Une année 2014 peu prometteuse pour les peuples en Iran

iran-workers2Par Echo d’Iran

En Iran, 2013 a été une année douce-amère, pleine de batailles durement gagnées et de reculs. Une baisse du niveau de vie – causée en partie par les sanctions ainsi que par les luttes intestines au sommet de la pyramide politique – a provoqué des ravages dans la vie des travailleurs et travailleuses.

L’année dernière, des milliers de firmes diverses ont réduit de manière très forte leur production ou simplement ont fermé. Le résultat final a été: des licenciements massifs, une baisse des salaires et une attaque agressive contre les droits des travailleurs et travailleuses à tous les niveaux. Le meilleur exemple est fourni par la nouvelle version du Code du travail qui réécrit les relations entre employeurs et employés en faveur des premiers.

Comme ces dernières années, un nombre scandaleusement élevé de travailleurs ont été blessés sur leur place de travail ou ont perdu la vie à cause d’accidents tout à fait évitables. Plusieurs enfants de familles pauvres qui travaillent ont péri lors d’un incendie dans leur établissement scolaire ou ont été tués dans des accidents de la circulation.

L’année 2013 a vu une nouvelle vague de grèves, de protestations et une campagne de pétitions, sous forme de collecte de signatures, engagée par des milliers de travailleurs qui s’adressaient directement aux autorités pour ce qui a trait à leur sort. Invariablement, ils ont protesté contre la détérioration de leurs conditions de vie. Mais un phénomène nouveau ressort: l’émergence de campagnes menées par des collectifs, à l’échelle nationale, dans les différents secteurs et industries.

Sur le plan syndical, les résultats sont plus mitigés. Les militants syndicaux affrontaient, une année de plus, sans interruption, une répression et un harcèlement. Afshin Ossanlou (porte-parole du syndicat Vahed des chauffeurs de bus de Téhéran et de sa banlieue) a été assassiné en prison; Reza Shahabi (syndicaliste des chauffeurs de bus, emprisonné depuis juin 2010) a dû faire une grève la faim pour protester contre son maintien en détention et les mauvais traitements subis. Plusieurs réunions de soutien ont été attaquées et les participants ont été jetés en prison.

L’année 2014 promet d’être tout aussi «mouvementée». La crise économique est le moteur de la mise en action et du militantisme de centaines de milliers de travailleurs. Déjà, plusieurs groupes de travail «non-actifs» et «dormants» sont en train de se redresser, de se réorganiser et envisagent la mise en place de nouveaux groupes. Le mouvement syndical iranien montre des signes de militantisme et de renouveau.

L’année 2013 a été particulièrement déplorable pour les droits de l’Homme en Iran. L’année 2014 sera-t-elle de meilleur augure avec la présidence de Hassan Rohani, considéré comme «modéré»? Pour l’heure, rien n’indique un changement de tendance. Le dernier rapport d’Ahmed Shaheed, le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’Iran, estime que la situation des droits humains y demeure plus que préoccupante.

Si le régime, acculé par les sanctions, a été contraint d’infléchir quelque peu sa politique nucléaire sur la scène internationale, à l’intérieur du pays, c’est l’inverse qui prévaut. En augmentant les mesures liberticides et le nombre des exécutions, les autorités ont voulu rappeler à la population et aux opposants qu’aucun «dérapage démocratique» ne sera autorisé. Le souvenir du soulèvement populaire de 2009 est encore frais dans la mémoire des mollahs qui savent que leur régime peut être rapidement balayé en cas de la moindre libéralisation.

En dehors même d’événements imprévus – comme une guerre, marquée par des «échanges» de tirs de missiles entre les fondamentalistes israéliens et iraniens, avec des sanctions et des affrontements politiques amples au sein des couches dominantes – la détérioration de la situation intérieure semble ne pouvoir que s’approfondir.

