«Comment sauver la planète? Des débats essentiels sur les nouvelles technologies, la tarification du carbone, un changement social radical»

Par Martin Empson

On pourrait vous pardonner de penser que le seul livre sur le changement climatique publié récemment est l’ouvrage égocentrique de Bill Gates intitulé How to Avoid a Climate Disaster (Penguin Random House, 2021). Le livre de Gates est une intervention politique dans les débats sur le changement climatique. Lui et sa classe deviennent nerveux lorsque des milliers de jeunes réclament un changement de système lors de manifestations de masse. Au lieu de cela, Gates propose une vision différente.

Nous n’avons pas besoin d’un changement de système, affirme Bill Gates. Il affirme que le changement climatique peut être résolu si l’on laisse libre cours au marché. Pour cela, il faut que les entreprises développent de nouvelles technologies et que des capitalistes comme lui fassent des profits énormes. Pour Gates, le rôle du gouvernement n’est pas de créer des emplois, mais plutôt de prendre en charge les investissements risqués dont les capitalistes ne veulent pas. La recherche et le développement sont coûteux, les coûts devraient donc être supportés par l’Etat. Mais pour Gates, les résultats devraient être confiés à des entreprises comme celles qu’il possède.

Il est facile d’attaquer les solutions de Gates comme étant celles dont il bénéficiera personnellement. Vantant tour à tour l’énergie nucléaire, les biocarburants et les véhicules électriques, nous apprenons ses intérêts financiers dans des entreprises d’énergie nucléaire, ainsi que dans la recherche sur les biocarburants et les batteries.

Mais c’est en fait la partie le moins insidieux des remèdes miracles qu’il vend. Gates nous dit avec entrain: «Je pense plus comme un ingénieur que comme un politologue, et je n’ai pas de solution à la politique du changement climatique.» Le problème est que le changement climatique n’est pas un problème technique, mais un problème qui nécessite des réponses politiques.

Bill Gates n’a donc pas grand-chose à dire aux millions de personnes confrontées à une catastrophe. Il glorifie la technologie, mais n’a rien à dire à ceux dont la vie est gâchée par l’héritage du colonialisme, de l’impérialisme et du capitalisme actuel. Il ne comprend pas comment le capitalisme est à l’origine des catastrophes environnementales, ni comment il s’entrelace avec l’oppression et l’inégalité. Son livre est également déprimant par son ignorance des questions écologiques plus larges – la perte de biodiversité par exemple. Le meilleur aspect du livre de Gates est son aperçu de l’état d’esprit de certaines des personnes les plus riches de la planète.

C’est donc un soulagement de découvrir de nombreux autres livres qui tentent de décortiquer la crise environnementale de manière beaucoup plus significative.

Les mécanismes du marché?

Michael E. Mann est un éminent climatologue et auteur. Ses conférences et ses livres ont grandement contribué à notre compréhension de la crise. Sa contribution la plus célèbre est la recherche qui a produit le fameux graphique en forme de crosse de hockey [reconstitution de la variation de la température moyenne du globe depuis 1000 ans]. En 1999, cette simple visualisation a permis de faire comprendre la réalité du changement climatique. En conséquence, Michael E. Mann et ses collaborateurs ont été confrontés à des tentatives systématiques de discréditer leur travail par les négationnistes de la crise climatique. Mais comme il l’explique dans son nouveau livre, The New Climate War (Public Affairs, 2021), ce déni n’est pas nouveau. Il s’agit simplement de la dernière en date d’une série de tentatives visant à saper la science environnementale, la politique et la législation susceptibles d’empêcher les firmes du secteur des combustibles fossiles de gagner de l’argent.

Le livre de Mann est le plus fort lorsqu’il explique la science du climat et l’histoire du déni climatique. Il aborde également un autre argument clé: la responsabilité individuelle. Avec l’argument «Ce n’est pas de VOTRE faute», Mann affirme que la tendance à blâmer les individus pour leur comportement destructeur de l’environnement est une façon d’éviter de pointer sur le véritable ennemi. Cette déviation, dit Mann, encourage «la désignation de coupables, le blâme pour les comportements, l’affichage de la vertu et les tests de pureté. Elle permet également de taxer d’hypocrisie les principaux défenseurs du climat et d’enflammer les conservateurs politiques en mettant l’accent sur les prétendus sacrifices personnels et la perte de liberté individuelle qu’exige l’action climatique.»

