Etats-Unis. Le budget «hard power» de Trump

Mick Mulvaney présente le projet de budget

Par Christian Parenti

La proposition initiale de budget de Donald Trump vient de sortir (une version plus détaillée suivra en mai). A l’instar de l’homme lui-même, le plan combine l’orthodoxie du Parti républicain avec un théâtre politique de cinglé.

Les traits les plus notables du budget sont les suivants: une hausse massive du financement de l’armée (plus 10%) et de la sécurité intérieure (plus 6,8%), en parallèle avec des coupes sombres, d’une agressivité à couper le souffle, dans le logement, la protection de l’environnement, les chaînes de télévision et de radio publiques ainsi que dans la recherche scientifique. L’allocation des crédits au Legal Services Corporation [structure créée en 1974 par le Congrès afin de favoriser l’accès à une assistance juridique] est éliminée, tout comme ceux de la Corporation for Public Broadcasting [créée en 1967, la CPB fournit des subventions fédérales à des centaines de radios et de télévisions, le but affiché est de permettre la réalisation de programmes sans dépendre des annonceurs privés], du National Endowment for Humanities ainsi que du National Endowment for the Arts [deux agences fédérales fondées en 1965, la première visant à soutenir des programmes divers dans le domaine des humanités, la seconde dans le domaine artistique].

«La déconstruction de l’Etat administratif»

Il s’agit là d’un pur brouet digne du GOP [Grand Old Party, le Parti républicain] de l’époque où Reagan était président. D’autres coupes portent toutefois l’empreinte confuse du stratège en chef de Trump, le nihiliste Stephen Bannon. A l’été 2016, Bannon se qualifiait de «léniniste», affirmant que: «Lénine voulait détruire l’Etat; c’est aussi mon objectif. Je veux faire en sorte que tout s’effondre et détruire l’entier de l’establishment d’aujourd’hui.» Puis, le mois dernier lors du rassemblement annuel des conservateurs de la CPAC [Conservative Political Action Conference – voir l’article sur ce site en date du 26 février 2017], Bannon a établi que «la déconstruction de l’Etat administratif» figurait parmi ses priorités. Si le budget de Trump proposé était adopté, cela serait un pas dans cette direction.

En réalité, Bannon, «à l’instar de Lénine», n’envisage pas simplement une destruction, mais une version de destruction créative; miner l’ordre ancien dans l’intérêt d’en bâtir un nouveau. Il est possible que celui qui a le mieux résumé ce nouvel ordre imaginé soit celui qui a élaboré le budget, Mick Mulvaney. Il s’agit du directeur de l’Office of Management and Budget (OMB) de la Maison Blanche. Il a déclaré sur la chaîne MSNBC: «c’est un budget pour un pouvoir dur, pas pour un pouvoir souple» [hard power/soft power budget]. Cela signifie une Amérique qui sera encore plus autoritaire et militariste qu’elle ne l’est déjà.

Concrètement, ce budget «hard power» qui vise à «faire en sorte que tout s’effondre» implique des coupes profondes et systématiques de la plupart des agents/fonctionnaires de l’Etat. Lorsque l’on lit les chiffres, on ne peut s’empêcher d’imaginer le sourire arrogant de Bannon décomptant le nombre de scientifiques, de fonctionnaires et de juristes qui seront licenciés.

Le financement du Département de l’agriculture diminuera de 4,7 milliards de dollars (- 21%). Le Département du commerce subira une diminution de 1,5 milliard (- 16%) suite à l’élimination de la Minority Business Development Agency [agence qui vise à soutenir les entreprises aux mains des minorités] et en dévastant le financement des programmes de recherche de la National Oceanic and Atmospheric Administration. Le Département de l’éducation perdra 13% de son budget (- 9 milliards); «les programmes parascolaires ainsi que les programmes d’été» perdront la presque totalité de leurs financements fédéraux. Les bourses pour étudiants Pell [qui ont droit à des bourses étant donné les bas revenus familiaux pour avoir accès à la première année universitaire, système introduit en 1965 par le démocrate Caliborne Pedll] perdront 3,9 milliards. Les «investissements dans le choix scolaire» augmenteront en revanche de 1,4 milliard [la milliardaire Betsy DeVos, favorable à la privatisation du système d’éducation, est ministre de «l’Education publique»].

