Editorial de Haaretz
Des dizaines, voire des centaines, de jeunes Juifs descendent dans un village palestinien. Des voitures sont incendiées, des fenêtres sont brisées, des flammes s’élèvent des maisons. Tout cela s’est passé mercredi soir 21 juin dans le village cisjordanien de Turmus Ayya, au nord de Ramallah. [Voir de même ci-dessous, sur cette récente vague de pogroms propres à la colonisation, l’article du site israélien +972.]
Cette attaque était prévisible, tout comme le fait que la police et l’armée soient restées «à distance», ce qui est qualifié à tort d’«inaction». Lorsqu’un dysfonctionnement se répète pendant des décennies, il est clair que le problème n’est pas un manque de contrôle, mais un modèle de comportement et une décision venue d’en haut – c’est-à-dire des dirigeants du pays – d’autoriser les Israéliens à attaquer les Palestiniens. Il n’est pas nécessaire d’avoir des ordres explicites; il suffit de connaître la mentalité du commandant. L’opinion publique, elle aussi, a manifestement été satisfaite de son propre effarement lors du pogrom de Huwara en février et s’est désintéressée de la question.
A plus petite échelle, des colons ont également attaqué des Palestiniens mercredi dans les villages de Luban al-Gharbieh, Burqa, Kufr al-Dik, Birin, Kisan, Husan, Yasuf, Urif et Susya, ainsi que sur la route entre Nahalin et Jaba. Selon les données de l’ONU, entre le début de l’année et le 18 juin 2023, les Israéliens ont perpétré 441 attaques contre des Palestiniens, dont 10 à Turmus Ayya. Sur ce total, 112 se sont soldées non seulement par des dégâts matériels, mais aussi par des traumatismes physiques. En 2022, 849 attaques ont été commises par des colons, et 496 l’année précédente. Dans la plupart de ces cas, les forces de l’ordre n’ont pas recherché les personnes impliquées et n’ont pas jugé les suspects.
La plupart du temps, les agresseurs n’ont pas besoin de l’excuse d’une attaque terroriste. Ils frappent des personnes âgées et des jeunes avec des gourdins, poignardent à mort des chèvres et des moutons, abattent ou brûlent des arbres, déracinent des plants, volent des récoltes, attaquent des bergers, s’emparent de sources, tirent en l’air ou bloquent des routes pour empêcher les agriculteurs palestiniens d’accéder à leurs terres, jettent des pierres sur des maisons et des voitures, installent des tentes et des enclos pour animaux sur des terres appartenant à des villages palestiniens. Pour eux, les attaques terroristes comme celle de mardi 20 juin [dans la station-service de la colonie d’Eli], au cours de laquelle quatre Israéliens ont été assassinés, sont l’occasion d’élargir le champ de leurs agressions habituelles. Leur colère n’est pas spontanée, mais calculée. Il en va de même pour leurs attaques, dont l’objectif est de s’emparer des terres palestiniennes et d’en bannir davantage de Palestiniens.
Nous ne pouvons rien attendre du gouvernement, et donc de l’armée, du service de sécurité Shin Bet et de la police. Mais les opposants à la réforme juridique prévue par le gouvernement doivent faire le lien entre cette réforme et la violence unilatérale en Cisjordanie. Ils doivent ensuite trouver des moyens concrets de montrer que tous les Israéliens ne soutiennent pas les agresseurs juifs en série. (Editorial du quotidien Haaretz du 23 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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Les habitants affirment que la police et l’armée ont protégé les colons qui se sont déchaînés
Par Oren Ziv
Des dizaines de colons israéliens ont attaqué le village palestinien d’Al-Lubban ash-Sharqiya, en Cisjordanie occupée, dans la nuit de mardi 20 à mercredi 21 juin, détruisant des voitures, des maisons et des commerces en y mettant le feu et en jetant des pierres. Cinq Palestiniens ont été blessés par des tirs à balles réelles de colons ou de soldats. Selon des témoins oculaires, l’armée et la police israéliennes étaient présentes tout au long de l’attaque.
Le déchaînement des colons – qui s’est répété dans d’autres régions de Cisjordanie la nuit dernière (21 juin) – fait suite à une fusillade survenue lundi matin dans une station-service de la colonie voisine d’Eli, au cours de laquelle des Palestiniens armés ont tué quatre Israéliens. Cette attaque faisait suite à un important raid de l’armée israélienne sur Jénine, la veille, qui a tué sept Palestiniens.
Al-Lubban ash-Sharqiya est située à quelques kilomètres de la station-service de la colonie d’Eli. Après la fusillade de lundi, des dizaines de colons ont commencé à bloquer les principales routes de Cisjordanie. Ils ont attaqué des Palestiniens et entravé leurs déplacements. Selon des témoins, immédiatement après l’attaque d’Eli, un colon a foncé avec sa voiture sur un jeune Palestinien de 12 ans qui faisait du vélo, puis l’a attaqué à coups de crosse.
