Syrie: «La détermination du mouvement reste intacte»

Entretien avec Burhan Ghalioun conduit
par Hala Kodmani et Jean-Pierre Perrin

Depuis vendredi 28 octobre, les forces de répression de la dictature de Bachar el-Assad frappent avec violence, une fois de plus, la population de Homs (au centre du pays). Des armes lourdes sont utilisées après que les tanks sont entrés dans le quartier de Bab Amir.

Dans de nombreuses villes de Syrie des manifestations ont eu lieu le vendredi 28 octobre. Les organisations de défense des droits de la personne humaine indiquent qu’au moins 44 manifestants pacifiques ont été assassinés. L’intervention de la Ligue arabe reste plus que timide. Et le ministère syrien des Affaires étrangères affirme sur la télévision officielle – en vue de la réunion qui doit se tenir le 30 octobre à Doha – que le comité des ministres de la Ligue arabe se fonde, pour dénoncer la «crise», sur des «mensonges diffusés par des chaînes de télévision étrangères». Le ministre syrien – Walid al-Muallem – déclare qu’il va informer «le comité de la Ligue arabe, le 30 octobre, sur la vraie situation en Syrie». Enfin!

Dans ce contexte, il nous semble primordial de faire connaître le point de vue d’un militant, de longue date, Burhan Ghalioum, qui s’efforce de présenter les positions du Conseil national syrien (CNS) et de dessiner les perspectives qu’il envisage. La solidarité active doit être apte à comprendre ces points de vue pour en discuter les raisons. (Rédaction)

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Universitaire à Paris et adversaire de longue date du régime syrien, Burhan Ghalioun a pris la tête début octobre du Conseil national syrien (CNS) qui réunit la quasi-totalité des courants de l’opposition.

Malgré la récente formation du CNS, l’opposition apparaît encore divisée…

Le CNS n’est pas divisé. Mais cette coalition de sept différentes formations, où des tendances politiques qui ne se connaissent pas doivent se mettre à travailler ensemble dans l’urgence, est encore à la recherche d’une harmonie. Des problèmes d’organisation, de partage des responsabilités, de mécanisme de décision, de lenteur de réaction et de manque de visibilité doivent encore être réglés. Il faut rappeler que nous avons pour la plupart une culture d’activistes et pas de responsables politiques. Je suis moi-même un universitaire et non un homme politique. Et puis chaque tendance tente de s’imposer. Ces insuffisances dans l’organisation du travail sont aussi dues à la précipitation pour répondre aux demandes de contacts politiques et diplomatiques qui sont venues de partout au lendemain de la formation du CNS.

Mais le CNS peut-il se présenter comme l’interlocuteur unique alors que de nombreuses voix dissonantes se font entendre en Syrie comme à l’étranger?

Il est impossible de rassembler les centaines de groupes d’opposition qui existent ou se sont formés depuis la révolution. Il faut se concentrer sur les plus importants, en particulier l’Organisation de coordinations nationales pour le changement démocratique, basée à Damas et qui regroupe des partis et personnalités politiques nationalistes, panarabistes et socialistes. Ils ont pris leurs distances avec le CNS pour se protéger. Et nous sommes conscients que ces opposants de l’intérieur ne peuvent pas aller aussi loin que nous. Mais il existe des contacts réguliers avec des membres de cette formation qui nous soutiennent en privé, et des sièges leur ont été réservés au CNS.

Des craintes de manipulation du CNS par des pays étrangers en vue d’une intervention militaire ont été exprimées. Ces positions semblent brouillées…

Sur  la ligne politique globale, nous sommes tous d’accord sur une rupture totale avec le régime,  dont nous réclamons clairement la chute. Autre point consensuel: l’ouverture du CNS à toutes les tendances et les communautés syriennes sans aucune exclusion. Des différences de vues existent, en particulier sur la question d’une intervention militaire étrangère et d’une zone d’exclusion aérienne. Pour le moment, la ligne officielle et consensuelle du CNS est de demander la protection des populations civiles selon le principe de la «responsabilité de protéger», en faisant appel d’abord à des observateurs civils sur le terrain, comme nous l’avons proposé à la Ligue arabe.

