Egypte. Les grèves actuelles vont-elles prendre un tour politique?

Les ouvriers d'HADISLOB en sit-in
Les ouvriers d’HADISLOB en sit-in

Par Jacques Chastaing

Le 5 décembre 2013, 5000 des 13’000 ouvriers de l’usine de la Société égyptienne pour le fer et l’acier (HADISOLB) de Helwan (banlieu du Caire), ont entamé leur deuxième semaine de grève.

Ils exigent le paiement de 16 mois d’arriérés de participation aux profits annuels qui devaient être payés pour moitié en novembre 2013 et qui complètent de manière importante les salaires des ouvriers. Ils exigent également la réembauche des ouvriers licenciés précédemment, l’amélioration des conditions de travail, mais aussi le limogeage des dirigeants de l’entreprise, accusés de corruption. Ce qui montre que la révolution est toujours dans les esprits, puisque cela reprend une revendication commune à une grande partie des grèves depuis la révolution de 2011 qui a «dégagé» Moubarak, celle de «dégager» également tous les pouvoirs économiques, patrons et directeurs d’entreprises, un pas vers la révolution sociale.

La grève a démarré après que le président du syndicat d’État, Abdel Fattah Ibrahim, qui a visité l’usine fin novembre, avait annoncé un paiement des primes dans les 48 heures. Un sit-in puis la grève ont démarré en réaction au non-respect de cette énième promesse.

Conscients d’être au cœur d’une bataille politique qui dépasse leurs revendications économiques, les ouvriers ont déplacé la contestation hors de l’enceinte de l’usine en ayant organisé une manifestation à Helwan, alors qu’ils n’avaient pas obtenu l’autorisation du ministère de l’Intérieur, comme l’exige la nouvelle loi répressive mise en place à la fin du mois de novembre.

Alors que le pouvoir réprime violemment tous les révolutionnaires qui tentent d’occuper la rue pour dénoncer cette loi, il n’a pas osé intervenir contre les ouvriers d’Helwan, et a, au contraire, promis qu’il allait répondre positivement à leurs revendications.

Il faut dire, d’une part, qu’Helwan est une cité sensible du Caire, très ouvrière, d’environ 1 million d’habitants, comprenant de nombreuses usines importantes du textile ou du ciment et, d’autre part, que les tensions sociales montent puisque cette grève suit celle des 18’000 salariés des cristalleries d’Asfour pour des revendications semblables, toujours au Caire. Par ailleurs, enfin, le syndicat des médecins des services publics hospitaliers vient d’annoncer une grève générale le 1er janvier 2014, où les médecins assureraient gratuitement les soins, pour gagner la sympathie de la population. Or cette annonce de grève a immédiatement obtenu le soutien des personnels ouvriers des hôpitaux qui ont déclaré qu’ils allaient s’y associer.

Le pouvoir a tout à craindre qu’une répression trop violente des grèves et des manifestations ouvrières n’aboutisse à une jonction de ces luttes avec les protestations actuelles des démocrates et révolutionnaires contre le régime militaire qui interdit, de fait, grèves et manifestations puisqu’il les soumet à autorisation préalable.

Or le nombre de grèves ne cesse d’augmenter régulièrement, ainsi que les protestations populaires contre la pénurie et l’augmentation du prix des bonbonnes de gaz, que là aussi, le pouvoir hésite à réprimer violemment.

Tout annonce la marche vers une nouvelle explosion sociale à dynamique politique. La question n’est pas tant de savoir quand elle aura lieu, car c’est inéluctable. Mais elle est de savoir si les révolutionnaires socialistes sauront donner une expression politique coordonnée à cette volonté de dégager tous les petits dictateurs économiques dont témoignent les grèves ouvrières. Dictateurs économiques qui sont aussi politiques, puisque les militaires possèdent environ 25% de l’économie égyptienne. (9 décembre 2013)

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