Vers 22h30, plus d’une centaine de colons se sont rassemblés à l’entrée d’Al-Lubban ash-Sharqiya, près de la route 60, et ont commencé à porter une attaque. Selon le chef du conseil du village, Yacoub Awais, 30 véhicules ont été endommagés, la plupart ayant été incendiés; 10 maisons ont été endommagées; deux magasins et une station-service ont été vandalisés. Les colons ont également endommagé un entrepôt de blé, des champs agricoles et des poteaux électriques. Ces images rappellent le pogrom que les colons israéliens ont perpétré dans la ville de Huwara [voir à ce sujet les articles publiés sur ce site le 2 et le 6 mars] au début de l’année, mais à plus petite échelle.
«Chaque fois qu’il y a une [attaque palestinienne] dans la région, les colons viennent ici», a déclaré Yacoub Awais qui se trouvait à côté des véhicules incendiés. «L’attaque n’a pas eu lieu ici, les tireurs ne sont pas de la région, mais ils viennent quand même nous voir. Ils ont endommagé tout ce qu’ils pouvaient, ils ont brûlé, ils ont essayé d’attaquer l’école, mais les habitants les ont repoussés.
«Les habitants sont sortis pour défendre les maisons», poursuit Yacoub Awais. «Il y a eu cinq blessés par balles réelles qui ont été évacués vers l’hôpital de Salfit. L’armée et la police étaient là tout le temps, mais elles n’ont pas empêché les attaques, elles ont seulement protégé les colons.» Selon Yacoub Awais et d’autres habitants, ni la police ni l’armée ne sont retournées dans le village pour enquêter sur l’attaque ou recueillir des preuves et des témoignages.
Bilal, un habitant de 45 ans de la ville voisine de Qabalan, voyageait avec un groupe de personnes qui se rendaient de Ramallah à Naplouse lorsqu’il est entré dans le village. «La route était fermée par l’armée», nous a-t-il expliqué. «Nous étions sept voitures, alors nous sommes entrés dans la station-service du village. Les habitants nous ont emmenés chez eux; nous avons vu par la fenêtre que les voitures étaient en train d’être brûlées.»
«Il m’est difficile de dire ce que je ressens», poursuit-il, les larmes aux yeux. «Les habitants d’ici nous ont sauvés et protégés. Nous sommes restés avec eux jusqu’à 3 heures du matin. Lorsque nous sommes partis, nous avons vu les voitures brûlées. L’armée et la police étaient là tout le temps et n’ont rien fait.»
«Tout le village est sorti [pour se défendre] contre les colons, mais l’armée et la police ont protégé [les colons]», a déclaré un autre habitant qui a demandé à rester anonyme. «Les Israéliens doivent savoir que si la situation perdure, avec Ben Gvir [ministre de la Sécurité nationale] et le gouvernement, tout va exploser.»
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A la suite du pogrom, Yesh Din [volontaires pour les droits humains, fondée en 2005], une ONG israélienne de lutte contre l’occupation, a publié un communiqué indiquant qu’elle avait recensé des actes de violence commis par des colons à Al-Lubban ash-Sharqiya, Za’atara Junction, Yitzhar Junction, Huwara, Qabalan et Bitin au cours de la nuit (du 20 au 21 juin). «Bien qu’il y ait eu des avertissements à l’avance, ainsi que l’expérience du pogrom de Huwara, une fois de plus l’armée n’est pas intervenue et a laissé les émeutiers faire ce qu’ils voulaient. Le message d’Israël aux colons est clair: le monopole du pouvoir est entre vos mains», peut-on lire dans le communiqué de Yesh Din. Mercredi 21 juin, les attaques des colons se sont étendues au village de Turmus Ayya, près de Ramallah.
Dans un communiqué, le porte-parole de l’IDF nous a déclaré: «Plusieurs citoyens israéliens ont tenté d’entrer dans Al-Lubban ash-Sharqiya la nuit dernière et ont mis le feu à des champs et des bâtiments à l’entrée du village. Les forces de l’IDF [«Armée de défense d’Israël»] déployées dans la région ont utilisé des moyens pour disperser les manifestations afin de prévenir les dommages matériels. Plusieurs citoyens ont été arrêtés et transférés aux forces de sécurité pour être traités ultérieurement. Les soldats n’ont pas été blessés.» +972 a également contacté la police israélienne, dont la réponse sera publiée ici dès qu’elle sera reçue. (Article publié sur le site israélien +972, le 21 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour le site en hébreu Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
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