Russie-Daghestan-Guerre. «Dans presque tous les villages, quelqu’un a été tué». Réactions suite à l’annonce de la «mobilisation partielle»

Sur la pancarte, il est écrit: «Non à la mobilisation» (Posle)

Entretien conduit par la rédaction de Posle

Qu’est-ce qui a poussé les Daghestanais à s’opposer à la «mobilisation partielle»? Pourquoi les protestations ont-elles été exprimées par des femmes? Qu’est-ce qui a influencé le déroulement des événements? A quoi ressemble la vie religieuse et politique dans la république? Entretien avec Khazbi Budunov, économiste, et Saida Sirazhudinova, présidente du Centre de recherche sur les questions globales de la modernité et les problèmes régionaux «Caucase. Paix. Développement». (Réd.)

Pourquoi la «mobilisation partielle» a-t-elle suscité une réaction aussi forte au Daghestan?

Khazbi Budunov. Au Daghestan, il y a beaucoup d’hommes qui, à un moment donné, ont choisi d’effectuer un service militaire, sur une base contractuelle, en raison du chômage élevé et des bas salaires. Jusqu’à récemment, ils s’en contentaient: le service militaire avec contrat ne représentait qu’un emploi, une source de revenus pour eux et leurs familles. Pour eux, ce choix n’avait rien à voir avec le fait d’être un soldat engagé dans une guerre ou un patriote. Et tout d’un coup, ils se sont retrouvés en Ukraine, dans une zone de combat. Il est révélateur que beaucoup de ceux dont le contrat avait expiré à ce moment-là ne l’ont pas prolongé.

Le jour où la mobilisation a été annoncée [Vladimir Poutine a annoncé le 21 septembre une «mobilisation partielle» des réservistes militaires], les habitants de nombreux villages et auls [localité rurale] du Daghestan ont reçu leurs convocations: tous dans le désordre, même des hommes nés dans les années 1960. Dans les petits villages de 500 habitants, plusieurs hommes d’une même famille ont été enrôlés, dont deux fils sur trois. Dans le même temps, certains membres de leur famille faisaient déjà partie de l’armée, certains avaient même été tués au combat. Les liens horizontaux (clan) sont très forts dans ces villages. Les gens vont protester de manière coordonnée. Ils vont sortir et bloquer les routes. Ils demanderont aux conseils de village locaux et à l’administration de transmettre leur message aux personnes qui sont au pouvoir. Le message est qu’ils ne sont pas d’accord avec ce qui se passe et qu’ils ne veulent pas mourir. Il y a déjà eu des protestations de ce genre auparavant. Si les manifestations dans les communautés rurales n’ont pas besoin des médias sociaux (bien qu’il soit difficile aujourd’hui d’imaginer un village daghestanais contemporain où les gens n’ont pas de club de discussion WhatsApp local), dans les grandes villes, les médias sociaux jouent un rôle plus important.

La manifestation de Makhachkala, une grande ville de la région [la capitale de la République de la Fédération de Russie], a bénéficié de l’aide des médias et des réseaux Telegram, mais elle a eu lieu parce que les gens étaient prêts à sortir. Les communautés rurales sont généralement plutôt inertes, par contre les communautés urbaines se distinguent par leur engagement civique.

Pouvez-vous décrire les manifestations du 25 septembre à Makhachkala?

Khazbi Budunov. Tout a commencé par un rassemblement de femmes au théâtre de marionnettes. Apparemment, il s’agissait de mères, d’épouses et de sœurs qui se souciaient de ce qui se passait [avec la mobilisation]. La police a essayé de les persuader de partir, mais en vain. La foule a commencé à grossir. Des hommes (principalement des jeunes gens et des adolescents) se sont joints à eux. Pour une ville comme Makhachkala, le nombre de manifestants était faible, 200 à 300 personnes, selon les estimations. Pourtant, la manifestation en a surpris plus d’un, bien que la population de Makhachkala soit assez engagée et politiquement consciente. Par exemple, sur l’une des vidéos des manifestations, on peut voir des femmes se disputer avec un policier: il essaie de les convaincre que «la Russie était attaquée». Elles lui disent que c’est le contraire, que «c’est la Russie qui attaque l’Ukraine». Il y a déjà eu des manifestations à Makhachkala: contre la déforestation de la forêt de Samour, pour protéger le lac Akgel, des chauffeurs routiers protestant contre le système Platon ETC [système de collecte électronique des taxes, adopté en 2015]…

Alors que la ville affiche son potentiel de protestation accumulé au fil des heures, les villages manifestent une révolte de désespoir, avec des gens fatigués par les mensonges politiques. Lorsque les manifestant·e·s bloquent les autoroutes et agissent sans tenir compte des bruits de tirs, ils n’ont plus peur.