Mann est optimiste quant à l’avenir et est convaincu que le monde peut s’attaquer à la crise climatique. Mais il prévient que la «déviation» nous détourne des solutions qu’il privilégie, à savoir «la tarification ou la réglementation du carbone, la suppression des subventions aux combustibles fossiles ou la mise en place de mesures incitatives pour les énergies alternatives propres».

Contrairement à Bill Gates, Michael E. Mann ne considère pas le changement climatique comme un problème essentiellement technologique. Il pense que les solutions sont financières et étatiques, c’est pourquoi il parle de «tarification du carbone». Ce mécanisme de marché est celui qui, selon Mann, garantira que les entreprises réduiront leurs émissions, les combustibles fossiles devenant trop coûteux à utiliser.

Mais Mann s’inquiète de l’opposition à de telles mesures. Il s’inquiète face aux «progressistes» qui présentent la tarification du carbone «comme un mécanisme ostensible de l’économie néolibérale qui fait fi de la justice sociale». Il fait le lien avec le soulèvement des Gilets jaunes en France, lorsque des manifestants sont descendus dans la rue contre une taxe sur le carbone introduite par le président Macron.

Le problème avec cet argument est que la tarification du carbone est un mécanisme économique néolibéral, qui finit par faire fi de la justice sociale. Mann veut faire croire à ses lecteurs que la tarification du carbone et d’autres mécanismes de marché peuvent être progressistes, mais il néglige la réalité selon laquelle ces mesures sont également prises dans le contexte du capitalisme. C’est pourquoi la taxe carbone de Macron a fait descendre les Gilets jaunes dans la rue – précisément parce qu’elle aurait frappé financièrement les travailleurs français.

L’une des raisons pour lesquelles Mann est particulièrement enthousiaste à l’égard des mécanismes de marché comme solution au changement climatique est qu’il pense que cela unira les deux ailes du capitalisme américain. La tarification du carbone, souligne-t-il, émane en fait du Parti républicain et est «soutenue par tous les anciens présidents républicains du Conseil des conseillers économiques du président (Council of Economic Advisers)». Mann, un démocrate, sait que la tarification du carbone est également largement soutenue de l’autre côté de la barrière politique américaine.

Mann tient beaucoup à ce soutien bipartisan. En fait, son livre est en grande partie une recherche du type de politiques climatiques qui peuvent être acceptables à la fois par les démocrates et les républicains. En tant que tel, il est mécontent lorsque des idées plus radicales sont liées aux revendications climatiques. Cela contribue à «créer une économie politique toxique pour le compromis bipartisan».

«Certains progressistes», affirme Mann, «estiment que les politiques actuelles ne font pas assez pour s’attaquer aux injustices sociétales fondamentales… Ils soutiennent que tout plan visant à lutter contre le changement climatique doit s’attaquer à l’injustice sociétale.» Au lieu de cela, il poursuit: «Je dirais que la justice sociale est intrinsèque à l’action climatique. La crise environnementale… a un impact disproportionné sur ceux qui ont le moins de richesses… Donc, agir simplement sur la crise climatique, c’est agir pour atténuer l’injustice sociale.»

Cette approche peut plaire aux républicains qui ne se préoccupent pas du racisme ou de la pauvreté. Mais elle n’offre rien à ceux qui risquent de perdre leur vie, leur maison et leur ferme à cause du changement climatique – ou qui subissent aujourd’hui les inégalités et les bas salaires.

L’optimisme de Mann concernant la lutte contre le changement climatique repose sur sa conviction que ceux qui ont le plus contribué au problème peuvent être associés à un projet visant à sauver le monde.

Planète en feu

Heureusement, deux autres livres récents adoptent une approche différente. Ils placent les questions de justice sociale, d’antiracisme et d’anti-impérialisme au cœur de la lutte contre le changement climatique. Planet on Fire (Verso, 2021) de Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton est un manifeste pour un Green New Deal qui place la justice sociale et l’emploi au cœur de son action.

Contrairement à l’optimisme de Mann, ils suggèrent qu’«il existe peu, voire aucun exemple historique de sociétés ayant réussi à entreprendre une action de transformation aussi fondamentale en si peu de temps». Ils ne mâchent pas leurs mots lorsqu’ils accusent le capitalisme, s’inspirant du célèbre commentaire de Rosa Luxemburg en temps de guerre selon lequel la société doit choisir entre le socialisme et la barbarie. Ils soulignent que «le capitalisme extractif déchire les systèmes naturels dont dépend toute vie et entraîne la perturbation et la violence d’un effondrement qui se rapproche de nous. Nous sommes à un tournant décisif.»

