Par Ludovic Piedtenu
Déjà le 12 janvier 2012, dans le quotidien Le Monde, Antonela Capelle-Pogacean, chargée de recherche, CERI-Sciences Po, écrivait:«Alors qu’entre en vigueur une nouvelle Constitution le 1er janvier 2012, des réformes législatives – plus de 350 lois votées en 18 mois – étendent les pouvoirs d’un Etat contrôlé par le FIDESZ [1] et facilitent l’hypercentralisation des décisions et des ressources entre les mains d’un Premier ministre, Viktor Orban, volontiers messianique.»
A droite du FIDESZ s’est affirmée la formation d’extrême-droite du nom de Jobbik qui a fait une percée électorale aussi en 2010, et aux Européennes de 2009. Une formation se battant pour la «Grande-Hongrie», contre le «Diktat de Trianon» (voir note 1). Dans Le Figaro du 9 avril 2004, Stéphane Kovacs écrit: «Ces nouveaux croisés, bardés de drapeaux et d’insignes militaires, ont pour objectif primordial la défense des valeurs et des intérêts hongrois.» «Depuis notre adhésion à l’UE en 2004, que ce soit en matière économique, culturelle ou démographique, nous n’avons eu que des expériences négatives, indique Zsolt Varkonyi, directeur de campagne du Jobbik. Une part importante de notre économie et de notre système bancaire est détenue par des étrangers. Savez-vous qu’à Budapest, 70 % des investisseurs dans l’immobilier sont juifs?» Dans la propagande du Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie) les cibles sont : le capitalisme, la mondialisation, l’Union européenne, les Roms et les Juifs. Et les agressions contre les Roms sont devenues monnaie courante. D’ailleurs, le Jobbik réclame depuis des années une «gendarmerie dévolue aux problèmes roms». Gendarmerie que leurs sbires «remplacent» pratiquement, selon une tradition fascisante.
La nouvelle révision constitutionnelle proposée le 11 mars 2013 par V. Orban a comme points forts: la Cour constitutionnelle ne peut plus statuer sur le fond des lois qui apparaissent contraires à la Constitution et ne peut intervenir qu’en prenant appui sur la jurisprudence postérieure à 2012. Le président de la Hongrie, Janos Ader, au-delà de questions de forme, ne peut plus exercer son droit de veto sur l’adoption d’une révision constitutionnelle. Certes, il est aussi membre du FIDESZ! L’indépendance des juges est mise en question, les sans-abri sont criminalisés, la liberté de religion mise en cause, la définition de la famille est strictement limitée aux couples hétérosexuels.
Dans la crise multiface présente en Europe, les formes d’autoritarisme (ou plus) prennent des profils différents, mais leurs lignes de force sont convergentes. Cela se dessine avec clarté. Les batailles pour les droits démocratiques, au travers d’une unité d’action large, sont à l’ordre du jour. Nous publions ci-dessous, pour information, une revue de presse de Ludovic Piedtenu consacrée à cette révision impulsée par Viktor Orban. (Rédaction A l’Encontre)
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«La Hongrie jette le gant à l’Union européenne», titre European Voice, comme un défi lancé à Bruxelles… C’est «la mise en place d’une épreuve de force», ajoute le Sydney Morning Herald en Australie qui titre: «La Hongrie oblige l’Union européenne à revoir son action».
Le monde entier prend connaissance ce matin 11 mars 2013 des changements constitutionnels votés hier soir par le Parlement de Budapest.
La 4ème modification d’une nouvelle Constitution entrée en vigueur l’an dernier, qui discrimine pêle-mêle les sans-abri, les homosexuels ou les étudiants. «En d’autres termes, estime l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, un pays au cœur de l’Union européenne s’éloigne des principes de liberté, de démocratie et d’Etat de droit.» Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a beau laisser entendre que tout ceci est contraire au droit européen, «les législateurs hongrois ont approuvé cet amendement constitutionnel perçu comme une menace au contrôle démocratique», titre le Washington Post.
«La Hongrie teste les normes de l’Union européenne», selon le New York Times. Une presse américaine très sensible et très attentive à ces changements, et à ce qu’elle estime être une atteinte aux droits civils.
Pour le New York Times, «cette journée de lundi 11 mars a produit un moment symbolique dans les annales de la défense des droits civils», avec, d’un côté, «la Hongrie, toujours à la recherche d’une concorde nationale sur ce que signifie la démocratie, et de l’autre, l’Europe qui hésite encore quant à la façon de traiter les gouvernements qui s’écarteraient des normes de l’Union européenne».
Car certes il y a eu «les avertissements sévères de Bruxelles» puis les critiques, «mais tout ceci semble un peu tardif» s’agace The Guardian à Londres. «Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, améliore son capital politique sur le dos de Bruxelles, en défiant les principes fondateurs de l’Union européenne», estime le quotidien britannique. «Il est temps pour cette Union de repenser son approche plutôt que de n’y prêter attention que de temps à autre et n’avoir en main aucune sanction crédible, l’Union européenne devrait créer son propre chien de garde de la démocratie, son propre outil de surveillance démocratique, séparé de la commission; elle devrait aussi repenser son arsenal législatif et ses sanctions», ajoute Jan-Werner Mueller du Guardian.
