«Le gouvernement Syriza a besoin de détermination et de courage»

Panagiotis Lafazanis
Panagiotis Lafazanis

Entretien avec Panagiotis Lafazanis

Syriza est formellement un parti – ce qui lui donne le droit d’obtenir 50 députés supplémentaires s’il arrive en tête des formations qui se présentent aux élections – mais Syriza est de fait une coalition de divers tendances et partis. Une majorité dite présidentielle – car agglutinée autour de Tsipras – domine la coalition. En son sein, plusieurs courants existent dont les porte-parole prennent des positions publiques différentes selon les thèmes. L’éventail va de courants de fait socio-démocrates à des positions plus radicales. En 2011, un regroupement de divers courants et partis s’est effectué. Il a pour nom Anasa (Initiative pour la recomposition de la gauche et pour le changement de Syriza). De fait, ce courant peut être inclus dans la majorité. Au sein de cette majorité, il y a aussi, par exemple, un courant appelé celui des 53 (le nombre qui avait signé une plateforme sur le fonctionnement du parti) qui a rompu sur les questions internationales avec des orientations propres aux courants issus du stalinisme. En 1991, l’essentiel des euro-communistes se sont réorganisés au sein de Synaspismos. Ce parti a été un des vecteurs de la création de Syriza. Il s’est dissous officiellement en 2013 pour devenir la colonne vertébrale de la majorité de Syriza. Cette dissolution participait de l’opération Tsipras tentée lors du Congrès de Syriza de juillet 2013 – Synaspismos s’est dissous un jour avant ce congrès – visant à contraindre tous les partis et organisations à se dissoudre. Actuellement dans Syriza, le Courant de gauche, dont Panagiotis Lafazanis est le principal porte-parole, représente une force significative bien que peu structurée. Au sein du Courant de gauche, la tradition d’une majorité de membres pour ce qui est des questions internationales renvoie à l’histoire du mouvement communiste. Elle combine donc des positions de classe, des aspects nationalistes et un certain campisme géopolitique, tel qu’on peut le retrouver dans cet entretien à propos de la Russie de Poutine face à l’OTAN qui a développé une stratégie de cooptation d’un grand nombre de pays ex-membres du Comecon. Ce qui a permis à Poutine de riposter en renforçant non seulement un chauvinisme grand russe exacerbé, mais un autoritarisme plus que marqué.

Le Courant de gauche avec le Red Network (DEA-Kokkino fusionnés en décembre) et APO constitue la Plateforme de gauche qui représente quelque 30 à 35% des membres de Syriza. Dans la conjoncture actuelle, trois éléments contribuent à faire bouger les positions internes des composantes de Syriza. Le premier a trait aux rapports entre la direction Tsipras, le gouvernement possible de Tsipras et le parti-coalition qu’est Syriza. En un mot, qui décide quoi et comment. Le deuxième renvoie directement aux propositions concrètes devant faire qu’un gouvernement Syriza soit un gouvernement de gauche, stimulant et s’appuyant sur des mobilisations sociales. Le troisième est en relation avec l’impact sur chaque courant d’une victoire électorale et de responsabilités gouvernementales. A l’ombre de ce grand test se profilent des recompositions politiques qui font bouger les frontières de la Plateforme de gauche. L’épreuve d’une victoire et d’un possible pouvoir gouvernemental interroge des forces qui, comme KOE (Organisation communiste de Grèce, maoïste), se sont de fait dissoutes dans la majorité présidentielle. Quel sera le futur de KOE ? Cela est déjà posé par des dirigeants historiques de KOE à Thessalonique. Au sein même du Courant de gauche, l’expérience gouvernementale va nourrir différences et polarisation. Un économiste comme Yannis Milios ne peut partager les positions des Dragasakis ou Stathakis. L’entretien que nous publions ci-dessous fait partie d’une information sur les diverses réflexions en cours au sein de Syriza. (Réd. A l’Encontre)

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Monsieur Lafazanis, est-ce que vous pensez que la victoire possible de Syriza aux élections de dimanche peut changer le modus vivendi avec les bailleurs de fonds? De nombreux cadres de Syriza soutiennent que Berlin va entendre le message du scrutin si c’est un message retentissant. Ce message à lui seul serait-il suffisant pour changer le rapport de force?

Panagiotis Lafazanis: Si le peuple grec, par son vote et par le biais de Syriza, déclare un grand «non» à la troïka et aux mémorandums et un retentissant «oui» à l’annulation de la plus grande partie de la dette souveraine, dès lundi personne en Europe ne pourra ignorer cette nouvelle réalité. Je n’ai pas d’illusions, mais une grande victoire de Syriza va créer un environnement différent et tout à fait nouveau non seulement en Grèce, mais aussi dans toute l’Europe.

Oui, si Syriza l’emporte aux élections de manière triomphale, cela pourrait déclencher de grandes réorientations et de grands changements dans les pays européens qui peuvent faire boule de neige et créer un effet domino. Et des surprises positives nous attendent.

