Trente ans de projets miracles et un emploi toujours en plan

Yvon Gattaz (CNPF) et le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, Philippe Séguin, le 27 juin 1986

Enfin une lueur de lucidité! Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont répété durant tout le week-end que leurs ordonnances ne constituaient surtout pas «un remède miracle» contre le chômage. C’était bien la peine d’avoir entretenu, pendant l’été, un haletant suspense sur le contenu de la nouvelle potion magique.

Il est vrai que, depuis plusieurs décennies, les plans providentiels se sont empilés sans produire de résultats mirobolants, sinon des coups de rabot dans des droits sociaux, ce qui n’a pas désespéré employeurs et actionnaires. Petit voyage dans le temps.

• 1986: un Gattaz déjà flexible. Inventeur du terme «flexibilité», le président du CNPF (père du Medef), Yvon Gattaz (père de Pierre), lance en 1984 la revendication des Enca (emplois nouveaux à contraintes allégées). En échange de la suppression de l’accord obligatoire de l’Inspection du travail à tout licenciement économique et de quelques autres broutilles, comme la révision des seuils sociaux. Il s’engage à embaucher «471’000 chômeurs, dont 400’000 la première année». Le Canard dévoile la supercherie, mais, deux ans plus tard, Philippe Séguin, ministre des Affaires sociales de Chirac, s’exécute en partie en mettant l’Inspection du travail au placard. Ce dispositif se double du recrutement massif de jeunes (800’000), mais pour des petits boulots.

Taux de chômage au sens du BIT au moment de la réforme: 8,6% de la population active ; un an plus tard: 8,8%.
Les indigestes Enca n’ont guère nourri l’emploi.

• 2004: Fillon s’accroche aux branches. Après une longue pause keynésienne sous Balladur et Juppé (l’un et l’autre soucieux de ne pas en découdre avec les syndicats), puis Jospin, le chômage, sans «plan miracle», tombe au plus bas (moins de 8%) puis remonte après 2001. Trois ans plus tard, François Fillon, ministre des Affaires sociales du gouvernement Raffarin II, accorde un joli présent au Medef: les accords conclus dans les entreprises ou les branches professionnelles pourront être moins favorables aux salariés que les conventions interprofessionnelles. Cette fois, c’est sûr, l’emploi va repartir.

Taux de chômage: 8,4%; un an plus tard: 8,7%.
Les boulots promis par Fillon étaient-ils fictifs?

• 2005: un Borloo de consolation. Jean-Louis Borloo hérite du bébé au sein du gouvernement Raffarin III. Son «nouveau pacte pour l’emploi», adopté en juillet, prévoit notamment de limiter des «délais de contentieux», douze ans avant les ordonnances Macron, et annonce l’«assouplissement des 35 heures». Il promet aussi de «clarifier les règles régissant le travail le dimanche. Un précurseur.

Taux de chômage: premier trimestre (T1) 2005: 8,3%; T2 8,4%; T3 8,6% et T4 8,7%; un an plus tard: moyenne annuelle de 8,5% (T1 8,7%; T2 8,6%; T3 8,5%; T4 8,0%).
Mais les dégâts statistiques sont limités par un vaste dispositif d’emplois aidés. Dommage que Borloo n’ait pas appelé son copain Tapie à l’aide.

• 2007: Sarko entre Fouquet’s et Medef. Sitôt installé à l’Elysée, Sarko renvoie l’ascenseur à la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui avait appelé à voter pour lui: une baisse du seuil de déclenchement du bouclier fiscal et quelques exonérations de l’ISF (soit 650 millions). Les entreprises, elles, bénéficient d’une défiscalisation des heures supplémentaires et un allègement des cotisations sociales sur ces heures sup. Mais cette première cure d’amincissement n’a strictement aucune influence sur les créations d’emplois.

Taux de chômage: 7,1%; un an plus tard: 7,4%.
Pas vraiment un coup de karcher.

• 2008: le banco de Sarko. Après les zakouski qui ont suivi son arrivée, Sarko entre dans le dur avec sa loi «portant modernisation du marché du travail». Celle-ci rappelle furieusement les revendications du Medef: doublement de la période d’essai, invention de la rupture conventionnelle, permettant – entre autres – de dégraisser sans licenciement, création d’un CDD «à objet défini», qui annonce le CDI de chantier prévu dans les actuels projets d’ordonnance, impossibilité de contester le reçu pour solde de tout compte devant les prud’hommes au-delà d’un délai de six mois.

Taux de chômage: 7%; un an plus tard: 8,8%.
La crise financière a bien nourri la hausse. Mais le «modèle social français», honni des libéraux, a aussi limité la flambée.

2015: Rebsamen pour l’apéro. C’est le temps de l’amour. En août 2014, Manuel Valls lance un vibrant «j’aime l’entreprise» à la tribune de l’université d’été du Medef. François Rebsamen, son ministre du Travail, est chargé de donner un contenu à cet élan du cœur. Certains des mesures ont de l’avenir: réduction des instances représentatives du personnel, allègement de la loi sur la pénibilité, assouplissement des obligations patronales en cas d’inaptitude au travail, doublement de la durée maximale des CDD, etc. Bref, le Dijonnais s’inspire des proportions de la recette du Kir: deux tiers de Gattaz et un tiers de Berger.

Taux de chômage: 10,1%; un an plus tard: 9,7%.
Une baisse due surtout aux milliards claqués pour «inverser la courbe du chômage».

• 2016: El Khomri presque en marche. Avant même que la loi Rebsamen s’applique, un nouveau projet de loi est publié, en janvier, pour éradiquer une fois pour toutes le chômage. Toujours plus social: négociation du temps de travail dans les entreprises (et non plus dans les branches professionnelles) et menace de licenciement pour tout salarié qui refuserait l’accord, définition des causes économiques d’un dégraissage à la discrétion de l’employeur, etc.

Malgré manifs et grèves à répétition, le gouvernement fait passer le texte en usant de l’article 49.3 de la Constitution. La légère accalmie statistique sur le front du chômage est, comme pour la loi Rebsamen, imputable au recours massif à la formation, ainsi qu’à un début de reprise.

Taux de chômage: 9,7% ; un an plus tard: 9,2%.
La prochaine loi permettra-t-elle enfin aux chefs d’entreprise de faire leur métier sans être gênés par leurs salariés? (Par A.G. dans Le Canard enchaîné du 6 septembre 2017)

1 Commentaire

  1. Bonjour,
    Ça ne fait pas 30ans mais 40 que le choix a été fait d’une politique de lutte contre l’inflation. Que l’emploi soit sacrifié et même le chômage désiré aucun politique ne le dira, ils ne sont pas fous ! Donc ces gens mentent, forcément, et leurs «projets miracles» ne sont que la poudre aux yeux nécessaire pour rester au pouvoir et continuer leurs politiques de haute trahison contre toutes évidences.

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