Selon lui, «les récents événements en Roumanie» auraient déjà dû inciter l’Europe à revoir sa copie mais «elle semble ignorer que les gouvernements, une fois qu’ils ont été attaqués, apprennent à déjouer les critiques». Exemple à l’appui: «L’été dernier, quand Victor Ponta, le Premier ministre roumain, désapprouvait Barroso en des termes non équivoques, à qui il demandait d’arrêter de jouer avec les lois régissant la destitution du président d’un pays membre même si ce président en question se trouvait être l’adversaire politique principal de ce Premier ministre Ponta, ce dernier, explique le journaliste du Guardian, semble avoir appris de son voisin de l’ouest, son voisin hongrois qui ces derniers temps apparaissait comme plus conciliant après ses très nombreux affrontements avec l’Union européenne ou la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg. Et bien plutôt que de changer de simples lois à des fins bassement partisanes, il est beaucoup plus élégant, ironise le journaliste, de faire passer une nouvelle Constitution qui consacre les préférences partisanes, à la manière d’Orban en Hongrie.»
Pour le quotidien britannique, «à partir de ce jour, l’Europe souffre d’une sorte de déficience de l’attention politique». Il appelle à la création de ce «chien de garde» qui pourrait être appelé «Commission de Copenhague» en référence aux critères du même nom liés au processus d’adhésion à l’Union européenne. «Cette commission, écrit-il, pourrait déclencher une alerte lorsqu’un gouvernement mine systématiquement la primauté du droit – comme c’est actuellement le cas avec la Hongrie. Et si un gouvernement suscite toujours la défiance, la Commission européenne devrait pouvoir stopper les fonds européens, et si le message ne passe pas, les Etats membres devraient décider de suspendre le droit de vote d’un pays lors d’un Conseil européen. Une possibilité qui existe déjà, mais qui est très largement considérée, selon les propres mots de Barroso, comme l’option nucléaire. Dit simplement: les élites européennes la considèrent inutilisable.»
«Mais alors, s’interroge le journaliste londonien, pourquoi ne pas consacrer la Commission européenne dans ce rôle, suggestion faite la semaine dernière par quatre ministres des Affaires étrangères dans une lettre à M. Barroso. A quoi bon créer sur terre une énième bureaucratie à l’acronyme probablement incompréhensible, car il est certain, poursuit le journaliste, que la Commission va devenir encore plus politisée, on le voit avec la crise de la zone euro pour laquelle les propositions incluent systématiquement l’élection directe du président de la Commission ou pour que les couleurs politiques de la Commission soient à l’image du résultat des élections au Parlement européen. Certes les eurosceptiques se plaignent déjà que cela donne à l’Union européenne beaucoup trop de pouvoir, mais c’est oublier le fait que Bruxelles dispose de nouveaux pouvoirs de surveillance et d’intervention sur les budgets nationaux. Mais ses pouvoirs semblent devoir en rester là. L’Europe ne doit-elle seulement s’intéresser qu’aux chiffres et ne pas faire attention aux valeurs politiques telles que la liberté et la démocratie?»
«L’Europe doit donc repenser l’impensable en se souvenant que récemment avec le nouveau Traité de Lisbonne, elle claironnait le droit de sortie d’un Etat membre. Mais où est le droit d’exclure? En théorie, une dictature militaire pourrait très bien choisir de rester membre de l’Union.» «Espérons, conclut le journaliste, que cette menace hongroise fasse que les gouvernements y repensent à deux fois.» (12 mars 2013, chronique de France Culture, à 7h24)
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[1] FIDESZ: Union civique hongroise, une formation créée en 1988, qui gagne largement les élections en avril 2010; mais dont le dirigeant, Viktor Orban, par le biais de coalitions, avait été Premier ministre, à l’âge de 35 ans, dès 2003. Le FIDESZ puise dans les sources idéologiques suivantes: nationaliste, xénophobe, démocrate-chrétienne traditionaliste (avec un article de la Constitution affirmant le droit à la vie du fœtus dès sa conception) et combinant le protectionnisme avec un libéralisme économique interne fort. Il se fait aussi le représentant des Hongrois vivant en dehors des frontières du pays, avec les tensions que cela suscite avec ses voisins; cela d’autant plus qu’un Hongrois (de sang?) vivant dans un pays voisin peut acquérir la nationalité hongroise et participer aux élections hongroises. Dans le registre nationaliste, le 4 juin est institué comme journée de commémoration nationale. Cela par référence au Traité de Trianon. Le 4 juin 1920 est signé – ou imposé aux restes de l’Autriche-Hongrie – lors de la conférence tenue au Grand Trianon de Versailles un des traités qui font suite à la Première Guerre mondiale. Les puissances impérialistes (France, Angleterre, etc.) gagnantes imposent leurs vues et intérêts aux perdants. Ce traité enleva à l’ex-monarchie hongroise des régions comme la Transylvanie (incluse dans la Roumanie) dans laquelle des enclaves étaient à claire majorité hongroise. Il y a là l’origine du changement de nom décidé par Orban: on passe de République hongroise à Hongrie. (Réd. A l’Encontre)
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