Egypte. “La liberté est dans les mains du peuple!”

Déclaration des Révolutionnaires Socialistes (9 juillet 2013)

Le Lt. Général Abel Fattah al-Sissi, s'adressant «à la nation» le 3 juillet 2013
Le Lt. Général Abel Fattah al-Sissi, s’adressant «à la nation» le 3 juillet 2013

Selon RFI, «le nouveau Premier ministre par intérim Hazem el-Beblaoui n’a pas fixé de date pour la formation [de ce] cabinet de transition. Il a déclaré vouloir former une administration compétente et représentant différentes forces politiques, dont les Frères musulmans. Le Premier ministre entend offrir des postes au Parti de la liberté et de la justice (PLJ), mais les Frères musulmans refusent pour l’instant toute collaboration avec les nouvelles autorités qu’ils qualifient d’«usurpatrices». Hazem el-Beblaoui a par ailleurs indiqué que les ministres de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères devraient rester à leur poste.
Les forces libérales et les jeunes militants du mouvement Tamarod [Rébellion, qui est une coalition composite] auraient pour leur part préféré que ce soit Mohamed el-Baradei qui prenne la tête du gouvernement. Ils n’ont toutefois pas rejeté la nomination d’Hazem el-Beblaoui. Le nouveau Premier ministre devra aussi composer avec les salafistes du parti al-Nour, qui ne se sont pas opposés à sa désignation, comme ils l’avaient fait avec les précédents candidats. Les tractations qui commencent aujourd’hui s’annoncent donc intenses. Devant la mosquée de Rabah où ils sont rassemblés, tous les responsables du parti de Mohamed Morsi ou des Frères musulmans sont catégoriques: il n’y aura pas de dialogue, il n’y aura pas de négociation possible avec les autorités de transition quelle que soit l’offre qui sera faite aux pro-Morsi.» Nous reviendrons sur la formation du gouvernement en publiant un article de Hanny Hanna.

Simultanément, Alexandre Buccianti écrit, le 11 juillet à 00h58: «Le parquet égyptien a lancé un mandat d’arrêt contre plusieurs hauts responsables des Frères musulmans. Ils sont accusés d’avoir prononcé des discours «incitant à la violence» sur la place Rabaa al-Adawiya où se sont rassemblés plusieurs dizaines de milliers de partisans du président Morsi.

Mohamed Badie, guide suprême des Frères musulmans
Mohamed Badie, guide suprême des Frères musulmans

Les mandats concernent notamment Mohamed Badie, le guide suprême de la confrérie, Essam el-Eryan, le vice-président du parti Liberté et Justice des Frères musulmans, et le prêcheur Safawat Hégazi.
Les intervenants sur le podium situé dans la banlieue de Madinet Nasr à l’est du Caire avaient notamment appelé à «un soulèvement populaire» contre les ennemis de la légitimité et demandé à la communauté internationale d’intervenir «pour éviter que l’Egypte ne se transforme en nouvelle Syrie».

Guéhad el-Hadad, le porte-parole des Frères musulmans, a dénoncé une «tentative de la part de l’Etat policier pour disperser le sit-in des partisans du président Morsi». Il a ajouté que certains des leaders recherchés se trouvaient actuellement sur les lieux du sit-in à Madinet Nasr.» Un membre de la Confrérie a déclaré à Daniel Vallot, lors d’un entretien: «Je refuse catégoriquement de négocier avec ce gouvernement, qui est arrivé grâce aux blindés de l’armée. Ce coup d’Etat militaire a eu pour conséquence un véritable massacre. Nous refusons d’entrer dans quelque négociation que ce soit. Nous n’accepterons de négocier qu’après le retour du dirigeant légitime de l’Egypte, Mohamed Morsi. Je lui ai donné mon suffrage et il est l’unique représentant du peuple égyptien.
Nous demandons également que la Constitution soit rétablie, que soient respectés les droits de l’homme et le droit de manifester pacifiquement, contrairement à ce qu’il s’est passé. Nous demandons également la réouverture des chaînes de télévision. Pendant le mandat de Mohamed Morsi, aucune chaîne n’a été fermée, alors qu’il avait beaucoup d’opposants. C’est ça, la différence entre une vraie démocratie et un régime militaire et fasciste.
»

Le siège des Frères Musulmans, «endommagé», dans le district de Mouqatman dans la partie est du Caire
Le siège des Frères Musulmans, «endommagé», dans le district de Mouqatman dans la partie est du Caire

