Etat espagnol. Le nouveau scénario andalou et les bifurcations possibles

Susana Díaz et l’annonce des résultats des élections

Par Ernesto M. Díaz

Lors des élections législatives allemandes de 1932 (un an avant la victoire d’Hitler), le KPD (Parti communiste d’Allemagne) se montra très optimiste face aux résultats: il avait gagné plus de 5 millions de suffrages dans toute l’Allemagne. Ces résultats n’étaient pas mauvais, mais ce progrès électoral ne faisait pas d’ombre aux 13 millions de voix obtenues par le parti nazi à ces mêmes élections. Par conséquent, l’optimisme selon lequel la victoire des communistes était proche n’était en rien justifié, dès lors que le panorama général était très négatif. [Voir plus bas et en fin d’article les graphiques des résultats.]

Heureusement, les militants d’Adelante Andalucía [la coalition composée de Podemos et d’Izquierda Unida (IU) ainsi que d’autres formations plus petites] sont plus sensés que ceux du KPD du début des années 1930. Hier [2 décembre], la majorité des militants faisait part d’une forte inquiétude devant les résultats électoraux. Par là s’entend que personne n’établit un bilan positif des élections du seul fait d’avoir perdu peu de suffrages. A court terme, il est important d’avoir à l’esprit la nécessité d’accompagner dans le calme les mobilisations qui surgissent, en essayant d’accompagner la réponse immédiate, venant du cœur, sans oublier qu’il est nécessaire de lire et d’écrire en vue d’une réorientation de l’ensemble de nos tâches.

Que s’est-il passé?

Le PSOE s’est effondré. Le «susanismo» [terme forgé à partir du prénom de la «baronne» du PSOE en Andalousie et cheffe de l’exécutif, Susana Díaz] est toujours plus discrédité aux yeux de secteurs croissants de la société andalouse. Tourmenté par les révélations de la corruption autour des ERE [1], ainsi que par les grèves et les manifestations intermittentes contre les coupes budgétaires pendant plusieurs années, le PSOE andalou ne semblait plus crédible.

Ce discrédit est notable dans de nombreux domaines et territoires. Les promesses électorales en matière de santé publique constituent à cet égard un paradigme. Susana Díaz a promis la construction de 15 hôpitaux et de 24 centres de santé au cœur de la campagne [l’Andalousie est la Communauté autonome la plus peuplée de l’Etat espagnol, avec 8,4 millions d’habitants]. Les électeurs socialistes, qui attendent depuis longtemps une amélioration des services publics et des conditions d’existence des classes populaires andalouses, se sont immédiatement demandé: pourquoi une telle annonce lors d’une campagne électorale alors que l’on souffre depuis des années des coupes budgétaires? L’opportunisme électoral a eu un prix. Ce sentiment de colère envers le gouvernement andalou du PSOE s’accumule depuis un certain temps, mais il n’a pas trouvé à s’exprimer jusqu’à ces élections. Le PSOE ne s’est pas montré à la hauteur de son sigle et a été, après de longues années, fortement puni en Andalousie [le PSOE occupe sans discontinuer l’exécutif andalou depuis les premières élections autonomiques en 1980].

Comment comprendre le fait que ce mécontentement s’exprime maintenant et pas plus tôt? Une possible réponse réside dans la consolidation de Ciudadanos (C’s) qui a bâti, jusqu’à hier, une image de modération, réalisant des accords avec le PSOE sur des points essentiels de la politique de la Communauté autonome. PSOE et C’s ont été pendant longtemps comme des synonymes. Ce fait explique que les électeurs du PSOE ont trouvé une issue à leur mécontentement qui ne consiste pas en une trahison honteuse, se matérialisant par un vote à la droite du Parti populaire (PP). En l’absence d’un cycle de mobilisations repolitisant la société et radicalisant, vers la gauche, les électeurs socialistes, une partie d’entre eux sont passés à C’s. Ils n’ont toutefois pas envisagé une issue vers la gauche, représentée par Adelante Andalucía, issue qu’ils considèrent sur le moyen terme comme étant une aventure irresponsable.