Leur objectif est une économie «réorientée vers la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux, le renversement des injustices des sociétés contemporaines et d’une économie politique mondiale extractive et néo-impériale; la promotion d’un bien-être collectif dans des sociétés valorisant la beauté et le bien-vivre quotidiens; l’expansion de la propriété sociale et de son contrôle; l’approfondissement et l’extension de la démocratie et de la liberté».

Ce «changement systémique» est beaucoup plus approfondi que tout ce qui est promu par Mann. Le livre de Kate Aronoff, Overheated (Bold Type Books, 2021), contient également un message similaire. Les deux ouvrages indiquent clairement que la lutte contre le désastre environnemental passe par la lutte contre le capitalisme et que celle-ci ne peut être séparée des luttes pour la justice sociale.

Kate Aronoff bat en brèche l’idée que le capitalisme peut résoudre le problème grâce à des mécanismes de marché comme la tarification du carbone. Comme elle le dit, il y a beaucoup de «comportements monstrueux» qui sont rationnels pour le capitalisme, et les «types de prix qui seraient nécessaires pour tenir compte pleinement et correctement de l’externalité des émissions de gaz à effet de serre et limiter le réchauffement à des niveaux qui ne soient pas catastrophiques équivaudraient à une interdiction et non à un coup de pouce aux pollueurs pour qu’ils changent progressivement… Le modèle économique des entreprises de combustibles fossiles est de creuser et de brûler autant de combustibles fossiles que possible aussi rapidement que possible, et il y a très peu de preuves que cela va changer de sitôt.»

L’environnementalisme anticapitaliste

Il est excellent que les socialistes s’engagent dans ces discussions et les livres de Kate Aronoff et de Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton explorent en détail comment une société durable pourrait fonctionner.

Mais je pense qu’il y a un problème dans la façon dont les trois auteurs formulent leur anticapitalisme. Dans les deux livres, la véritable cible n’est pas le capitalisme lui-même, mais le néolibéralisme. Il s’agit du programme de marché libre extrême qui a vu le jour à la fin des années 1970, incarné par les politiques de Thatcher et de Reagan. Comme le montre Kate Aronoff, le néolibéralisme considérait à la fois le démantèlement systématique des politiques environnementales et l’introduction des mécanismes du marché comme les solutions privilégiées aux problèmes environnementaux. Il existe une tendance à considérer le néolibéralisme comme le problème, plutôt que le mode de fonctionnement du capitalisme lui-même. Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton écrivent que «la transformation institutionnelle induite par le néolibéralisme reste fondamentale pour le fonctionnement actuel de nos économies». Ils poursuivent en disant que «pour dépasser le néolibéralisme, il faut tirer les leçons de son succès… nous devons transformer les institutions fondamentales qui organisent l’économie et distribuent le pouvoir».

Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement? Pour Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton, cela signifie que nous devons démocratiser les systèmes financiers et faire en sorte que les travailleurs fassent partie des instances de décision de l’entreprise. Leur «réimagination radicale» inclut la démocratisation et la propriété sociale de l’économie, en particulier du système financier. Leur alternative «contre le règne du capital… cherche un marché démocratisé, avec la finance sous contrôle social, l’entreprise réimaginée comme une institution génératrice, et soutenue par un écosystème pluraliste de propriété et de contrôle communs». Ils soulignent le rôle des «comités d’entreprise» en Allemagne, qui ont connu des succès très modestes pour garantir que les points de vue des travailleurs soient entendus au niveau du conseil d’administration.

De même, Kate Aronoff espère que les institutions internationales mêmes qui ont conduit à la destruction néolibérale dans le monde peuvent être transformées. Elle appelle à un sommet «New Bretton Woods» pour réformer le système financier international afin de relever le défi du changement climatique et d’autres questions sociales.

Il s’agit certainement d’une vision audacieuse. Mais elle est utopique. Même si nous espérons tous que le travail peut être démocratisé et que le capitalisme peut devenir durable et équitable, ce n’est pas possible. Le capitalisme est un système dont le cœur est l’exploitation. La valeur excédentaire est extraite du travail des travailleurs et travailleuses et constitue la base de l’accumulation de profits. Essayer de transformer un tel système en son contraire n’est pas possible. La seule façon d’obtenir un système sans exploitation ni accumulation est de détruire le capitalisme. Ce qui signifie mettre fin à la domination du monde par des gens comme Bill Gates.

