la Turquie, d’autres encore ont trouvé refuge dans la partie d’Alep contrôlée par le régime, pour échapper aux barils d’explosifs. Pas les hommes: ils risquaient d’être arrêtés ou enrôlés dans le camp loyaliste.
Avec environ 800 000 habitants, la partie ouest de la ville a, elle aussi, perdu une partie de sa population, partie vers la côte (Lattaquié) ou la Turquie.
Pourquoi l’opposition est-elle aussi affaiblie?
Ces derniers mois, l’opposition, au nord, a été mobilisée sur plusieurs fronts, ce qui a contribué à l’affaiblir: au nord-est d’Alep, des combats acharnés l’ont opposé à Daech. Des accrochages réguliers se sont produits avec les forces Kurdes (YPG), au nord-ouest. Un large front l’a opposé aux forces du régime et du Hezbollah au sud-est et à l’est. Ces dernières cherchaient à percer cette ligne pour rejoindre les positions qu’elles tiennent au nord-ouest d’Alep, ce qu’elles ont réalisé cette semaine.
L’opposition a beaucoup souffert du pilonnage de l’aviation russe. Pendant les combats contre Daech, en octobre et en novembre, les raids russes l’ont visé tout en épargnant l’EI, ce qui a permis à celui-ci de progresser dans la région avant d’être repoussé.
Mais c’est surtout la décision américaine de ne pas fournir de missiles sol-air, à partir de 2012, lorsque les bombardements aériens ont commencé, qui est à l’origine de la situation actuelle. Le régime a eu «ciel ouvert» pour pilonner les positions de l’opposition et les régions qu’elle avait libérées. Une grande partie des réfugiés ont fui en raison de ces bombardements.
En outre, Washington a récemment fait pression sur les pays qui soutiennent l’opposition, la Turquie et les pays du Golfe, pour qu’ils limitent leurs livraisons d’armes à l’opposition afin de préparer les «conditions de réussite de Genève III». Dans le même temps, Russes et Iraniens ont augmenté les leurs, tout en intervenant directement sur le champ de bataille.
La récente offensive explique-t-elle la suspension des négociations de Genève, mercredi dernier?
En partie. Les Russes et le régime, qui ont intensifié les bombardements pendant les pourparlers, n’ont pas intérêt à négocier puisqu’ils engrangent des succès sur le terrain.
L’opposition ne souhaitait pas non plus rester à la table des négociations. Elle a été contrainte par les grandes puissances occidentales à multiplier les concessions pour que Genève ait lieu. Elle voulait qu’un minimum de ses revendications humanitaires soient prises en compte (levée des sièges, arrêt des bombardements et libération de prisonniers), ce qui n’a pas été le cas. Elle se sent trahie.
Comment voyez-vous la suite des événements?
La stratégie du régime et de ses alliés russe et iranien est une stratégie de la terre brûlée, qui rappelle celle menée par Vladimir Poutine en Tchétchénie. S’ils parviennent à écraser l’opposition, ce sera une victoire sur un champ de ruines, une terre vidée de sa population.
Depuis le début de ces offensives, à chaque fois qu’une ville ou une région est reprise par l’armée du régime et ses alliés, toute la population fuit. Les Syriens ont le sentiment d’affronter une armée d’occupation. Reste à savoir quelles seront les réactions turques et saoudiennes et, le plus important, quelle serait la capacité de l’opposition à résister aux offensives qui vont probablement se multiplier.
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Alep. Les avions russes crachent leurs missiles
Par Delphine Minoui
À Alep, le secteur est de la ville, sous contrôle de l’opposition, est livré à une pluie incessante de missiles, d’obus, et de barils d’explosifs.
«À chaque raid aérien, c’est le même scénario: les gens se mettent à courir à travers la poussière des explosions, les sirènes retentissent, puis chacun reprend sa route comme si de rien n’était.» Abdel Hamid al-Bakri n’a jamais été aussi cynique. Quand il décrit, par téléphone, le quotidien des habitants d’Alep, sa voix se perd dans de petits rires nerveux. «À force d’être bombardé, j’en suis devenu insensible», poursuit l’activiste syrien. Il parle depuis le secteur est de la ville, sous contrôle de l’opposition depuis 2012, que l’actuelle offensive militaire du pouvoir syrien, épaulé par les avions russes, menace d’assiéger pour de bon. Une cité dans la cité, livrée à une pluie incessante de missiles, d’obus, de barils d’explosifs et où quelque 200.000 personnes – contre 2 millions il y a trois ans – s’efforcent de survivre.