Il y a ici deux éléments importants. Le premier est l’existence d’un transfert de voix du PSOE vers C’s, favorisé par les politiques d’austérité du premier, sans prendre en considération que C’s accentuera les politiques néolibérales. Le second élément est qu’une fraction du nouvel électorat de C’s provient du PSOE et que ce secteur verrait d’un mauvais œil un accord avec le PP et encore plus avec Vox. Par conséquent, C’s subira des pressions concrètes autour de cet accord, bien que son objectif politique reste clairement néolibéral. Le premier de ces éléments (les politiques néolibérales comme explication de la catastrophe du PSOE) déterminera nos tâches dès lors qu’il s’agira de délimiter un nouvel espace antifasciste.

De son côté, Adelante Andalucía (AA) était et reste un processus nécessaire, bien que les résultats ne soient pas ceux qui étaient attendus. Ce processus a été limité dans sa possibilité d’élargir l’unité populaire en raison du refus irresponsable d’Equo [petite formation écologiste], recevant un chiffre en rien méprisable de 15’000 suffrages, et du Pacma [Parti animiste contre la maltraitance des animaux], qui a reçu près de 70’000 voix. Le Pacma n’a pas souhaité négocier. Les désaccords avec ces deux formations ne relevaient aucunement du programme, dans la mesure où les militant·e·s et les candidat·e·s d’Adelante Andalucía sont clairement écosocialistes et animalistes. Nous nous situons bien loin du néoproductivisme irresponsable d’un PSOE qui, sur la côte, soutient la construction, sans aucune critique ni proposition d’alternative, des corvettes d’Arabie saoudite ou qui appuie la chasse dans les montagnes andalouses. Au regard de la situation postélectorale, ces deux formations devraient revoir leur orientation.

D’un autre côté, quiconque souhaite découvrir la chute des suffrages d’Adelante Andalucía [plus exactement du cumul des suffrages des deux principales formations de la coalition, lesquels avaient reçu le 22 mars 2015 590’000 voix pour Podemos (14,8% et 15 député·e·s) et 274’500 pour IU (6,8% et 5 député·e·s), soit 864’500 suffrages avec une participation de 62,3% contre 584’000 suffrages pour Adelante Andalucía (16,2% et 17 députés) avec une participation de 58,6%] dans le processus de campagne se trompe. On trouvera ceux qui diront que nous n’avons pas suffisamment fait campagne ou que la liste de coalition était fausse, etc. C’est faux. La campagne a été très bonne, le programme était à la hauteur des attentes, la convergence des composantes d’AA était réelle et les candidates étaient les meilleurs possible.

Pourtant, il convient de faire une autocritique dans la mesure où il y a des éléments d’erreurs qui nous reviennent et qui doivent être analysés. Les décisions du secteur dirigeant de Podemos au niveau de l’Etat freinent depuis des mois, limitant les aspirations de transformation et de participation. En partant des limites fixées aux primaires à la modération du programme en passant par la forte réduction de l’activité quotidienne du parti, nous avons assisté à une autolimitation de l’horizon de transformation qui enthousiasma de nombreuses personnes avant et après les élections européennes de 2014. Nous sommes face à un processus de bureaucratisation et de priorité accordée à la vie institutionnelle, encouragée par le «pablisme» [soit les options politiques et organisationnelles du leader Pablo Iglesias], qui se trouve fortement stabilisé. Ces éléments ont démobilisé partiellement l’électorat de gauche qui a décidé de rester à la maison. Bien que ces dimensions soient évidemment plus marquées au sein de sa direction à l’échelle de l’Etat et dans d’autres régions que l’Andalousie, Podemos Andalucía n’allait pas échapper à une certaine désillusion. Les électeurs n’ont pas opéré une division mentale entre Podemos Andalucía et le reste de la formation, quelles que soient les réelles différences.

