Syrie. «On va vers une famine» s’alarme le médecin Raphaël Pitti

«On va vers une famine en Syrie», s’alarme sur franceinfo le professeur Raphaël Pitti, spécialiste en médecine d’urgence dans les zones de guerre qui était en Syrie il y a un mois et demi. «L’ensemble du pays est détruit» et «c’est une situation de désespérance», constate celui qui est également responsable de la formation à l’Union des organisations de secours et de soins médicaux». «Il y a une destruction du tissu économique, destruction du système sanitaire, une destruction du système éducatif» sans oublier l’inflation. «Souvent, on dit qu’il y a 500 000 morts durant ces dix années de guerre en Syrie», mais en réalité, «il y a plus d’un million et demi de personnes qui sont décédées du fait de l’absence de suivi des pathologies chroniques, de l’absence de suivi de médecine préventive, en particulier pour les enfants», affirme-t-il. Une situation «dramatique».

franceinfo: A quoi ressemble aujourd’hui le pays, en 2021?

Raphaël Pitti: Qu’est-ce qu’il en est de ce pays, si ce n’est une situation de désespérance totale pour ce qu’il reste de la population en général? L’ensemble du pays est détruit, la société civile aussi. Il y a une destruction du tissu économique, une destruction du système sanitaire, une destruction du système éducatif. Il y a une inflation qui est terrible parce que la crise économique au Liban a un impact profond sur la Syrie, ce qui fait qu’il n’y a plus de dollars en circulation à l’intérieur du pays, avec une inflation très importante. Et donc, la situation est dramatique pour le pays. Et il y a eu un black-out des médias pendant toute la période Covid. Personne ne s’est intéressé véritablement à la situation en Syrie. Elle était soumise au Covid dans des zones qui étaient difficiles parce qu’une grande partie de la population vivait sous tente ou vivait dans des bosquets ou dans des ruines, etc. Nous sommes très, très alarmés par cette situation. On va vers une famine en Syrie, certainement dans les mois à venir.

Vous dressez un tableau très sombre. A quoi ressemble une ville syrienne aujourd’hui?

Il y a une résilience très profonde dans ce peuple syrien que j’ai constatée depuis maintenant dix ans. Cela aura été mon 30e voyage en Syrie. Il y a une force et une résistance très, très importante. La population essaie de survivre. Mais si vous ouvrez les frontières avec la Jordanie, avec la Turquie, avec le Liban, l’ensemble de cette population, pour les 18 millions qui restent en Syrie, va fuir parce qu’il n’y a aucun avenir dans ce pays totalement détruit. Tous les jours, il faut aller à la recherche de nourriture. L’inflation est tellement importante qu’un dollar s’échange contre 5000 livres syriennes. Or, il n’y a plus de dollars à l’intérieur du pays et les commerçants ne peuvent pas s’approvisionner à l’extérieur pour les denrées essentielles et les médicaments. C’est une situation de désespérance, en particulier pour la jeunesse et les gens ne voudraient qu’une seule chose: partir, partir de ce pays.

Y a-t-il encore des zones de combats?

Depuis un an, la violence s’est amoindrie. De temps en temps, il y a des bombardements dans la zone du nord-ouest tenue par les rebelles ou dans le nord-est où des affrontements entre les forces kurdes et les milices du régime ont lieu de temps en temps. Mais on est dans une désescalade de la violence de manière assez importante, et c’est certainement lié en particulier au Covid. Alors, faisons en sorte de pouvoir apporter une aide vitale à cette population.

Dix ans de guerre, un an de crise sanitaire. Est-ce qu’aujourd’hui, des aides arrivent à la population syrienne?

Soixante pour cent des structures sanitaires ont été détruites. Tout le système sanitaire s’est totalement effondré. Souvent, on dit il y a 500 000 morts durant ces dix années de guerre en Syrie et il faut se mettre en position de dire que c’est faux. Il y a plus d’un million et demi de personnes qui sont décédées du fait de l’absence de suivi des pathologies chroniques, de l’absence de suivi de médecine préventive, en particulier pour les enfants. Pas de campagne de vaccination, une résurgence des maladies endémiques en Syrie qui sont assez importantes. Et les cancéreux, les diabétiques, les hypertendus, tous ces patients-là ne sont pas suivis et donc il y a une surmortalité très importante. La difficulté, c’est de trouver aussi des médicaments à l’intérieur de la Syrie, puisque les gens ne peuvent plus s’approvisionner à l’extérieur.

Vous avez rencontré le commissaire européen chargé des crises. Que lui avez-vous dit?

Nous avons voulu lui expliquer combien la situation était dramatique en Syrie et que dans les prochains mois, il risquait même d’y avoir une période de famine. Nous lui avons dit qu’il ne fallait pas baisser les subventions octroyées jusqu’à présent par l’Europe. Il fallait au contraire les augmenter. Il est nécessaire de permettre la réouverture des corridors humanitaires. Sur les quatre qui existaient, les Russes en ont fait fermer trois. Et certainement qu’ils vont tenter au mois de juillet de fermer le dernier, considérant que la guerre est terminée et que toute l’aide doit passer par Damas. Or, s’il y a une aide qui arrive par Damas, celle-ci n’est absolument pas distribuée sur l’ensemble du territoire syrien. Ils en font une arme politique et distribueront là où leurs intérêts sont les plus importants. (Entretien publié et mis à jour le 28 mai 2021 par franceinfo)

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