France. Le RBM, l’implosion de l’UMP et la «gauche». Quid?

François Fillon et Alain Juppé
François Fillon et Alain Juppé

Par Charles-André Udry

Les résultats du Front national – du «Rassemblement bleu Marine» (RBM) – suscitent de nombreuses analyses en France. Rien que de normal. Cela d’autant plus au lendemain des élections européennes du 25 mai 2014. De manière succincte, nous abordons, ici, quelques aspects de la situation politico-électorale de l’Hexagone (voir sur ce site l’article d’Alain Bihr publié en date du 26 mai 2014).

1. Il s’agissait, certes, d’élections européennes. Mais, selon des sondages assez bien faits, 68% des votant·e·s FN ont voté à partir de motivations dites nationales. Parmi lesquelles, la «question de l’immigration» arrive en tête (entre 30 et 32% selon les instituts). Trois éléments devraient retenir l’attention.
Tout d’abord, une fraction croissante d’électeurs et d’électrices a pris, en quelque sorte, l’habitude de voter FN. Dès lors la construction, sur une certaine durée, d’une base électorale du FN s’est stabilisée, renouvelée et étendue au plan territorial.
Ensuite, dans les commentaires, un anachronisme analytique se fait jour. Il n’introduit pas des différenciations générationnelles. Or, une couche de votant·e·s jeunes – qualifiée généralement dans la sociologie superficielle comme non diplômée, c’est-à-dire subissant les effets les plus aigus de la précarité – vote «RBM», sans avoir de référence «au passé». C’est-à-dire sans saisir – ­ ce qui est logique et physiologique – la continuité historique d’extrême-droite, fascistoïde, de cette formation et de ses composantes, marquée par Vichy, la collaboration et l’antisémitisme, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, symbolisée par Jean-Marie Le Pen. Le vote FN s’inscrit, pour cette couche entre 25 et 35 ans, dans une sorte de mécanisme de contestation d’un système capitaliste agressif qu’ils vivent et subissent au quotidien. Ce d’autant plus qu’avec Marine Le Pen et Florian Philippot – qui a soutenu le souverainiste «socialiste» Jean-Pierre Chevènement lors de l’élection présidentielle de 2002 – s’est ajoutée, dans le discours, une touche sociale à celle d’un patriotisme («préférence nationale», avec toutes ses déclinaisons) affirmé de longue date. D’un certain point de vue, on pourrait affirmer qu’avec le RBM, la «défense des faibles» a pris une place certaine, dans un schéma: «ceux d’en haut» («la caste politique» de l’UMPS, le PS et l’Union pour un Mouvement Populaire) nous méprisent, nous, «les vrais Français qui risquons de perdre notre identité et notre place sociale». Ce que ne contredit pas le réel vécu et ressenti, pour des raisons évidentes. Le RBM a donc «libéré» des segments d’électeurs et d’électrices abstentionnistes ou indifférents lorsque l’on met en perspective sa trajectoire politico-électorale.
Dès lors, le vote contre Hollande, qui constitue 69% des motivations de vote au sens politique étroit, se combine avec le vote contre «la politique d’immigration» et la «politique d’injustice sociale». Plus exactement une sorte d’adhésion au mythe – qui est performatif dans le cadre présent – d’une sorte de «nation fermée et rassurante» qui permettrait d’étayer un avenir qui serait, alors, un peu plus maîtrisable.

On retrouve là une des composantes classiques d’un vote d’extrême droite dans un contexte socio-économique bouleversé dans toutes ses fibres – à l’échelle de la France, de l’Union européenne et au-delà – soumis à une violente attaque du Capital dont la transnationalisation n’exclut pas du tout les affrontements interimpérialistes (ne serait-ce que sous les multiples appellations de la «compétitivité nationale» à recouvrer).