Le Département de l’énergie subira une coupe de 5,6% qui éliminera entièrement des programmes tels que l’Advanced Research Projects Agency-Energy, l’Innovative Technology Loan Guarantee Program ainsi que l’Advanced Technology Vehicles Manufacturing Loan Program. Le Département de la santé et des services sociaux sera frappé à hauteur de 17,9%, détruisant le Low Income Home Energy Assistance Program [pour limiter la précarité énergétique] et le programme Community Services Block Grant [pour limiter la pauvreté dans certaines communautés ou territoires].

Le budget du HUD [Département du logement et du développement urbain] sombrera de 13,2% (-6,2 milliards) par le biais de coupes, par exemple, dans les budgets destinés à l’entretien des logements à loyers modérés. Le Département du travail connaîtra une diminution d’allocation budgétaire de 21% qui emportera avec elle les subventions aux programmes de sécurité sur le lieu de travail ainsi que diverses formations professionnelles de la Occupational Safety and Health Administration (OSHA).

Le projet de Trump exige une réduction de 3,8% du budget du Département de la justice, principalement par le biais de coupes dans les remboursements que l’Etat fédéral effectue aux Etats pour la détention des migrant·e·s. Tout aussi important, le budget proposé allouera des moyens destinés à accroître de 20% le nombre des «équipes de juges de l’immigration» actives dans les «procédures de refoulement» ainsi qu’à engager 20 procureurs supplémentaires dans le domaine de l’immigration.

Les coupes budgétaires, les dépenses et le déficit

Dans le cadre du «léninisme» cinglé de Bannon, la mondialisation qui n’appartient pas à la variété militaire est ciblée. Le budget frappe le financement du Département d’Etat de 28%, ce qui comprend l’ensemble des programmes liés aux questions climatiques, ainsi qu’une grande partie de son œuvre éducative internationale. Les coupes réduiront les crédits alloués aux banques de développement multilatérales, y compris la Banque mondiale. Le projet de budget élimine l’ensemble du financement des Etats-Unis destiné aux programmes des Nations Unies sur le changement climatique. Le maintien de la paix, l’éducation internationale et les échanges culturels sont aussi des cibles majeures.

Un os est laissé à ronger à la base imaginée de Trump, soit celle des «vieux Blancs en colère»: les grands programmes sociaux, la sécurité sociale et le Medicare [pour les personnes de plus de 65 ans] sont pour l’instant épargnés. «Nous n’y touchons pas pour l’instant», a déclaré le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin [ancien cadre de Goldman Sachs durant 17 ans; il racheta une banque en faillite lors de la crise des subprime, changea son nom et la revendit avec un profit substantiel].

Le directeur de l’OMB [Office of Management and Budget, chargé de la surveillance des activités des agences fédérales], Mulvaney, qui est en réalité l’auteur de ce budget, est un ancien député au Congrès, membre du Tea Party [l’aile de droite extrême du GOP]. En tant que membre de l’équipe Trump, agréé par Bannon, Mulvaney n’est toutefois pas un faucon du déficit. Lui tout comme le reste de l’équipe Trump justifient les dépenses déficitaires massives du projet de budget en invoquant la courbe de Laffer [1], une astuce de l’époque Reagan qui repose sur l’idée que la diminution du taux d’imposition stimulera radicalement la croissance économique et, partant, augmentera les recettes de l’Etat. Trump a mené campagne sur la promesse de balayer l’ensemble de la dette nationale – non pas le déficit du budget annuel, qui est bien moindre – en huit ans. Les «trumpiens» envisagent donc une croissance de 3%, voire plus.

La fondation non partisane Tax Foundation a toutefois estimé que, même si l’on prend en compte les estimations optimistes d’une croissance qui s’accélérerait pour atteindre 3%, les dépenses proposées par Trump combinées à la diminution du taux d’imposition augmenteront le déficit entre 2,6 et 3,9 billions de dollars sur une période de dix ans.