Depuis que la principale route de ravitaillement (qui mène, au nord, vers la Turquie, NDLR) a été coupée la semaine dernière, les prix des produits de base ont flambé. Nous n’avions déjà plus d’électricité depuis quatre mois. Là, nous sommes menacés de pénurie en essence et en fioul, dont nous dépendons pour alimenter les générateurs et faire fonctionner les boulangeries et les hôpitaux», raconte Abdel Hamid al-Bakri. Autre syndrome, dit-il, de cette campagne militaire: l’intensification et la précision des bombardements. «Parfois, ce sont dix avions d’un coup qui crachent leurs missiles. Et contrairement aux raids syriens, plus aléatoires, les avions russes ont une incroyable précision de frappe», observe le jeune homme, en accusant la Russie de viser des civils.
Face au déluge de feu, les Casques blancs – ces milliers de volontaires de la défense civile – ne savent plus où donner de la tête. «La nuit passée, je n’ai dormi que quatre heures», confie Mounir, l’un d’eux. À 34 ans, cet ex-pompier jongle, 24 heures sur 24, entre les explosions. «Immeubles, mosquées, centre médicaux, écoles… Aucune infrastructure n’est épargnée», dit-il.
Des hôpitaux dans les caves
Sur les photos diffusées sur les réseaux sociaux, l’ex-capitale économique est méconnaissable: des ruines à perte de vue, où des bâtiments en miettes côtoient des arbres déracinés et des carcasses de voitures. Les pertes humaines ne se comptent plus. «Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre de corps inanimés, y compris des femmes et des enfants, que nous extrayons quotidiennement des débris», poursuit Mounir. Son métier est particulièrement périlleux. «Une fois parvenu sur le site attaqué, je suis à la merci d’un second bombardement.
Nous avons perdu tellement de collègues comme ça», dit-il. Lundi, deux de ses compères ont été gravement blessés au nord d’Alep. «L’un d’eux a été touché à la tête. Il se trouve dans un état critique.» Ces derniers jours, Mounir dit avoir constaté des plaies encore plus sévères qu’avant parmi les blessés: «Les blessures sont terribles, à cause des éclats d’obus, mais aussi des bâtiments qui s’effondrent sur leurs habitants. Beaucoup de traumatismes crâniens, des bras et des jambes fêlés, de blessés qui doivent être amputés. Souvent, les gens sont victimes de graves brûlures à cause des incendies provoqués par les explosions.»
Improvisés dans des caves, les hôpitaux croulent sous le va-et-vient des nouveaux patients. «Les médecins sont débordés et en sous-effectifs. À Alep, où l’on ne compte plus que sept hôpitaux, il ne reste plus que deux anesthésistes et deux pédiatres. Les autres ont quitté le pays», confie le Dr Abdel Aziz, un nom d’emprunt. À cause des bombardements, des techniques de survie se mettent en place. «Nous avons par exemple fait repeindre nos ambulances d’une nouvelle couleur, pour éviter qu’elles ne soient la cible de bombardements», poursuit ce chirurgien d’Alep. Mais la menace est également terrestre: si la dernière petite route de ravitaillement qui échappe, à l’ouest, au régime était verrouillée, hôpitaux et civils en feraient les frais. «Les hôpitaux disposent d’un stock médical pour un mois. Au-delà, ce sera l’asphyxie», s’alarme-t-il. (Publié dans Le Figaro du 9 février 2016)
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Alep. L’aviation de Poutine perpètre un Grozny 2, pour fortifier Assad, son régime, ses alliés
Que restera-t-il d’Alep? Depuis le 1er février, le déluge de feu russe n’épargne aucun recoin du secteur est, sous contrôle de l’opposition anti-Assad: écoles, hôpitaux, commerces… Jeudi matin, le marché de Mash’ad, en centre-ville, a une fois de plus été la cible d’une frappe aérienne. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’offensive de l’armée syrienne, appuyée par l’aviation russe, a causé la mort de plus de 500 personnes – dont des dizaines de civils – en dix jours.
«En fait, les victimes sont certainement plus nombreuses», estime Rami Jarrah, un des rares journalistes basés à Alep. De passage à Istanbul, il parle en connaissance de cause: «Ces derniers jours, les bombardements se sont intensifiés. On en dénombre une vingtaine par jour. Les médecins et les casques blancs de la défense civile sont tellement débordés qu’ils ne comptent plus les victimes.» Ce qu’il retient, également, c’est la rapidité des frappes russes: «Avant, quand les avions syriens lâchaient leurs bombes, on pouvait compter 4 secondes avant la déflagration. Là, ça dépasse à peine la seconde. Les gens n’ont pas le temps de se sauver en courant.» Signe de l’ampleur des dégâts humains, «l’hôpital central, qui avait l’habitude de soigner des combattants, ne traite plus que des civils», dit-il. Une hécatombe qui, selon lui, aurait poussé «jusqu’à 60.000 Syriens à fuir en direction de la Turquie». Bloqués à la frontière, qu’Ankara rechigne à ouvrir, ils vivotent dans des conditions précaires.