Pour sa part, ahram online, en date du 10 juillet 2013, juge que les Frères musulmans ont perdu le premier réel test au plan politique et que les Frères doivent mener un combat pour survivre (voir l’article de Jacques Chastaing en date du 9 juillet 2013 sur le site alencontre.org). L’auteur pose la question, après avoir indiqué le parcours des Frères musulmans: «Il reste à vérifier si les Frères musulmans peuvent se réorganiser et reprendre place sur la scène politique. Leur acharnement présent face à une armée très décidée peut avoir un effet boomerang et stimuler une colère sans précédent contre eux parmi des millions d’Egyptiens.» C’est dans ce contexte que prend toute sa valeur la déclaration des Socialistes révolutionnaires publiée ci-dessous. (Rédaction A l’Encontre)

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Déclaration

Longue vie aux millions d’Egyptiens et d’Egyptiennes qui ont renversé Mohamed Morsi par leur vaillante action, qui furent ferme dans leur résolution de manifester et de se défendre eux-mêmes au cours des deux dernières semaines. Ils ont ainsi confirmé que l’esprit de la révolution de janvier [2011] est toujours vivant et qu’il est capable d’imposer sa volonté à ses ennemis.

L’armée est intervenue une fois de plus pour modifier la situation politique, commettant un massacre sanglant, tuant des dizaines et blessant des centaines d’islamistes au cours d’une attaque contre un sit-in devant le bâtiment de la Garde républicaine [lundi 8 juillet 2013]. L’establishment militaire opprime aujourd’hui avec violence et férocité les islamistes.

Nous ne prenons aucun plaisir à la vue de ce massacre, cela en dépit des crimes réalisés par les Frères musulmans à l’incitation à la violence de leur direction. En effet, les effets sournois, fétides de la main d’acier de l’armée se sont fait sentir contre les révolutionnaires auparavant, contre des révolutionnaires qui se sont battus pour mettre en œuvre les objectifs de la révolution et qui ont défié Anan [ancien membre du Conseil Supérieur des Forces Armées], devint «consultant» militaire auprès de Morsi; il démissionna le lundi 1er juillet en «soutien» pour les revendications du peuple] et du maréchal Tantaoui [1] ainsi que leur CSFA alors que les Frères musulmans et leurs alliés joignirent leurs forces avec eux contre la révolution.

L’objectif de cette dernière répression bestiale n’est pas la protection des manifestant·e·s ou des révolutionnaires mais, ainsi qu’un porte-parole militaire l’a déclaré sans détours au cours d’une conférence de presse après le massacre: la «protection des entreprises». Les révolutionnaires, en fait, protégeront eux-mêmes leurs manifestations et occupations; ils repousseront les attaques des Frères musulmans contre eux ainsi que nous l’avons déjà vu à El-Manial et à Maspero.

Les feloul [terme générique désignant les «restes» de l’ancien régime, soit les partisans du régime de Moubarak] et les médias se précipitèrent pour justifier le crime d’aujourd’hui en présentant les mêmes excuses qu’ils donnèrent lors de massacres précédents du CSFA au «nom de la révolution». La véritable raison qui sous-tend ces massacres tient dans la volonté de faire un pas supplémentaire en direction de la réorganisation de la classe dominante et de mettre en place de nouvelles figures de proue [du personnel politique]. Ils cherchent à consolider l’emprise des militaires, ce qui constitue un danger pour la démocratie et pour la révolution elle-même au cours de la prochaine période. C’est cela même qui s’est passé auparavant lorsque les forces de l’armée et la police militaire attaquèrent les révolutionnaires, les manifestant·e·s, les travailleurs en grève tout au long de la période du gouvernement par le CSFA [février 2011-juin 2012].

Nous ne pouvons pardonner les crimes des Frères musulmans, lesquels arrêtèrent et tuèrent des contestataires à Mokattam quelques jours [dimanche 30 juin] seulement avant la chute de Morsi, justifiant cette tuerie par la nécessité de protéger les bureaux du Guide suprême de la Confrérie des Frères.

Nous ne pardonnerons pas leurs attaques contre les manifestant·e·s sur la place Tahrir ainsi que leurs assauts continus dans les quartiers, la maltraitance de résidents qui s’opposent à ce qu’ils permettent le retour de Morsi Moubarak, le dictateur tyran, sur le siège du pouvoir. Les partisans de Morsi, en l’espace de seulement quelques jours, tuèrent des dizaines de personnes et en blessèrent des centaines d’autres, commettant des crimes atroces à Sidi Gaber (Alexandrie), à El-Manial ainsi qu’en d’autres endroits et quartiers dans toute l’Egypte.

