Ainsi qu’il le semble évident pour presque tout le monde, le nouvel accord de cessez-le-feu en Syrie [voir les deux articles d’information publiés sur ce site en date du 19 septembre 2016] est destiné à être rompu comme cela sera le cas de tout accord de ce type qui ne résout pas le problème politique central de la crise. Bien sûr, même un répit qui ne dure pas est mieux que rien – bien que la trêve se soit montrée jusqu’ici très décevante en termes d’aide humanitaire [1].
En l’absence d’un agenda comprenant un accord d’ensemble portant sur le départ de Bachar al-Assad et la mise sur pied d’une transition vers un gouvernement pluraliste, aucun cessez-le-feu ne tiendra dans ce pays déchiré par la guerre. Si l’opposition dominante devait accepter une capitulation, elle serait rapidement dépassée par les combattants pour qui tout ce qui se trouverait en deçà d’un départ du pouvoir du clan Assad signifierait accepter pour rien que des centaines de milliers de Syriens sont morts, et un plus grand nombre encore mutilés, et des pans entiers du pays en ruine.
Pour qu’une trêve conduise au type de compromis qui fonde une paix authentique, il est nécessaire qu’existent des incitations fortes pour toutes les parties au conflit. C’est précisément l’absence de telles incitations qui expliquent pourquoi les Accords d’Oslo, signés à Washington il y a 23 ans, ont échoué à résoudre le conflit israélo-palestinien: ces accords étaient basés sur l’ajournement de la prise de décisions sur toutes les questions cruciales, y compris le sort des colonies israéliennes dans les Territoires palestiniens occupés en 1967. Le résultat était prévisible: Israël a, en réalité, consolidé son emprise sur la Cisjordanie dans le sillage de ces accords, provoquant un ressentiment accru parmi les Palestiniens puis, finalement, l’effondrement du «processus de paix».
Sans que s’établisse un équilibre des forces militaires sur le terrain en Syrie, lequel obligerait le régime Assad et ses supporters iraniens à chercher un véritable compromis, un authentique accord politique n’est pas possible. Nous assistons presque à l’opposé: un régime syrien, enhardi par le soutien iranien et russe, qui se vante de la reconquête prochaine de tout le pays. Ainsi que l’ont signalé les protagonistes clés, la question de la création d’un tel équilibre des forces – en particulier en fournissant à l’opposition des missiles antiaériens capables de limiter l’emploi de la puissance aérienne par le régime, sa principale arme de destruction à grande échelle – a été la principale pomme de discorde sur la Syrie au sein de l’administration Obama depuis 2012. Le fait que cette question reste controversée est attesté par la réticence du Pentagone à donner son feu vert à l’accord négocié par John Kerry, le secrétaire d’Etat.
Il a été rapporté (en clair: c’était une fuite) que les stratèges militaires américains n’avaient pas confiance dans le fait que le régime syrien et ses soutiens russes et iraniens respecteraient un cessez-le-feu destiné à un compromis. En outre, le Pentagone ne désire pas partager des données militaires sur l’opposition syrienne avec leurs homologues russes de crainte qu’ils puissent les utiliser pour bombarder de manière accrue celle-ci. Ils ont des raisons d’être méfiants. John Kerry a déjà mérité une place dans l’histoire comme une incarnation éminente de naïveté diplomatique, c’est-à-dire par sa croyance dans son aptitude à résoudre des conflits par des négociations qui ne sont pas appuyées par des actions sur le terrain – ce qui a été correctement qualifié par le Financial Times comme relevant de sa «confiance illimitée dans sa capacité à résoudre des problèmes dès lors qu’il peut amener les parties concernées à s’asseoir ensemble dans une même pièce» – et par son incroyable rêve sur la volonté de Moscou d’aider les Etats-Unis à sortir de l’impasse syrienne.