Le problème pour ceux qui, avec les meilleures intentions, veulent réformer le capitalisme et construire le socialisme de l’intérieur est que le système lui-même s’organise pour empêcher cela. Même Kate Aronoff le reconnaît. Elle écrit que «l’ordre mondial existant est plus un obstacle à la décarbonisation qu’une aide. Le puissant droit international menace de détricoter les plans climatiques les plus ambitieux au niveau national, ayant été écrit pour donner aux entreprises et aux gouvernements agissant en leur nom une puissante ligne de défense contre les réformes démocratiques».

L’Etat capitaliste, loin d’être un ensemble neutre d’institutions, s’organise pour protéger les intérêts du capital. Des lois internationales aux policiers qui matraquent les manifestants en passant par les soldats qui tirent sur les révolutionnaires, le capitalisme se protège contre les défis posés à ses intérêts.

Il est décevant de constater qu’aucune de ces critiques de gauche du capitalisme et de son bilan environnemental n’aborde l’œuvre de Karl Marx. C’est particulièrement dommage, car les dernières décennies ont vu fleurir des écrits s’appuyant sur le message écologique au cœur de l’œuvre de Marx. Pour Marx, le capitalisme est si destructeur pour l’environnement qu’il a rompu la relation historique et durable entre la société humaine et le monde naturel. La volonté innée du capitalisme d’accumuler conduit à l’épuisement des ressources, à la pollution et à la souffrance humaine.

Des conclusions révolutionnaires

Plutôt que de s’appuyer sur ces idées, Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton rejettent les conclusions révolutionnaires qui découlent de l’œuvre de Marx. Ils affirment qu’il «n’y aura pas d’affrontement final avec le capitalisme… pas de moment binaire où il sera renversé» – mais cela implique une continuation, pas un changement. En 1880 déjà, dans sa polémique contre les rêves des socialistes utopiques, Friedrich Engels écrivait: «Ces nouveaux systèmes sociaux étaient d’avance condamnés à l’utopie. Plus ils étaient élaborés dans le détail, plus ils devaient se perdre dans la fantaisie pure.» (Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880)

Il est difficile de ne pas se souvenir d’Engels quand on lit que Mathew Lawrence et Laurie Laybourn-Langton espèrent des entreprises «vertes», utilisant «de nouvelles règles… pour la transformer d’un véhicule de maximisation des profits pour quelques-uns vers une institution des biens communs».

La vision de Kate Aronoff est plus radicale. Pour elle, le Green New Deal doit «éliminer les profonds déséquilibres de pouvoir qui ont rendu possible l’économie des combustibles fossiles». Mais elle ne propose pas de stratégie concrète pour y parvenir.

Les socialistes doivent aborder la question différemment. Nous commençons par rendre le capitalisme responsable de la crise écologique – et pas seulement le néolibéralisme. Une société véritablement durable ne peut être atteinte qu’en mettant fin à la domination du capital sur la planète. Cela nécessite une révolution.

Cela ne veut pas dire que nous ne croyons pas que les réformes sont valables. Les socialistes soutiennent les versions les plus radicales du Green New Deal, et le projet de millions d’emplois climatiques. Plutôt que d’atténuer nos revendications pour apaiser le Parti républicain, nous lions les questions environnementales à des problèmes sociaux plus larges – logement, transport, racisme et inégalité des sexes. Nous voulons utiliser ces revendications pour construire un mouvement capable de défier le capitalisme et de gagner la justice climatique – un mouvement qui place au centre l’ensemble des salarié·e·s.

Notre vision d’un monde socialiste est un monde où les institutions du capital ont été brisées. Ce que nous voulons, c’est une économie planifiée démocratiquement où la production est organisée dans l’intérêt de la population et de la planète. Cela ne peut venir que des mouvements révolutionnaires de masse. Chaque fois que les masses travailleuses se soulèvent, elles créent de nouvelles organisations de pouvoir populaire. C’est vrai de la Commune de Paris aux Soviets de la Révolution russe, des conseils ouvriers de la Révolution allemande de 1919 ou de la révolution hongroise de 1956 et celle portugaise et 1974. Ces organismes du pouvoir des travailleurs et travailleuses au sens large constituent la base d’une société entièrement nouvelle – une société qui peut contribuer à combler le fossé entre l’humanité et la nature, en organisant la production dans l’intérêt de tous. (Article publié sur le site Climate & Capitalism, le 28 mai 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Martin Empson est l’auteur de Kill All the Gentlemen: Class Struggle and Change in the English Countryside.

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