Le mécontentement populaire grandit en raison des conditions de vie extrêmement mauvaises, des problèmes d’infrastructure sans fin et du chaos communautaire dans la République du Daghestan. Aujourd’hui, par temps de pluie, Makhachkala se transforme littéralement en Venise, mais pas au sens romantique du terme. Les routes du Daghestan ne sont pas entretenues. Il n’y a toujours pas de gaz dans les montagnes. Les écoles et les hôpitaux ne sont pas réparés. En même temps, les gens sont lassés de ce qu’ils entendent à la télévision et veulent qu’on les laisse tranquilles, en dehors, lorsqu’il s’agit de questions géopolitiques.

L’administration religieuse des musulmans du Tatarstan [4 millions d’habitants] a réagi à la «mobilisation partielle» en déclarant que le service militaire était un «devoir islamique.» Comment ça se passe-t-il au Daghestan?

Khazbi Budunov. Apparemment, le Tatarstan fait appel au précédent de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la guerre contre les nazis a été déclarée «guerre sainte» pour les musulmans. Maintenant, ils veulent répéter cela. On dit aux gens que la Russie est attaquée, mais les gens ne le voient pas. Ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent partir en guerre. Je ne connais pas les sentiments au Tatarstan, mais au Daghestan, pour la majorité de la population, l’administration religieuse ne dispose d’aucune autorité. Cela devient évident quand on voit comment les différentes localités célèbrent les fêtes musulmanes Uraza-Bayram [Aïd al-Fitr, tupture du jeûne] et Kurban-Bayram [Aïd el-Kebir, «fête du sacrifice»] à des jours différents, bien que l’Administration religieuse fixe des dates particulières en fonction du calendrier lunaire. Dans l’islam, il n’y a pas d’intermédiaire entre un musulman et son Seigneur, ce qui se traduit par une faible institutionnalisation de la vie religieuse Les mosquées attirent les gens et un imam fait office d’autorité spirituelle.

Les circonstances de la vie religieuse peuvent-elles affecter la protestation dans le Daghestan? Bien sûr, les manifestants pourraient avoir un chef religieux, mais pour l’instant, aucune personne de ce genre n’a émergé. Said Afandi al-Chirkawi a autrefois joué le rôle d’un chef religieux, mais il a été tué dans une attaque terroriste en août 2012. Il était assez influent bien qu’il était affilié à l’Administration religeuse officielle. Pour ces raisons et d’autres enore, un scénario impliquant une manifestation politique islamique au Daghestan est hors de question. La société dans son ensemble se considère comme une société laïque.

Les partisans de la manifestation ont mentionné, de manière négative, le général impérial russe Alexei Iermolov [1777-1861, il se distingue par la brutalité de sa répression au nom d’Alexandre 1er], le qualifiant de «fondateur de la police dans le Caucase». Quelle est l’importance de la guerre du Caucase [elle désigne la suite d’opérations militaires – sur la période 1817-1864 – visant à l’annexion de la région] et de Iermolov pour le Daghestan?

Khazbi Budunov. En effet, pendant les journées de protestation, des messages anonymes sur le fil Telegram – y compris le président ukrainien Zelensky – ont rappelé aux Daghestanais la guerre du Caucase de 1817-1864 et ses principales figures. Cependant, je pense que ces choses ne touchent pas vraiment le cœur des Daghestanais car il n’y a pas de tendances séparatistes. Les Daghestanais sont fiers de faire partie de la Russie. Ils ne voient pas leur relation avec la Russie comme celle d’une métropole et d’une colonie. Une légende circule même au Daghestan selon laquelle la dernière volonté de l’imam Chamil [1797-1871] était que les Daghestanais ne se battent jamais contre la Russie. Cette idée est bien ancrée dans l’esprit des gens. Quant aux appels au séparatisme, rappelons qu’en 1999 [août-septembre], les Daghestanais ont organisé une réponse armée face aux séparatistes.

Presque tout le monde a dû remarquer que Poutine et Zelensky font constamment référence au passé dans leurs discours publics, mais il s’agit d’un passé imaginaire. Ils suggèrent que nous construisions un avenir sur la base de mythes nationaux. Il est temps d’arrêter de se référer sans cesse à Alexandre Nevsky et Stepan Bendera [figures historiques récurrentes dans le discours de Poutine et clichés propagandistes] et de commencer à parler de problèmes socio-économiques réels.