Il est cependant improbable que Barack Obama – qui peut difficilement être suspecté d’ingénuité – partage les traits particuliers de son secrétaire d’Etat. Le président américain a refusé obstinément de changer son attitude sur la Syrie au cours des quatre dernières années en dépit des preuves accablantes que cela permettait au conflit de dégénérer en une catastrophe pour le peuple syrien ainsi qu’en un autre désastre majeur pour la politique étrangère américaine, après l’Afghanistan et l’Irak. Ce faisant, Obama est seulement parvenu à convaincre une grande partie de l’opinion publique arabe que les Etats-Unis – qui ont envahi l’Irak et bombardé la Libye pour bien moins, en comparaison de ce qui se déroule en Syrie depuis cinq ans – se préoccupent exclusivement des pays riches en pétrole. Si quelqu’un avait encore une quelconque illusion dans la région sur les prétextes humanitaires et démocratiques invoqués par Washington au cours des dernières années, il l’aura désormais complètement perdue. Ainsi que l’a récemment observé Anthony Cordesman, l’un des observateurs les plus intelligents de la situation politico-militaire au Moyen-Orient, le président des Etats-Unis est désormais entièrement dédié à une «stratégie de sortie» – toutefois, non pas de la crise syrienne mais de son départ de la présidence. (Article publié le 19 septembre 2016 sur le site du journal The Nation, traduction A l’Encontre)
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[1] Dès l’annonce de la fin de la trêve par l’armée syrienne, au moins 40 raids aériens ont frappé les quartiers Est d’Alep, contrôlés par les rebelles, et des villages de la province. Dix-huit camions faisant partie d’un convoi humanitaire (composé de 31 véhicules) du Croissant-Rouge syrien et des Nations Unies, qui se dirigeait vers Oroum al-Koubra, à l’ouest d’Alep, ont été bombardés. Les avions étaient-ils russes ou syriens? L’armée russe, qui opère dans cette région en soutien au régime Assad, s’est engagée, mardi 20 septembre, «à enquêter» à ce sujet. Certes.
Le Monde.fr, le 20 septembre 2016, à 17h17, indiquait: «Selon le ministère de la défense russe cité par les agences russes, «l’aviation russe ou syrienne n’a mené aucune frappe aérienne sur un convoi humanitaire de l’ONU au sud-ouest d’Alep». Le Kremlin avait précédemment indiqué que l’armée russe menait l’enquête sur cet incident. L’armée syrienne a également nié avoir visé le convoi humanitaire.»
• Selon Paul Khalifeh (RFI), en date du 23 septembre 2013, depuis Beyrouth: «Des avions ont mené une quinzaine de raids contre les quartiers est d’Alep, contrôlés par les rebelles jeudi 22 septembre à l’aube. Dans le même temps, la ville était soumise à un intense pilonnage aux mortiers, aux obus de gros calibre et aux roquettes. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme et des habitants d’Alep-est, il s’agissait du bombardement le plus violent depuis avril dernier.
Ce pilonnage a coïncidé avec l’annonce par l’armée syrienne du début d’une vaste offensive pour chasser les rebelles des quartiers est et la reprise de toute la ville par les troupes gouvernementales. Le ministère de la Défense a demandé aux habitants de s’éloigner des positions des rebelles. Mais après ce déluge de feu sans précédent, aucun changement n’a été noté sur les lignes de front traditionnelles, qui coupent Alep en deux.
La reprise des combats a bloqué la distribution de l’aide humanitaire dans les quartiers assiégés de la ville. Dans ce contexte, un représentant de l’ONU à Genève a annoncé que «la nourriture chargée dans 40 camions, qui attendent à la frontière turco-syrienne, sera périmée lundi».
Dans la province méridionale de Deraa, au sud, au moins 12 personnes, dont le «ministre» de l’Agriculture du gouvernement provisoire de l’opposition syrienne, ont été tuées jeudi 22 septembre dans un attentat à la voiture piégée. L’attentat, qui s’est produit dans la localité de Inkhel, a fait aussi des dizaines de blessés parmi les rebelles et les civils.»
• Le 24 septembre 2016, Paul Khalifeh (RFI), depuis Beyrouth, écrit:
«Toutes sortes d’armes sont utilisées dans le pilonnage de l’est d’Alep: des mortiers, des canons de gros calibre, des avions, et aussi des hélicoptères. Les bombardements, d’une violence inouïe, ont visé les quartiers proches des lignes de démarcation qui coupent la ville en deux. Les destructions sont considérables et les services de secours dépassés.
Des immeubles sont entièrement rasés et des habitants se trouveraient sous les décombres. Les victimes se comptent par dizaines.
Ce pilonnage s’est accompagné d’une offensive de l’armée syrienne et de ses alliés au sol. Leur objectif est clairement d’occuper, dans une première étape, les quartiers de Ramoussa et de Cheikh Saïd, au sud de la ville.
Damas n’a d’ailleurs pas caché son intention de reconquérir toute la ville. Des sources militaires ont précisé que le pilonnage pouvait durer des heures ou des jours avant l’assaut final, qui est maintenant possible après l’arrivée de renforts, dont des milliers de Libanais (Hezbollah), d’Iraniens et d’Irakiens.
Selon des sources à Alep, l’armée gouvernementale a commencé à grignoter du terrain au sud de la ville. Les combats se déroulent à l’arme automatique et à la grenade, parfois d’une maison à l’autre, dans une zone urbaine densément peuplée. Les snipers de l’armée syrienne et de ses alliés surplomberaient, désormais, le quartier de Cheikh Saïd.» (Rédaction A l’Encontre)
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