Vous avez parlé publiquement de «la dictature» de l’euro tandis que dans vos articles on trouve maintes références eurosceptiques. Pensez-vous que la Grèce devra réexaminer sa participation à la zone euro et cela devrait-il avoir lieu par le biais d’un référendum?

Syriza n’a pas comme choix la sortie de l’euro. Pourtant, la zone euro et l’Union européenne ne cessent d’aller du mauvais vers le pire. Et elles sont devenues la région la plus problématique du capitalisme au monde. Il nous faut de grands changements dans la zone euro et dans l’Union européenne. L’Europe doit s’arrêter d’être l’Europe du capital financier, des divergences abyssales et de la domination de l’Allemagne. Un renversement de progrès en Grèce pourra contribuer à ce changement et constituer une opportunité positive pour notre continent et pour un avenir différent. La Grèce a beau être un petit pays, elle dispose d’une «charge» historique et culturelle immense ainsi que d’une position géopolitique névralgique dans la région la plus critique du monde (à l’intersection de trois continents). La Grèce peut faire l’objet d’une expérimentation positive qui ouvrira de nouveaux horizons pour toute l’Europe.

Pensez-vous qu’un gouvernement Syriza devrait articuler des propositions maximalistes par rapport à la question de la dette, soulever la question de son annulation globale? Quelle serait la solution la plus appropriée?

Je dirais que la position de Syriza concernant l’annulation de la plus grande part de la dette n’est pas du tout «maximaliste». Cette position est le résultat non pas «d’obsessions idéologiques», mais d’un besoin de survie du pays et du peuple. Elle constitue une précondition pour donner une bouffée d’air à la population et initier une sortie du tunnel de la debtocratie. Un gouvernement Syriza doit revendiquer avec force et jusqu’au bout cette position, laquelle en ce moment l’emporte comme argument parmi les économistes les plus sérieux à l’échelle internationale. L’argument qu’on lui oppose, c’est-à-dire que la dette souveraine grecque concerne des Etats parmi lesquels il y en a des plus pauvres que la Grèce, ne tient pas, puisqu’une «décote» profonde de la dette souveraine grecque constituerait nécessairement le premier acte pour une décote plus générale dans la zone euro et l’Union européenne, quelque chose qui aurait des effets de relance, de revitalisation pour l’économie européenne qui souffre. En ce moment, la Grèce et le gouvernement Syriza ont besoin de deux choses: être déterminés et oser, oser et être déterminés!

Vous avez dit aux médias russes que la politique de sanctions de l’Union européenne face à la Russie est une «très mauvaise politique», puisqu’elle nuit gravement aux relations entre la Russie et l’Union européenne. Cette déclaration de votre part signifie-t-elle qu’un gouvernement Syriza adopterait une approche différente concernant les relations avec la Russie ? Et cela pourrait-il être le cas même si des problèmes se posaient dès lors avec nos partenaires européens?

Les sanctions économiques de l’Union européenne contre la Russie sont totalement inacceptables et elles alimentent de nouvelles divisions très bouleversantes en Europe qui remontent à la période de la guerre froide. Le gouvernement Syriza va faire tout ce qu’il peut pour que ces sanctions de type guerre froide prennent fin. Mais, surtout, le gouvernement Syriza va prendre des initiatives pour le développement et la valorisation essentielle des relations gréco-russes dans tous les secteurs, et en particulier dans les secteurs politique, économique et énergétique, des relations qui revêtent une importance critique pour notre pays. En général, Syriza va planifier et appliquer une nouvelle politique des affaires étrangères indépendante et à plusieurs niveaux, laquelle sera uniquement basée sur l’intérêt national, la paix et la stabilité dans notre région et en Europe, loin des dépendances, des «satellisations» et de la domination. La Grèce ne sera le «protectorat» de personne ni ne fera l’objet d’une expérimentation sans respect, sans limites dans les jeux de grands centres impérialistes.

Vous avez dit que «les blindés modernes sont les médias aux intérêts enchevêtrés». Syriza sera-t-elle capable de faire face à la corruption et à ces intérêts enchevêtrés et pourquoi Syriza réussirait-elle là où beaucoup d’autres ont échoué?

Parmi les plus grandes plaies, sinon la plus grande, pour le pays, il y a la corruption entre le gouvernement – l’Etat –, l’oligarchie et les médias. Avec Syriza nous allons mettre fin à cette corruption et la garantie pour cela ne consiste pas seulement en l’orientation de Syriza, mais surtout dans les forces du peuple qui nous soutient et les demandes implacables de notre temps. (Publié le 22 janvier 2015 sur le site web in.gr. Traduction A l’Encontre)

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Panagiotis Lafazanis est député de Syriza et l’un des deux leaders de la fraction parlementaire de Syriza. Il est membre du «courant de gauche» et son principal porte-parole.

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