La protestation a trait uniquement au fait que les gens ne veulent pas que quelqu’un s’immisce dans leur vie et les force à faire la guerre. Les gens vivent, travaillent, cultivent ou gèrent de petites entreprises, et voilà qu’on les entraîne dans une guerre, ce qui affecte le bien-être de leurs familles, de leurs villages et de la ville dans leur ensemble.

Et que pensent les gens de la République tchétchène et de son dirigeant?

Khazbi Budunov. Contrairement à la Tchétchénie, le Daghestan est une république multiethnique qui, après l’effondrement de l’URSS, a mis en place un système parlementaire avec des quotas ethniques pour les sièges occupés à l’Assemblée nationale et un organe exécutif collégial, qui garantissait la rotation des hauts fonctionnaires. Ce système a existé jusqu’au milieu des années 2000.

Aujourd’hui, le Daghestan est principalement sous gouvernance externe, et tout le monde s’en accommode plus ou moins bien. Après les difficiles années 1990, la Tchétchénie mono-ethnique est tombée entre les mains d’un seul homme [Ramzan Kadyrov, Chef de la République tchétchène, depuis 2007; et Premier ministre de 2005 à 2007], et ce système de gouvernement par un seul homme est inimaginable au Daghestan. Par conséquent est vouée à l’échec toute tentative de Kadyrov d’imposer quoi que ce soit au peuple daghestanais, et encore moins d’unifier les deux républiques,

Y a-t-il une possibilité que la contestation du Daghestan s’étende à d’autres régions du Caucase?

Khazbi Budunov. C’est tout à fait possible. Toutefois, nous devons garder à l’esprit que le potentiel de protestation pourrait s’étioler très rapidement. J’ai entendu dire que ceux qui ont été mobilisés par erreur ont déjà été renvoyés chez eux. Les responsables daghestanais ont accusé les bureaux militaires d’avoir fait des erreurs de ciblage dans la mobilisation [cela se constate partout: «l’opération spéciale» devait durer quelques jours et donc la préparation d’une ample mobilisation n’existait pas.] L’opinion de la population peut avoir un impact sur l’évolution de la situation. Si les revendications des Daghestanais sont satisfaites et si la nouvelle se répand dans d’autres régions, davantage de personnes pourraient commencer à protester. Pourtant, nous ne devons pas oublier qu’il y a un certain nombre de personnes au Daghestan prêtes à participer à la guerre et à se battre.

Comment ces personnes justifient-elles leur désir de prendre part à la guerre?

Khazbi Budunov. Ils ne font que répéter les arguments utilisés par Poutine dans ses discours et allocutions «historiques». Ils répètent la même chose encore et encore: l’OTAN veut détruire la Russie. La motivation des gens pourrait s’expliquer par la rancœur qu’ils ont héritée des années 1990, lorsque la Russie est passée d’un pays relativement stable et relativement aisé à un statut de pays déplacé à la périphérie mondiale. Beaucoup se souviennent des horreurs des guerres de Tchétchénie [la 1re de décembre 1994 à août 1996; la 2e d’août 1999 à avril 2009] et des attaques de 1999 au Daghestan [soit au début de la deuxième guerre de Tchétchénie]. Aujourd’hui, les Daghestanais, ainsi que d’autres Russes, veulent une justice et reconnaissances historiques et le rétablissement des frontières que le pays avait à l’époque. Je crains que ce ressentiment ne fasse que croître au cours de la mobilisation.

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Qu’est-ce qui caractérise les manifestations au Daghestan?

Saida Sirazhudinova. Si nous évoquons les habitants de la région, ils se sont toujours exprimés sur les questions qui les touchent personnellement. Par exemple, la distribution injuste de parcelles de terre ou les conflits territoriaux. Les habitants du Daghestan ont toujours été réactifs et proactifs, en particulier les femmes. Cette attitude s’est manifestée dans toutes les situations de conflit dans la région. Cependant, après l’annonce de la «mobilisation partielle», la réaction a été particulièrement forte car trop d’hommes du Daghestan sont déjà morts pendant la guerre en Ukraine. Dans presque chaque village, il y a quelqu’un qui a été tué. Les gens constatent cela et comprennent tout cela, car la population daghestanaise est petite et le nombre d’hommes se réduit. Cette manifestation est une tentative d’autodéfense face à la «mobilisation partielle». Le Caucase n’est pas homogène, car il existe de nombreux petits peuples dispersés dans la région. Chaque peuplade s’est préservée pendant des centaines d’années, et aujourd’hui, ils tentent de protéger leur identité et leur singularité contre une menace.

