A Gaza être un tigre est une chance

Vue d'un «appartement» détruit durant l’opération «Bordure protectrice» (Photographie de Gisha)
Vue d’un «appartement» détruit durant l’opération «Bordure protectrice» (Photographie de Gisha)

Par Amira Hass

Il y a quelques semaines, un tigre, des tortues, une autruche, des singes et d’autres animaux ont été sauvés sans encombre de leur double captivité dans la bande de Gaza, avant d’être transférés à des jardins zoologiques dans d’autres pays et dans la ville de Tulkarem en Cisjordanie. On peut dire, sans tomber dans le cynisme, que c’est la seule bonne nouvelle en provenance de la plus grande prison à ciel ouvert dans le monde, Gaza. Les animaux sont nés libres, et s’ils doivent être capturés pour le plaisir des enfants, il faut au moins leur accorder de l’espace et éviter qu’ils ne succombent sous la faim et la soif.

Le gardien en chef – le directeur des activités gouvernementales dans les Territoires occupés [COGAT – Coordination of Governement Activities in the Territories, structure de l’Etat israélien qui s’occupe des infrastructures et «des besoins des colonies» en «Judée et Samarie» et «face à Gaza»; elle est subordonnée au ministère de la Défense] – s’est surpassé en transmettant cette bonne nouvelle avec des communiqués de presse, des photos et des interviews. En début de semaine, le communiqué de presse du coordinateur notait: «Cette fois les singes ont également été transférés à cause des mauvaises conditions de vie qu’ils subissaient dans la bande de Gaza, qui ne permettent pas des soins optimaux adaptés à leurs besoins naturels», avant de résumer, au nom des deux fonctionnaires qui ont coordonné le départ des animaux: «C’est notre souci pour le bien-être des animaux et le fait de savoir qu’ils recevront les bons soins médicaux qu’ils méritent qui nous conduit sans cesse à travailler vers cet objectif.»

Les Gazaouis, qui n’ont perdu ni leur sens de l’humour ni leur créativité, ont souligné qu’on permettait aux singes de sortir de Gaza, mais pas aux êtres humains. Mais Gaza continue à sombrer. Au cours des derniers six mois, Israël a renforcé les interdictions de sortir qui étaient déjà draconiennes, en sachant que le mantra selon lequel «le Hamas profite de ceux qui partent» satisfait le public israélien. Des rapports publiés par les Médecins pour les droits humains et le Gisha [Centre légal pour la liberté de mouvement] ayant trait à des patients atteints de cancer auxquels on ne permet pas de sortir de Gaza pour se faire soigner, ainsi qu’aux demandes d’hommes et de femmes d’affaires de sortir de Gaza, ont suscité beaucoup moins d’intérêt que la fierté qu’affiche le COGAT pour son traitement compatissant des animaux. [Le rapport du Gisha peut être lu à l’adresse suivante: http://features.gisha.org/two-years-360/]

Le tigre «Laziz» lors de son transfert en Afrique du Sud (photo publiée dans Haaretz)
Le tigre «Laziz» lors de son transfert en Afrique du Sud (Photographie publiée dans Haaretz)

Les principaux gardiens semblent manquer de connaissances littéraires, puisqu’ils n’ont pas perçu que leur communiqué évoquait les échos du roman de Georges Orwell: 1984. En tant qu’exécuteur de la politique gouvernementale de blocus de Gaza, le bureau du Coordinateur porte pourtant également la responsabilité et la culpabilité pour la création des «mauvaises conditions» et du manque de «bons traitements médicaux» pour les habitants de Gaza. Au cours des 25 dernières années, Israël a œuvré à les déconnecter de la solution politique d’un Etat palestinien, mais aussi à les séparer des autres êtres humains dans le monde. Israël empêche les Gazaouis de travailler pour subvenir à leurs besoins (aucune exportation n’est autorisée depuis Gaza, la production est impossible, on ne peut pas créer des emplois) et leur dénie la liberté de mouvement.

Gaza est embourbée dans un dépotoir parce qu’Israël ne permet pas qu’on fasse entrer des pompes, des matériaux de construction et d’autres matériaux bruts pour permettre d’étendre l’actuel système de traitement des eaux usées et d’en construire de nouveaux. L’eau est imbuvable parce qu’Israël impose un régime d’eau autarcique à Gaza (ce qui signifie que Gaza doit se contenter de son propre aquifère, qui se dégrade depuis des années à cause du pompage excessif et les infiltrations d’eau de mer) au lieu de connecter ce territoire au réseau d’eau du pays et lui fournir de l’eau supplémentaire pour remplacer le volume qu’il vole aux Palestiniens de Cisjordanie. Il n’est pas difficile d’imaginer que la combinaison de la pauvreté, du chômage et de la pollution environnementale entraîne la malnutrition, des parasitoses et d’autres maladies.

Si les soins médicaux à Gaza sont de si mauvaise qualité – pas seulement pour les animaux mais aussi pour les personnes – c’est pour plusieurs raisons: des médecins n’ont pas le droit de sortir de la bande de Gaza pour continuer leur formation; Israël ne laisse pas entrer des équipements médicaux modernes et empêche l’entretien suffisant des équipements existants; le blocus économique et les désaccords entre Ramallah [l’Autorité palestinienne sous «influence» des divers services israéliens] et Gaza empêchent l’entrée de médicaments et d’équipements suffisants.

A l’environnement de mauvaise qualité il faut ajouter le dangereux impact cumulé de dizaines de milliers de munitions, sophistiquées ou non, qu’Israël a fait pleuvoir sur Gaza au cours des dernières 15 années. En outre il y a l’impact, inconnu mais certain, de produits dangereux infiltrés dans la terre de Gaza. Sans compter la question de la santé mentale de personnes qui savent qu’elles n’existent qu’en marge de la vie, sans espoir d’un changement à court terme, cela parce que le monde qui se targue d’être éclairé voit tout cela sans réagir. (Article publié dans Haaretz le 3 octobre 2016; traduction A l’Encontre)

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