On écrit des bilans quand c’est fini. Or ce n’est qu’un début… La situation n’est pas du tout stabilisée. Ni sur le plan économique, ni sur le plan social, ni même sur le plan politique. Bien trop tôt pour tirer des bilans, mais pas trop tôt pour commencer à tirer des leçons.
Une nouvelle période
A la suite de l’échec politique de Mai 68 nous avons crié ce n’est qu’un début et c’était vrai ! L’ébranlement de la société française et de l’ordre mondial ne faisait que commencer.
Le problème est aujourd’hui beaucoup plus grave pour les classes dominantes. Un nouveau cycle de radicalisation vient de s’ouvrir. Il va toucher peu à peu toutes les couches de la société, ébranlant l’ordre social en profondeur.
Ce réveil de la classe ouvrière survient au moment d’une crise décisive du système capitaliste, alors que les classes dirigeantes à l’échelle nationale et internationale sont de plus en plus divisées sur les moyens d’y faire face. Le système en crise se retrouve face à son fossoyeur !
A chaque période les militants révolutionnaires ont dans la tête comme référence l’histoire des derniers affrontements. Jusqu’ici nous avions dans la tête Mai 68 – en France voire en Italie – ou juin 36. Or c’est un nouveau modèle de mobilisation qui se construit sous nos yeux. Ouvrons-les !
Le retour de la classe ouvrière
On la disait morte et enterrée et un beau jour le pays se réveille et s’aperçoit qu’il ne peut pas fonctionner sans dockers, camionneurs, cantinières, cheminots, traminots, éboueurs, marins, ouvriers de la chimie…
Au même moment le monde fait l’expérience qu’il fonctionnerait beaucoup mieux sans traders irresponsables, sans banquiers avides, sans agence de notations suspectes, sans politiciens véreux et même sans la Bourse !
Et cette leçon a été vue et commentée, souvent avec sympathie, dans le monde entier.
Les événements de 2010 en France, confirment s’il en était besoin la classe ouvrière comme acteur central de tout projet d’émancipation crédible. Sur le plan social bien sûr, mais aussi politique, écologique, voire culturel.
Nous devons en tirer des leçons du point de vue du programme comme de notre système d’organisation et de direction.
Grève générale ou mobilisation politique de masse ?
Nous avons défendu le mot d’ordre de grève générale et il fallait le faire, mais c’est tout autre chose qui s’est produit. Nous ne devons pas interpréter l’échec de la grève générale comme un échec du mouvement de masse, mais comme un palier.
La grève générale n’était pas d’actualité parce que dans la situation de délitement du système, elle ne peut être que le prélude à la prise du pouvoir, objectif qui est encore hors de portée. C’est pourquoi ce mot d’ordre, abstraitement juste, est resté porté seulement par une petite avant-garde. Ce qui ne traduit pas un retard de la conscience, mais au contraire une conscience juste de la profondeur de la crise qui va bien au-delà des capacités du mouvement syndical et souligne l’absence d’instruments politiques pour la résoudre.
La grève générale s’est pourtant bien imposée en France en juin 36 et en Mai 68.
Mais en 36, la question du pouvoir semblait être résolue par le gouvernement de Front Populaire. Personne actuellement ne fait un tel crédit au PS et à ses alliés.
Quant à Mai 68 pour la majeure partie de la classe ouvrière en grève, il s’agissait d’arracher un nouveau partage des fruits de la croissance, sans vraiment remettre en cause le modèle socio-économique qui portait cette croissance et semblait durable. Cet objectif a bien été atteint même si la droite est restée au pouvoir.
Maintenant tout le monde a bien compris qu’au-delà des retraites, c’est le système tout entier qui est en cause. Avec la crise écologique, la crise de l’ordre impérialiste, la crise du modèle de civilisation, c’est une remise en cause beaucoup plus fondamentale que nous n’avions jamais pu l’imaginer jusqu’ici.
Dans ce contexte, le mot d’ordre de «grève générale» dépasse le niveau d’un simple affrontement revendicatif et pose la question du pouvoir. Question qui ne peut encore être résolue, ni au plan programmatique, ni au plan organisationnel.
Il s’est donc passé autre chose de totalement imprévue. Le mouvement s’est frayé un chemin vers une mobilisation politique de masse au travers de journées d’action nationales, grèves dures sectorielles bloquantes et blocages interprofessionnels. Et ce n’est qu’un début !
Se faisant la base revendicative s’élargit sans cesse. Paradoxalement, cet élargissement est facilité par l’absence de plate-forme revendicative claire et unitaire dans la bataille sur les retraites.
Au bout du compte, on est arrivé à une situation où la légitimité du gouvernement et de sa politique est remise en cause par tout le pays – y compris les humoristes – sans qu’une autre légitimité ne s’impose.
Une situation qui n’est pas nouvelle en France et que le retour de l’essence dans les stations services n’a nullement réglée.
Les limites du mouvement sur les retraites
Le mouvement contre la loi a atteint un palier. Il s’agit de bien identifier les problèmes à résoudre pour reprendre l’offensive.
• Limites programmatiques
Dès le départ il était clair qu’il n’y avait pas d’accord entre les différents opposants au projet gouvernemental sur une proposition alternative. Division syndicale, mais aussi division politique à gauche. Donc pas d’alternative unitaire au projet gouvernemental. Il a fallu attendre les manifs les plus mobilisées pour voir apparaître des slogans en positif portés par la base.