Pouvez-vous commenter le rôle particulier des femmes daghestanaises dans cette manifestation?

Manifestation à Makhachkala le 25 septembre

Saida Sirazhudinova. Ces dernières années, la responsabilité de la publique et la résistance sont retombées sur les épaules des femmes. Dans le Caucase, les femmes ont toujours été actives, comme en témoignent leurs protestations contre la guerre en Tchétchénie. Aujourd’hui, la responsabilité du mécontentement, de la protestation elle-même, a été portée par les femmes parce qu’il leur est socialement admis d’avoir une réaction émotionnelle. Cela ne signifie pas pour autant que leur réaction n’est pas prise au sérieux. Au contraire, elle l’est. Les femmes ne se contentent pas de montrer leurs émotions, elles font entendre leur voix, elles expriment leur position. Et comme nous pouvons le constater, la police a arrêté non seulement des hommes, mais aussi des femmes.

La plupart des femmes daghestanaises, bien sûr, ne se considèrent pas comme des activistes politiques. Elles veulent simplement protéger leur famille, leurs enfants et leur communauté. Si une femme ne défend pas son enfant, que peut-elle faire d’autre? Nous avons vu cette attitude pendant la guerre de Tchétchénie. Les femmes ne jouent peut-être pas un rôle de premier plan, mais elles font partie des nombreuses personnes qui affichent ouvertement leur position.

Dans le cas de la conscription militaire, ce sont les femmes qui supportent et endurent les pertes. Les souffrances. Elles n’ont pas le choix, c’est le Caucase: si une femme perd son mari, elle a très peu de chances de mener une vie normale à l’avenir. En raison des particularités de la tradition, cette vie normale est presque impossible, même si au Daghestan ces traditions ne sont pas aussi sévères, strictes, qu’en Ingouchie, par exemple.

Quel rôle joue la culture religieuse dans la région?

Saida Sirazhudinova. Au Daghestan, la religion a une réelle importance. Beaucoup de gens suivent les opinions exprimées par les chefs religieux qui ont une influence sur certains groupes. Même lorsque j’ai essayé de me charger d’une question concernant les femmes, j’ai toujours demandé aux chefs des différents groupes religieux de collaborer avec moi. Mais, alors, ils n’étaient pas très utiles. Maintenant, lorsque la question concerne non seulement les femmes mais aussi les hommes, des leaders non officiels ont commencé à faire des appels. En général, les chefs religieux du Daghestan ne sont pas très intéressés par la défense des femmes.

Au Daghestan, il existe un clivage clair entre l’islam officiel et certains groupes salafistes. La manifestation face à la mobilisation que nous observons est soutenue et approuvée principalement par des dirigeants et des imams salafistes qui résident en dehors de la Russie. Le mécontentement a commencé avec les groupes salafistes. Mais il y avait aussi des jeunes femmes laïques parmi les manifestant·e·s. La position du Mufti est proche de la position officielle des autorités russes, bien que l’épouse du Mufti ait fait une déclaration en faveur de la suspension de la mobilisation dans la république, suivant l’exemple de la Tchétchénie voisine. La présence d’une large couche salafiste dans la société a contribué à la protestation, bien que tous les membres de ce groupe ne s’y soient pas joints.

«Ce n’est pas notre guerre!» ont scandé les manifestants au Daghestan. Comment interprétez-vous ce slogan?

Saida Sirazhudinova. Si on parle du Daghestan, c’est la république la plus fragmentée, il y a différents groupes ethniques ici. La plupart des gens ne veulent pas la guerre, ils ne veulent pas perdre leurs proches. Ils ne comprennent pas pourquoi tout cela se produit. S’ils voyaient une menace pour l’intégrité de la Russie et une menace pour leur république, une menace d’attaque militaire réelle, ils défendraient leur pays. Mais ils ne comprennent pas ce qui se passe maintenant. Ils ne perçoivent aucune raison à cette guerre. Bien sûr, tout le monde ne peut pas exprimer sa position. Les gens ont peur de dire quelque chose qui contredit la ligne officielle du parti.

La menace militaire, comme vous l’avez dit, peut, d’une part, être comprise comme une menace pour la Russie et, d’autre part, comme une menace pour le Daghestan. La guerre a-t-elle suscité des sentiments régionalistes?