Cet article ne révèle qu’une petite partie du calvaire vécu par le peuple iranien de façon permanente. Le bilan du gouvernement Rohani en matière des droits de l’homme montre bien que faire croire à la modération de ce régime brutal ne vise qu’à tromper la «communauté internationale» et à justifier les marchandages et la complaisance avec les dictateurs au pouvoir. Il est donc nécessaire, de manière urgente, de subordonner la poursuite des relations économiques et politiques avec le régime des mollahs à l’amélioration des droits humains en Iran autant qu’au respect de ses engagements pour la suspension de son programme d’armement nucléaire.

Les gouvernements en Iran et la question de classe

C’est un fait indéniable que la politique électorale en Iran est le lieu de rencontre des secteurs privilégiés. Elle est le résultat d’une procédure de sélection continue visant «la purification» à l’intérieur même du régime. Cette procédure se manifeste de diverses manières: de la répression sanglante des opposants (surtout lors des premières années après la révolution de 1979) jusqu’au processus de disqualification des candidats aux élections, disqualification exercée par le Conseil des Gardiens de la Constitution. Ainsi, les candidats à toute élection en Iran partagent-ils – ou doivent prétendre à partager – de fortes similarités, tout en gardant des divergences concrètes créées par la guerre pour le pouvoir à l’intérieur du régime

L’arrivée à la présidence d’Hassan Rohani – septième président, entré en fonction en août 2013, élu en juin 2013 – ne fait pas d’exception à cette procédure de sélection contrôlée.

Le régime iranien s’est toujours montré prêt à payer le prix de l’exclusion des rivaux, même ceux considérés seulement comme un danger potentiel. Si des opposants communistes avaient été exécutés pendant les années 1980, Akbar Hashemi Rafsandjani, premier président (1989-1997) après la guerre Iran-Irak (1980-1988) et fidèle de longue date à la République islamique, a été «tristement» disqualifié pour la dernière présidentielle quelques semaines avant l’élection. Proche de Hashemi Rafsandjani, Rohani a été néanmoins visiblement proche du guide suprême, Ali Khamenei, et fait partie de son cercle de confiance. Cela se confirme par les événements de ces derniers mois.

En Iran, en absence d’une libre circulation de l’information, particulièrement en ce qui concerne le pouvoir politico-économique des Gardiens de la Révolution et du guide suprême et de son entourage, les analyses politiques s’effectuent souvent à travers des exégèses des discours des politiciens et des signes émis depuis la sphère publique, ainsi qu’à travers des comportements antérieurs des responsables politiques. Dans cette situation, toute analyse est susceptible de rencontrer d’éventuelles surprises.

Malgré la difficulté de l’analyse, il y a des tendances invariables pendant ces dernières années au sein de la République islamique, ce qui se relève par des continuités déterminantes entre les gouvernements successifs, y compris celui de Mahmoud Ahmadinejad (président de 2005 à 2013) et d’Hassan Rohani. L’article 44 de la Constitution de la République Islamique de l’Iran, ordonnant la privatisation, après une modification forcée par le guide suprême, n’a jamais été contesté par un président ou par un groupe politique au pouvoir. Ce principe est un axe central de tous les programmes économiques des différents gouvernements. C’est exactement cette privatisation par un Etat oligarchique qui est devenue, en réalité, un instrument de distribution du «bien public» entre les oligarques et qui a fait apparaître, par conséquent, une nouvelle bourgeoisie – étant donné la situation du pays – en grande partie militaire. Ce genre de programmes économiques ne peut se réaliser, bien évidemment, qu’à travers une restriction forte et violente de toutes les activités militantes et des organisations politiques non étatiques. Cette attitude fait partie du comportement de tous les gouvernements après la guerre entre l’Iran et l’Irak.

Cependant Hassan Rohani n’est ni réductible à ce qu’on appelle la volonté du guide suprême, ni un cas à part parmi les présidents iraniens qui ont été (et sont) toujours encadrés par le guide suprême dans l’ordre de la République islamique. En ce qui concerne sa place dans la sphère politique de l’Iran, d’un côté, son cabinet se compose principalement de technocrates proches d’Akbar Hashemi Rafsandjani, avec une vingtaine d’années d’expérience dans le gouvernement. D’un autre côté, ses alliés politiques indiquent sa proximité avec une grande partie des «réformistes», qui, sur le plan économique, n’avaient pas une identité distincte et qui ont toujours suivi le chemin dessiné par l’équipe d’Akbar Hashemi Rafsandjani.