Nous n’avons jamais pardonné – et ne le ferons jamais – la trahison de la Confrérie lors de son alliance avec Tantaoui et Anan, qui furent ensuite remercié de l’ordre du Nil [la plus haute décoration d’Etat égyptienne]. Nous ne pardonnerons pas leur alliance avec les feloul de Moubarak après qu’ils furent renversés, ni le «blanchiment» de toute responsabilité de ceux qui furent leurs soutiens officiels, au premier rang de laquelle l’incitation à agir contre les révolutionnaires.

Nous ne pardonnerons pas leur défense de tout crime réalisé au cours du gouvernement par le CSFA, que cela soit à la rue Mohammad Mahmoud, au bâtiment ministériel, à Port-Saïd et ailleurs. Après à peine 100 jours de mandat de Morsi, les Frères modifièrent leur attitude, dirigeant leurs attaques contre les révolutionnaires sur la place Tahrir et, en décembre dernier, devant le palais présidentiel pour ne citer que ces seules attaques.

Alors que les révolutionnaires se sont battus pour mettre en œuvre les objectifs de la révolution contre le pouvoir militaire qui était aux commandes de l’Egypte au cours de l’année et demie précédente, la Confrérie félicita et acclama la Garde républicaine et lui fournit un accueil digne de héros lorsqu’ils arrivèrent sur la rue Mohammad Mahmoud – la rue des martyres et l’œil de la liberté – afin de «sécuriser» la place Tahrir pour le discours de Morsi, le 1er juillet 2012 [juste après son élection].

Les dirigeants des Frères musulmans continuent d’inciter de façon criminelle à la guerre contre le peuple, agitant contre la révolution et mobilisant des milliers de personnes pour la guerre civile, en une tentative misérable de dompter la marée de la révolution égyptienne. Ils souhaitent restaurer le dictateur en son pouvoir, prêt à mettre en œuvre n’importe quelle méthode criminelle, à verser des fleuves de sang, contre les droits du peuple égyptien.

Ils tentent d’allumer les conflits confessionnels dans le but de diviser les masses, ainsi que cela s’est produit tôt hier [le 8 juillet] à Nag Hassan dans le gouvernorat de Louxor où quatre musulmans et chrétiens ont été tués et des familles coptes expulsées. Ceci s’ajoute à l’alliance odieuse et l’assistance du gouvernement des Etats-Unis, laquelle est hostile à la révolution de millions d’Egyptiens et d’Egyptiennes. Ils font commerce de religion et du sang afin de réclamer le trône duquel ils ont été expulsés à la suite de la colère populaire.

Face aux attaques des Frères musulmans, nous ne nous prendrons refuge derrière rien d’autre que notre révolution. Nous la protégerons contre quelque attaque que ce soit en raison des millions de personnes qui sont descendues dans les rues depuis le 30 juin jusqu’à ce jour. Les gens sont en mesure de faire face à toute attaque menée contre leur révolution. Nous devons continuer à mobiliser des millions de personnes dans les rues et sur les places, nous devons former des comités populaires afin de nous défendre contre les contraintes des Frères musulmans. Nous défendrons notre révolution contre toutes les attaques, contre toutes les tentatives de la contourner ou de diluer nos revendications pour le pain, la liberté, la justice sociale et la punition des responsables de la mort des martyres… contre tous les tueurs.

Nous combattons avec les masses pour la poursuite de la révolution et pour la réalisation de ses objectifs. Le peuple est là pour protéger cette révolution. Tout le pouvoir et toute la richesse au peuple! (Révolutionnaires socialistes d’Egypte, 9 juillet 20139

(Texte français traduit par A l’encontre sur la base de la traduction anglaise de Jee Martin à partir de l’original arabe)

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[1] Ancien président du CSFA et ministre de la Défense, sous Moubarak, il sera donc l’un des dirigeants de l’Egypte dans la période qui précède l’accession au pouvoir de Morsi, soit du 11 février 2012 au 30 juin 2012; puis sera démis par Morsi, en même temps qu’Anan, le 12 août 2012; Al-Sissi le remplace à la tête du CSFA, nommé par Morsi.

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