Du «shutdown» au «shit-show»

Certains républicains de la Chambre des représentants sont déjà opposés au projet de budget. Tom Cole, député de l’Oklahoma, membre éminent du Comité du budget de la Chambre des représentants, a déclaré: «Je ne crois pas que l’on puisse faire des travaux d’infrastructures, augmenter les dépenses de la défense, effectuer une diminution du taux d’imposition, garder Medicare, Medicaid et la sécurité sociale telles qu’elles sont et avoir un budget équilibré. Ce n’est tout simplement pas possible.»

Des signes de malaise se font aussi voir au Sénat. Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud, a, par exemple, qualifié l’assaut contre le Département d’Etat [Affaires étrangères] comme étant «mort dans l’œuf».

Où donc tout cela va-t-il conduire? Les financements pour l’année fiscale actuelle s’achèveront le 28 avril. Sans budget, une fermeture de l’Etat [shutdown], est possible. Chuck Schumer, sénateur démocrate de New York, pourrait utiliser le spectacle de l’impasse d’un shutdown pour faire exploser l’agenda politique de Trump. Les shutdowns ne fonctionnent toutefois pas très bien. [Le shutdown implique un arrêt des activités gouvernementales fédérales – suite à un conflit sur le budget – avec une mise en congé temporaire, sans paie, d’un certain nombre d’employés fédéraux; d’autres doivent se présenter, mais sans être payés, jusqu’à une décision de mise en congé; enfin d’autres sont payés avec retard. Sous Clinton il y a eut un shutdown en 1995-1996 et sous Obama du 1er au 16 octobre 2013.]

Avant cette date, se pose la question de l’extension du plafonnement temporaire et auto-imposé de la dette. Mis en application pour la première fois en 1917, le plafonnement de la dette a été suspendu plus de septante fois depuis 1962 et quatorze fois depuis 2001. La suspension en cours expire à fin mars 2017.

A la différence d’autres décisions, les crédits fédéraux nécessitent soixante voix pour pouvoir passer – le nombre de votes nécessaires pour épuiser l’obstruction parlementaire [filibuster]. Cela signifie qu’au moins huit sénateurs démocrates devront voter en faveur du budget. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que le leader républicain de la majorité au Sénat, Mitch McConnell du Kentucky, peut aisément changer cette règle et abaisser le seuil à 51 voix de sénateurs, mais il a choisi de ne pas le faire.

Pourquoi McConnell n’est-il pas prêt à modifier la règle des obstructions? Il semble que McConnell désire éviter certains éléments de la liste de souhaits de son propre parti de crainte d’enrager les électeurs et électrices, tout en étant en mesure de rendre les démocrates responsables de lui avoir lié les mains. Cela fait sens dès que l’on sait qu’une personne sur trois au Kentucky bénéficie du système de soins subventionné par l’Etat.

Le terme technique pour caractériser tout cela est «shit show». Restez en ligne – nous allons avoir un printemps délirant! (Article publié le 18 mars 2017 sur le site Jacobinmag.org; traduction A l’Encontre)

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[1] La courbe de Laffer a été proposée par l’économiste Arthus Laffer, une courbe en demi-cercle, qui prétend illustrer qu’il existe un taux optimal de taxation et si ce dernier est dépassé le produit de l’impôt diminue. A.Laffer était un conseiller économique du président Reagan. Dépasser de taux optimal – taux reposant sur aucune base empirique sérieuse et qui a été à hauteur de 90% dans les années 1950-1970 aux Etats-Unis pour la tranche marginale de l’impôt sur le revenu – aurait un effet désincitatif sur l’offre de travail car elle serait frappée par la hausse du taux de taxation. Cette idée est reprise par des ignorants fiers de l’être sous la forme: «trop d’impôts tue l’impôt»! Une formule qui peut être maîtrisée par le présentateur du téléjournal de la RTS: Darius Rochebin.

En fait, le résultat de cette politique fiscale ultralibérale, inspirée par ladite courbe de Laffer, n’est autre qu’une courbe croissante des inégalités du fait de la baisse des impôts des plus riches. Cette politique a été, à juste titre, considérée comme un des facteurs de la crise des subprime, dans la mesure où les crédits hypothécaires alloués à des secteurs appauvris servaient à accumuler des profits issus d’opérations spéculatives – entre autres au travers des titres «collatéralisés» de type Asset backed security-ABS – dont les gains étaient défiscalisés. (Rédaction A l’Encontre)

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