Le principal inconvénient de ce flou revendicatif c’est de renvoyer chaque travailleur et travailleuse à sa situation personnelle et elles sont multiples. Pour la grande masse des enseignants, la catastrophe est survenue en 2003. Depuis lors, il est pratiquement devenu impossible pour un enseignant de prendre une retraite à taux plein à 60 ans. Pour beaucoup de femmes c’est le passage de 65 à 67 ans qui est dramatique. Dans les grosses entreprises, c’est l’hiatus entre les préretraites négociées de 55 à 60 et le nouvel âge de 62 ans pour toucher la retraite définitive…
Il est certain que si le mouvement avait eu dès le départ une exigence revendicative précise et unifiante, les choses auraient pris un autre tour. Pour aller plus loin, il va bien falloir définir sur quels objectifs on continue la bataille.
• Limites organisationnelles
Jusqu’ici, la mobilisation est largement restée dans un cadre syndical ou intersyndical. Ce qui prouve en tout cas que, bien qu’affaiblis, les syndicats remuent encore.
La stratégie assumée dans l’unité par les directions confédérales n’a pas été un obstacle au développement du mouvement, même si elle n’a pas permis de faire annuler la loi. Mais il ne sera pas possible de passer à un stade supérieur de l’affrontement, sans un développement massif de l’auto-organisation.
Et le besoin d’auto-organisation croîtra pour répondre à deux nécessités: 1°dépasser le palier que nous avons atteint en suivant la stratégie des confédérations syndicales ; 2° l’extension et l’enracinement des mobilisations sur de multiples terrains bien au-delà de la question des retraites.
• Limites politiques
Le mouvement n’a pas de répondant politique.
Ce qui pose un problème particulier face à un gouvernement du type Sarkozy qui adopte une posture intraitable. S’il n’est pas envisageable qu’il se soumette, il ne reste plus qu’une issue possible: qu’il se démette. Mais au profit de qui ?
Encore une fois, cette question ne se posait pas en 1936 où le Front Populaire venait de gagner les élections. Et elle ne se posait pas non plus avec la même acuité en 1968, où le gouvernement a été rapidement contraint par les grévistes de signer les accords de Grenelle (27 mai 2010), certes très en deçà des possibilités, mais représentant quand même de substantielles conquêtes, ouvrant la voie à d’autres conquêtes.
L’obstacle politique actuel est d’autant plus important que ce gouvernement est adossé aux institutions européennes et soumis au contrôle tatillon «des marchés».
Comment définir et appliquer une politique ouvertement contradictoire avec ces forces hostiles ? Avec quelles forces politiques ? Question incontournable.
Si la question posée, c’est bien celle du partage des richesses, elle relève de la responsabilité d’un gouvernement qui ne peut être celui de Sarkozy.
Nos tâches
Quelques pistes à l’arraché
1° Revoir nos analyses sur la période. Nous ne cessons de courir derrière les événements. Il serait temps de remettre les pendules à l’heure sur la profondeur de la crise du système et la direction tracée par les luttes de masse de cet automne.
2° Le NPA est le parti de la grève générale, c’est jusqu’ici notre seule perspective stratégique, notre réponse systématique à toutes les situations. C’est manifestement un peu court. Nous devons proposer une stratégie politique à un mouvement politique de masse à l’offensive et qui pose objectivement la question du pouvoir.
3° On ne peut plus continuer à ignorer le contexte institutionnel européen en pleine construction. C’est maintenant un élément de la politique quotidienne. Il faut y apporter des réponses sous forme de mots d’ordre clairs et agitatoires.
4° Construire le parti là où les choses se décident. Dans les raffineries et sur les ports, à la SNCF et chez les routiers. La liste n’est pas limitative, mais c’est dans les usines et les transports que s’est joué le blocage du pays. Au moment décisif nous n’étions pas là où les choses se décident.
Il serait rédhibitoire pour un parti comme le nôtre de se montrer incapable de se lier aux secteurs de la classe ouvrière, seuls capables de mettre la bourgeoisie à genoux.
Et pour mettre les points sur les i, il s’agit d’amener la politique du parti à l’usine; question qui ne se résume pas à la construction de fractions syndicales.
5° Le parti des luttes ce doit être d’abord le parti de ceux qui luttent. Voilà ce qui doit guider notre fonctionnement comme le choix de nos instances.
Je ne prétends apporter aucune réponse à ces questions dans les limites de ce texte, même si comme tout le monde, j’ai quelques idées.
Il y a au moins une chose dont je suis certain, c’est que la configuration dans laquelle le Congrès du NPA est actuellement engagé ne permet pas de se poser les bonnes questions. Les divisions préexistaient aux «événements». Et l’ensemble du parti, toutes tendances confondues, a couru derrière la mobilisation.
Il serait tout à fait dommageable d’imaginer que l’on puisse refermer la parenthèse et retourner tranquillement à nos petites affaires de tendance. (posté le 2 novembre 2011)
*Jean-Louis Marchetti, militant syndical dans la FSU (enseignement), membre du NPA des Bouches-du-Rhône et membre de sa commission écologie. Le titre est de la rédaction de A l’Encontre.
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