Pensez-vous que l’initiative de la Ligue arabe a des chances d’aboutir?

Cet engagement de la Ligue arabe est sans précédent. Le régime syrien, qui l’a rejeté dans un premier temps, a compris que c’est sa dernière chance de négocier [la télévision officielle a passé des images de la visite de la Ligue arabe, sans son – ndr]. Il s’agit d’une manœuvre de sa part. Car il n’acceptera jamais les préconditions du projet arabe : l’arrêt des violences, la libération des prisonniers politiques et la liberté de manifester pacifiquement. Il va jouer la fuite en avant pour gagner du temps. Le plus important dans cette initiative arabe c’est qu’elle vient surtout des pays du Golfe, sous pression de leurs alliers occidentaux, et peut ouvrir la voie à une action internationale. Si une démarche du Conseil de sécurité des Nations unies est initiée par les pays arabes, les positions des puissances qui bloquent aujourd’hui toute action ne seront pas les mêmes. Russes et Chinois ne pourront opposer de veto à une demande sous couverture arabe. Ce processus prendra plus de temps, mais a plus de chances d’aboutir à la protection internationale.

Mais le régime pourrait en profiter pour s’imposer sur le terrain. Déjà, les manifestations faiblissent…

Il est certain que la population, sous la pression d’une répression terrifiante, est fatiguée. Sans parler des morts, on estime à près de 100’000 le nombre d’arrestations. Mais si le nombre de manifestants diminue, la détermination du mouvement reste intacte et les défilés continuent partout à un rythme quotidien. D’autres formes de contestation commencent aussi à se développer, avec notamment des grèves. En même temps, les forces de répression sont aussi fatiguées. L’essoufflement sécuritaire et politique d’un régime complètement délégitimé, devenu véritable force d’occupation, peut intervenir et la machine s’écrouler d’un seul coup.

Qu’en est-il du risque de guerre civile ?

Nous sommes tout à fait conscients des risques d’une dislocation de l’armée ou de l’Etat, compte tenu de la situation géostratégique de la Syrie et de ses composantes communautaires. C’est pourquoi il y a un consensus dans l’opposition pour faire une distinction claire entre le régime et les institutions de l’Etat dont l’armée. Nous considérons que la majorité du personnel, y compris sécuritaire, est récupérable et qu’il ne faut surtout pas envisager de « débaasification » par crainte d’un scénario irakien. C’est pour cela aussi que nous continuons d’insister sur le caractère pacifique de la révolution. Tout en soutenant les défections dans l’armée, nous appelons les déserteurs à ne pas tirer sur les autres soldats, pour éviter une guerre interarmée. Nous ne parions pas sur un démantèlement graduel de la machine de répression, mais sur son effondrement sous la pression conjuguée des sanctions économiques, de la détérioration des moyens financiers et de l’isolement politique.

Des villes ont-elles été libérées ?

Les forces de sécurité n’arrivent pas à contrôler certains quartiers, mais ce ne sont pas des quartiers libérés pour autant.

Combien de temps le régime de Bachar el-Assad peut-il tenir ?

Je ne le vois pas tenir au-delà de quelques mois. Il faut prendre en compte la dégradation assez rapide de la situation économique du régime. On peut prévoir un glissement vers la militarisation du conflit. Le déblocage serait alors soit politique, soit militaire, avec un coup d’Etat ou une résolution de l’ONU. Si l’armée se disloque, on entrera dans une guerre civile sans fin et on perdra de 200, 300 à 1000 personnes par jour, avec la destruction de l’ensemble du pays, ce qui ferait de la Syrie un second Irak. Pour échapper à leur destin, ceux qui sont au pouvoir sont prêts à mettre le feu à toute la région pour apparaître ensuite comme les seuls capables de l’éteindre.

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Entretien publié dans le quotidien français Libération du 29-30 octobre 2011.

 

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