Saida Sirazhudinova. Le Daghestan est une république disparate et, à un certain point, on craint de se retrouver sans direction fédérale. Par conséquent, l’influence russe est grande et le régionalisme est faible. Il y a des groupes dans la société daghestanaise qui sont intéressés par la politique régionaliste, mais en même temps, il est important pour la société d’avoir une identité civile commune et de préserver la diversité de la population. Aujourd’hui, il est important que les gens affirment qu’ils sont daghestanais. Le risque que la population daghestanaise diminue est bien réel, et en ce sens, l’identité régionale commence parfois à prévaloir sur celle d’être un citoyen russe, de la Fédération.

Comment cette identité est-elle construite? Les manifestants font-ils référence à des événements, des personnages ou des mythes historiques dans leur discours?

Saida Sirazhudinova. Dans les comptes rendus sur les manifestations, il y a deux figures clés: l’imam Chamil [voir ci-dessus] et le général Iermolov [voir ci-dessus], qui étaient des adversaires pendant la guerre du Caucase [1817-1864]. Ce n’est pas une coïncidence si les protestations précédentes avaient eu lieu près du monument à Iermolov à Piatigorsk [ville de la province de Stavropol au pied du Causase, siège du district fédéral du Nord-Caucase, lors de la création de celui-ci en janvier 2010]. Cependant, la bataille de Gounib [en 1859: les forces russes se défont de la résistance de l’imam Chamil] est un événement plus important pour les Daghestanais. Iermolov est une figure emblématique en Tchétchénie parce que son approche y était particulièrement dure. Le cas du Daghestan est différent, car les habitants ont eu tendance à s’adapter davantage à la situation et ont même parfois réussi à utiliser Iermolov à leur avantage.

Les dirigeants de la République tchétchène ont soutenu activement l’agression militaire de la Russie en Ukraine et y ont pris part. Quelle est l’attitude des Daghestanais à son égard?

Saida Sirazhudinova. Les relations entre la République tchétchène et la République du Daghestan sont tendues en raison de différends territoriaux. Si la religion peut sembler être un facteur de cohésion entre certains groupes des deux républiques, la direction religieuse de la Tchétchénie est différente de celle du Daghestan. Les Daghestanais et les Tchétchènes sont tous deux des peuples caucasiens, mais ils vivent dans deux républiques distinctes qui ont des ressentiments mutuels l’une envers l’autre.

Les protestations auxquelles nous assistons au Daghestan peuvent-elles s’étendre à d’autres républiques?

Saida Sirazhudinova. Je n’en suis pas si certaine. Les protestations n’éclatent pas dans toutes les régions du Daghestan et ne concernent pas l’ensemble de la population. Ceux qui participent aux rassemblements ont tendance à protester pacifiquement, dans le respect de la légalité, et sans provocations. On assiste à une vague d’incendies criminels dans les bureaux d’enrôlement militaire dans toute la Russie, mais pas au Daghestan. Le caractère non violent des protestations pourrait s’expliquer par le souvenir des nombreuses attaques terroristes et des meurtres de policiers et de soldats dans la région. C’est pourquoi les habitants de la région pensent que s’attaquer à un groupe spécifique peut nuire à la communauté dans son ensemble.

Les méthodes des manifestant·e·s sont donc modérées. Les gens veulent montrer qu’ils ne sont pas agressifs et qu’ils agissent conformément à la loi, sans recourir à la violence contre la police ni formuler de revendications radicales. Il est surprenant de constater que dans ces manifestations, les gens essaient de faire valoir leurs droits dans le cadre des possibilités offertes par la Constitution de la Fédération de Russie. (Article publié le 5 octobre 2022 sur le site Posle; traduction rédaction A l’Encontre)

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Le site russe Posle («Après» en russe) est animé par des auteurs qui condamnent une guerre «qui a déclenché une catastrophe humanitaire, provoqué des destructions colossales et entraîné le massacre de civils en Ukraine» et «qui a provoqué une vague de répression et de censure en Russie». Les animateurs de ce site mettent l’accent sur le fait qu’il est impossible de «séparer cette guerre de l’immense inégalité sociale et de l’impuissance de la majorité des travailleurs». Ils mettent en relief «une idéologie impérialiste qui s’efforce de maintenir le statu quo intact en nourrissant un discours militariste, xénophobe et de bigoterie».

Suite à la déclaration de «mobilisation partielle», le site Posle a donné la parole à des citoyens et citoyennes russes qui témoignent de leur cheminement particulier de rupture avec le discours et la politique du Kremlin. Il y a là une «documentation» qui donne corps à des décisions d’exode ou de refus de conscription, sous une forme ou une autre. (Réd. A l’Encontre)

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