Ainsi, la déclaration à tonalité présidentialiste de Marine Le Pen, le soir du 25 mai 2014, traduit la mutation du storytelling – du récit utilisé pour accroître l’adhésion du «public» aux traits essentiels du discours – du RMB qui prépare la présidentielle de 2017.

2. Le RBM est aujourd’hui une force politique significative en France. Il faudrait être aveugle pour ne pas le saisir. Certes, les mécanismes de la Ve République font que, au plan des élections législatives et présidentielles, aucun parti politique ne peut prétendre à une position hégémonique sans une alliance. Or, si le RMB s’est affirmé, il reste sans allié, sans «réservoir de voix» – pour s’en tenir au plan électoral – captés par une force associée. De plus, son appareil politique – comparé à la droite ou au PS institutionnels – reste faible. Mais le projet est clairement affirmé de le construire. D’où le défi consistant à ne pas répéter les désastres de la gestion municipale de 1995 et d’éviter quelques dérapages trop affirmés.

Pour l’heure, il peut profiter de l’implosion de l’UMP qui est sous le choc non seulement des résultats aux européennes, mais d’un ensemble de scandales financiers, remontant à la campagne de Sarkozy de 2012. Ce qui ne fait qu’exacerber les conflits internes de ce rassemblement assez hétéroclite – ce qui a sauté aux yeux lors des européennes – ne disposant plus d’un chef incontesté. Les perquisitions au siège de l’UMP, le lundi 26 mai, fournissent un tableau où les «fausses factures» voisinent «avec les coups bas». Un hypothétique triumvirat Raffarin, Juppé, Fillon assurerait au mieux une paix momentanée, avant d’autres règlements de comptes. Une autre formation de droite est donc à reconstruire, en substance, pour affronter dans trois ans, en 2017, la présidentielle, si le «calme social» relatif se perpétue.

3. Un clou chassant l’autre, dans les médias, Valls et Hollande ont quelques jours de répit. Mais, étant au pouvoir, ils n’ont pas trois ans pour attendre les présidentielles. D’où une certitude, le MEDEF va mettre l’accent sur un thème: si vous voulez «avoir des résultats» et «vous sauver» – ne pas connaître le sort de Jospin en 2002, soit ne pas être présent au deuxième tour de la présidentielle – il faut, dès septembre 2014, appliquer avec plus de rigueur l’austérité – entendez attribuer aux entreprises des «avantages compétitifs» – afin que le «pacte de responsabilité» débouche sur des emplois… et que le chômage baisse.

Dit autrement: allez à Lourdes, il est possible que le fauteuil roulant ressorte de la baignade avec des pneus neufs. Le croyant social-libéral Valls et le noyau de ce parti bourgeois est prêt à accepter ce suicide socio-politique, car, pour lui, ce n’est pas un suicide, ce n’est qu’une cure nécessaire. Ce que n’ont pas compris ceux qui, à gauche, considèrent toujours que le PS est, qualitativement, autre chose qu’une copie européenne du Parti démocrate américain.

Un PS dont l’appui à la présidence Hollande a atteint des seuils proches des abîmes. Un PS dont le résultat électoral est inférieur à celui de Michel Rocard, en 1994, lors des européennes. Ce dernier n’avait rassemblé que 14,49% des suffrages sur une liste socialiste compacte. Mais un oubli frappe ici les commentateurs. Pour scier le concurrent potentiel Michel Rocard, François Mitterrand avait, alors, aidé, en sous-main, la liste Bernard Tapie, «Energie radicale». Elle avait rassemblé 6,01% des suffrages et s’affirmait en faveur du Président.

Dans un tel contexte, la gauche radicale fait face à des défis majeurs qui semblent la dépasser. Les références à des analogies historiques ne sont pas très fonctionnelles et les «nouveautés» improvisées sont plus d’une fois illusoires. Savoir saisir les continuités et les discontinuités est un élément essentiel de l’élaboration d’une stratégie. Nous y reviendrons. (27 mai 2014)

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