Jetant un coup d’œil sur son cabinet, on peut admettre que l’orientation économique du gouvernement Rohani est déterminée, de manière volontaire, selon une orientation bien claire sur l’économie, et pas seulement à cause de l’exigence structurelle du régime.

L’orientation économique du gouvernement

Hassan Rohani, dans son livre La sécurité nationale et le système économique de l’Iran, met le doigt sur le chômage – lié à la crise de l’emploi et à l’instabilité du marché économique – en tant que menace pour la sécurité nationale. Il insiste que même dans les pays pratiquant un «marché libre», l’Etat intervient pour empêcher la réduction des salaires lors des conflits entre les syndicats et les patrons. Laissons, pour le moment, la question de savoir si cette «intervention contre la réduction des salaires», étant donné les expériences passées, est un geste sincère de la part du gouvernement ou non. Admettons néanmoins que le chômage d’un taux officiel de 12% en Iran reste le problème central de l’économie iranienne du point de vue du gouvernement. Quelle sera la solution apportée au problème du chômage par le gouvernement?

«Monsieur le président a suggéré qu’on étudie et qu’on change les noms des métiers par des noms chics (élégants) pour que la tendance vers le travail chic augmente.» Voici comment le ministre du Travail esquisse son programme pour rendre les métiers dits inférieurs plus attractifs. Parlant de la productivité et de «la culture de travail», Ali Rabiei ajoute que la plupart des travailleurs admettent travailler deux heures dans la journée, mais reçoivent le salaire d’une journée complète de travail. Mais faut-il alors diminuer les salaires et exacerber les systèmes disciplinaires sur les lieux de travail? En l’absence de notion de «délégué ouvrier», c’est le ministre du Travail qui joue le rôle des «partenaires sociaux». Cela montre dans quelle mesure la gestion de travail en Iran est unilatérale.

De plus, dans le programme économique proposé par le ministre du Travail, le rôle des organisations, des ouvriers et des patrons, est conçu afin d’augmenter l’harmonie entre la force de travail (les travailleurs) et les entreprises (le patronat). C’est dans une perspective de coordination – et non de lutte sociale – que les syndicats doivent être «soutenus». Même un coup d’œil sur la liste des arrestations des syndicalistes pendant ces dernières années montre que ce «soutien» des activités syndicales relève purement de l’apparence.

    Rafles par des policiers en cagoule dans les quartiers populaires de Téhéran
Rafles par des policiers en cagoule dans les quartiers populaires de Téhéran

Selon les analyses de Mohammad Maljoo, économiste iranien, le 11e gouvernement (de Rohani), doit faire face à deux crises parmi d’autres, à savoir «la crise de l’accumulation du capital» et de «l’exclusion sociale». D’une part, la stratégie principale du gouvernement vise la croissance économique en donnant un rôle central au secteur privé. La solution du gouvernement est basée sur l’analyse selon laquelle l’inégalité sociale et la croissance économique sont historiquement inversement liées en Iran. D’autre part, l’intérêt principal de la classe capitaliste et de la couche supérieure de la classe moyenne se trouve dans la croissance, tandis que la demande la plus importante de la classe ouvrière et de la couche inférieure de la classe moyenne consiste dans la mise en œuvre d’une politique de redistribution. Alors, faut-il adopter cette idée de croissance pour satisfaire les intérêts de deux classes? La critique de Maljoo contre cette analyse consiste à dire que ces analyses oublient, d’une part, le rôle du pétrole dans l’économie iranienne et, de l’autre, le fait que la diminution de l’inégalité peut également inciter la croissance économique en Iran.

