Egypte: le 30 juin, l’œuvre du peuple?

10625117-E69D-47A1-BDB6-AB2518194C7F_w268_r1Par May Atta

Coup d’Etat ou révolte populaire? La question a été au centre des débats dans les médias locaux et internationaux tout au long de la semaine écoulée. Pour l’armée, qui n’a eu de cesse de confirmer vouloir rester en dehors du processus politique, il s’agissait de «répondre à l’appel du peuple» et de «protéger les demandes de sa révolution».

Dès l’annonce de la destitution du président Mohamed Morsi le 3 juin, les défenseurs de chacune des deux interprétations sont montés au créneau pour expliquer comment «il faut» voir les choses. Pour la confrérie des Frères musulmans et ses sympathisants, il n’y a pas de doute: ce qui s’est passé est l’archétype du coup d’Etat. Ce fut aussi la position de la plupart des analystes et des médias occidentaux. De leur côté, les opposants ont expliqué la spécificité de la situation en Egypte, un pays en processus révolutionnaire qui fait ses premiers pas sur le chemin de la démocratisation. «Nous ne pouvons pas séparer les conditions particulières dans lesquelles le président Morsi a été élu de la phase révolutionnaire que traverse l’Egypte», commente le doyen de l’Ordre des avocats, Sameh Achour. Pour le reste, un président qui utilisait son mandat pour saper la démocratie n’a pas le droit de se revendiquer de celle-ci pour se maintenir au pouvoir, suggéraient les plus critiques. Une semaine après la chute de Morsi, et même si le fait peine à être «accompli», la question est désormais projetée vers l’avenir: savoir s’il s’agit d’une nouvelle vague de la révolution du 25 janvier 2011 demandera du temps. Si le nouveau régime place l’Egypte sur la voie de la démocratisation, de la liberté et de la justice sociale (les revendications que le peuple égyptien a avancées en 2011), le 30 juin est bel et bien l’œuvre du peuple.

«L’armée peut prendre deux positions après une révolution: en profiter pour prendre le pouvoir, ou participer à la transition démocratique. Il est difficile de dire aujourd’hui qu’est-ce que l’armée entend faire, mais je pense que le peuple qui s’est soulevé contre l’oppression et l’exploitation le 25 janvier 2011 et le 30 juin 2013 n’acceptera aucune trajectoire en dehors de celle de la démocratie et de la justice sociale», assure Nasser Abdel-Hamid, un responsable du parti Al-Dostour.

Mais pour le directeur de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, Hafez Abou-Saeda, la responsabilité incombe aux futurs gouvernements et aux forces politiques. «Ce n’est pas à l’armée de rectifier le tir. Les forces politiques doivent définir avec clarté le chemin de l’avenir, se doter d’un leadership et s’ouvrir à la population. L’armée et les institutions de l’Etat prendront le chemin ainsi défini, elles ne l’inventeront pas», dit Abou-Saeda. Les dossiers prioritaires d’après lui seraient une nouvelle Constitution et une nouvelle loi sur l’exercice des droits politiques, privilégiant les femmes, les chrétiens et assurant la participation de tous les secteurs de la société.

Plus modéré dans ses attentes, le président du parti de l’Alliance populaire (gauche), Abdel-Ghaffar Chokr, s’attend à ce que l’armée continue à avoir une présence dans la vie politique pour des années à venir. «L’armée restera un acteur politique durant la prochaine décennie, sans toutefois avoir le contrôle absolu. Il est tout aussi probable que l’armée opte pour les politiques économiques de Hosni Moubarak et qui sont hostiles à la justice sociale, étant donné qu’elle dirige une importante activité économique en dehors du budget de l’Etat», prévoit-il. «Cela dit, ce n’est pas à l’armée de faire avancer les objectifs de la révolution mais au peuple et aux politiques, mais pour que ces derniers puissent avoir la base populaire nécessaire il faudra attendre quelques années», acquiesce Chokr.

_____

Article publié dans Al-Ahram, le 10 juillet 2013

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*