Menacées d’encerclement, quelque 300.000 personnes – sur plus de 2 millions avant la guerre -, habitent encore à Alep-est. Malgré la guerre, la pénurie en fioul et la flambée des prix, les gens se sont installés dans une routine mortifère. «Après chaque frappe, la circulation reprend au bout de 10 minutes. Devant chaque magasin, il y a toujours trois ou quatre balais prêts à nettoyer les débris causés par les explosions. Mais ce qui est frappant, c’est l’absence d’émotion sur les visages. La guerre a tué les sentiments. Plus personne ne sourit. Quand un gamin meurt, son père ne pleure plus. Quand ils marchent dans la rue, les parents ne tiennent plus leurs enfants par la main, comme s’ils cherchaient déjà à se détacher d’eux», remarque Rami Jarrah.
La religion comme refuge
Alors que se tenait, jeudi à Munich, une énième conférence internationale pour tenter d’arrêter la guerre, un sentiment d’injustice et d’abandon est en train de gagner la population. «Les frappes russes ne font que renforcer Daech», déplore l’activiste. Depuis le début de l’offensive syro-russe, Alep est le théâtre de manifestations d’un nouveau genre qui n’ont rien à voir avec les cortèges du début de la révolution. «Les gens se rassemblent dans la rue en criant des slogans à dominante religieuse. Ils implorent Dieu et le prophète Mahomet. Aujourd’hui, ils se réfugient dans l’islam. C’est inquiétant», raconte Rami Jarrah. Laminés par les frappes, certains rebelles envisagent même, par désespoir, de rallier les forces radicales anti-Assad. «L’autre jour, un de mes contacts au sein de l’opposition libérale m’a appelé en me disant qu’il songeait à rejoindre Daech», se désole l’activiste.
Pendant ce temps, sur le terrain, l’espace imparti aux rebelles modérés se réduit comme peau de chagrin. «En fait, Alep se trouve menacée par un double siège: d’un côté, le régime qui cherche à étendre ses positions jusqu’à Tal Rifaat (au nord) ; de l’autre, Daech, bien implanté vers Marea (nord-est). Si Damas parvient à reprendre Tal Rifaat, le siège sera total, et l’armée syrienne se retrouvera alors en face-à-face avec Daech. D’après moi, c’est l’objectif qu’elle cherche à atteindre au plus vite, pour dire au monde entier: vous voyez, nous combattons l’État islamique!», observe Rami Jarrah. (Publié dans Le Figaro du 11 février 2016)
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«Il faut sauver la Révolution syrienne»
Non au massacre de la population d’Alep
N’abandonnons pas un peuple faisant face à son bourreau depuis bientôt cinq ans.
Mobilisation vendredi 12 février 18h30
Devant le Quai d’Orsay Métro Invalides
Les troupes de Bachar Al Assad, secondées par l’aviation russe, par le régime iranien extrémiste des Mollahs et ses bras armés dans la région (Hezbollah libanais, milices radicales irakiennes…), ont lancé une offensive contre les 300 000 habitants de la partie d’Alep libérée. Des milliers d’entre eux tentent de fuir la ville encerclée.
A Genève, le régime de Damas n’a concédé aucune des mesures humanitaires exigées par le Conseil de sécurité et que le Haut Comité des négociations (HCN) réclamait en préalable à des négociations sur la transition politique pour parvenir à la paix.
La réponse a été un véritable tapis de bombes larguées par l’aviation russe pour ouvrir la voie à un assaut sur Alep, ceci sans la moindre réaction de la Coalition internationale.
Combien de temps encore, les grandes puissances « amis de la Syrie » vont-elles se laisser manipuler par Vladimir Poutine coupable d’imposture visant à masquer une immense catastrophe humanitaire ?
Sans, de leur part, une aide rapide aux rebelles modérés ce sera l’horreur à Alep comme on l’a déploré à Srebrenica ou à Guernica.
Non seulement la dictature syrienne et ses alliés ne combattent pas principalement Daesh, mais ils en tirent parti sur le terrain pour prendre en tenaille et écraser les démocrates qui résistent depuis 5 ans aux deux barbaries, celle du régime Assad et celle de Daesh.
Nous appelons nos concitoyens à se mobiliser contre l’agression du régime syrien et de ses alliés contre le peuple syrien et porter haut le projet d’une Syrie libre et démocratique.
Appellent au rassemblement: Collectif pour une Syrie Libre et Démocratique – Comité de Coordination de Paris de soutien à la Révolution syrienne – Conseil National Kurde syrien – Déclaration de Damas – Appel Solidarité Syrie – Mémorial 98 – MRAP – La Vague Blanche –– Mouvement du 15 mars – Appel d’Avignon – Ligue des Droits de l’Homme – Ila Souria – Revivre – SNESUP-FSU –Collectif du 15 mars Pour la Démocratie en Syrie – Coordination des Syriens de Paris – Souria Houria – (liste non complète)
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