Mais les économistes du gouvernement – admettant que la croissance économique peut produire un surplus de richesse pour une éventuelle redistribution – insistent sur le fait qu’il ne faut pas lancer un processus de redistribution immédiat, car cela empêche un surplus plus élevé, et, par conséquent, une meilleure distribution dans l’avenir. Mais quand arrivera-t-il ce moment si attendu de la redistribution? Selon nos expériences: jamais. L’ajournement de la redistribution veut dire, en réalité, l’inexistence permanente de la redistribution. Il ne faut pas oublier la situation dans laquelle la négociation sur ce genre de décisions, le moment de la redistribution, se déroule. Le résultat de la négociation est déterminé par les rapports de forces du pouvoir actuel. Dans un système politique fermé comme celui de l’Iran, la classe ouvrière n’a aucun pouvoir réel, même pour participer à une prétendue négociation. Et oublions la mobilisation et la lutte sociale!

Ce n’est pas que l’on attende, avec un optimisme naïf, une impartialité de la part de l’Etat vis-à-vis de cette situation. Mais il est difficile d’imaginer que Mohammad Nahavandian, le président de la Chambre iranienne du commerce, de l’industrie, des mines et de l’agriculture (ICCIMA) – une instance créée pour la coopération entre des hommes d’affaires et les patrons des unités industrielles, des mines et de l’agriculture –, soit désigné en même temps comme chef de cabinet. Le représentant officiel de la bourgeoisie iranienne est nommé en tant que l’un des personnages les plus puissants du gouvernement.

Ali Rabiei, l’actuel ministre du Travail – et le conseiller pour la «sécurité» de l’ex-président Mohammad Khatami (1997-2005) –, a déclaré dans un entretien, peu de temps après l’élection présidentielle, l’émergence d’une classe moyenne particulière en Iran qui n’appartient pas nécessairement à la couche économiquement supérieure. Plutôt une classe moyenne culturelle, elle serait à l’avant-garde du changement en Iran. Rabiei ajoute qu’il y a un phénomène de «pénétrabilité» dans la société iranienne. Il consiste dans l’affirmation que des comportements et des croyances politiques de la classe moyenne pénètrent, au cours du temps, d’autres groupes de la société, y compris «la classe défavorisée». En admirant cette classe moyenne, il la désigne comme la classe progressiste et l’avant-garde pour le changement en Iran. Le vocabulaire choisi par les analystes proches du gouvernement est plein de termes, jamais explicitement définis, comme la classe moyenne, inférieure et supérieure, favorisée et défavorisée. Ce choix de vocabulaire est une tentative consciente afin de mener une politique qui va contre les intérêts de la classe ouvrière, du prolétariat.

Alors, existe-t-il clairement une justification d’ordre idéologique derrière le fait que les réformistes n’ont jamais essayé de «cibler» la classe ouvrière pour en faire une base populaire de leur politique électorale?

Une partie des dissidents réformistes ont avoué, dans des discussions informelles, que la classe ouvrière pour eux était toujours la base électorale de la politique des réactionnaires, ce qui explique la méfiance totale des réformistes à l’égard du prolétariat au début du mouvement contestataire en 2009, appelé le «mouvement vert».

La désespérance de la classe ouvrière iranienne semble continuer sous ce gouvernement à cause de l’orientation de classe des réformistes. De plus, cette préférence politico-économique des réformistes et de leurs proches met en danger non seulement l’avenir de la classe ouvrière, mais aussi leur propre avenir politique. Le désarroi de la classe ouvrière pourrait être manipulé et utilisé de manière trompeuse dans le cadre des conflits internes au régime. Cela pourrait conduire, dans un certain laps de temps, à une situation similaire à celle de l’élection de 2005 [qui mit aux prises deux candidats au second tour: Akbar Hashemi Rafsandjani et Ahamadinejad].

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Cet article a été publié dans Echos d’Iran, Bulletin d’information sur le mouvement ouvrier en Iran, N° 16, janvier 2014; texte édité par A l’Encontre.

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