Enfin, ce qui a porté atteinte d’une manière plus structurelle à la liste AA n’est pas tant l’arithmétique électorale ou nos propres défauts. L’unité avec Equo ou Pacma n’aurait fait qu’amortir, dans de meilleures conditions, le recul (certains calculs donneraient, dans ce cas, un député supplémentaire d’AA), mais cela n’aurait pas modifié pour autant la tendance générale à la baisse. Les éléments qui ont influencé de manière accrue sur ces mauvais résultats tiennent aux caractéristiques de l’étape du long cycle que nous vivons: un processus de démobilisation sociale et politique, une désorganisation du syndicalisme de classe, le rejet des partis d’un féminisme en croissance, le vide politique effrayant de l’écologie sociale… En définitive, la discordance des temps qui continue à exister entre la nécessité de nouveaux militant·e·s organisant le facteur «subjectif» et la crise de la militance réellement existante; une crise qui ne permet pas de redéfinir les liens organisationnels entre ceux qui veulent changer le monde mais ne se convainquent pas de le faire. C’est là que réside la tâche la plus urgente.

Face aux accords institutionnels avec d’autres forces, ce dernier facteur ne peut se résoudre au moyen de quelque raccourci. Seul un travail patient d’implantation sociale et populaire se traduira en modifications structurelles dans les rapports entre classes sur le long terme. C’est là que nous devons placer plus de forces et de moyens, dans la reconstruction de la «classe», de sa conscience, de ses organisations, de son programme. Les médiations partidaires ou sociales ou les convergences sont utiles uniquement dans la mesure où elles contribuent à progresser dans cette tâche colossale.

 

 

La menace brune se matérialise

L’élément le plus déconcertant est, sans nul doute, l’irruption de Vox est tant qu’organisation néofasciste jouissant d’une base électorale de masse. Reconnu publiquement comme formation d’extrême droite, le parti à la couleur verte a obtenu près de 400’000 suffrages [11% et 12 députés] et les élections andalouses sont l’antichambre de sa croissance à l’échelle de l’Etat.

La vague de réaction mondiale, qui a en Trump, Bolsonaro ou Salvini quelques-unes de ses pires expressions, devant arriver, tôt ou tard, dans l’Etat espagnol. Nous ne vivons pas à la marge des difficultés mondiales dans la constitution d’un pôle radical. Nous partageons avec de nombreux pays, comme nous l’avons indiqué plus haut, les difficultés propres à une recomposition politique et sociale de «la» classe.

En outre, nous restons au cœur d’une étape économique caractérisée par la crise capitaliste permanente. Dans cette situation, en l’absence d’une issue bénéfique pour la majorité des classes populaires, la lutte et la compétition pour la survie de ceux et celles d’en bas s’est universalisée. Les travailleuses et les travailleurs précaires d’une même classe luttent pour des miettes au lieu de combattre le capital. La priorité nationale ou la préférence apportée à «ceux d’ici» matérialisent cette dimension dans ce pays. Teresa [Rodriguez, la figure et tête de liste d’AA] l’a exprimé le soir des élections lorsqu’elle a parlé de la généralisation de la «lutte de l’avant-dernier contre le dernier». Cette logique s’est toujours affirmée sur le plan historique: l’absence d’issues collectives renforce la lutte individuelle pour la survie.

Dans ce pays, l’irruption de la vague réactionnaire a été retardée par l’intensité du cycle de mobilisations ouvert par le 15 mai 2011 [«les indignés»] qui s’est prolongé par les différentes Mareas [d’importants mouvements sociaux dans les domaines de la santé, de l’éducation, etc.] et Podemos. Une certaine désillusion de l’électorat envers Podemos a limité le champ d’action propre.

Conjugué aux erreurs de notre propre camp, nous avons assisté pendant plusieurs mois à un renforcement du discours et des campagnes de droite, dans le cadre d’une lutte croissante visant à capitaliser sur le vote de la droite radicale, qui ont nourri un terreau fertile aux discours racistes, machistes et homophobes tels que les représente Vox. Les campagnes contre les «vagues migratoires» menées par le PP et C’s ou le discours dur contre l’indépendantisme [catalan] sont paradigmatiques. Le meilleur exemple réside dans la montée du vote pour Vox dans des villes comme El Ejido [cette ville a été le théâtre, en février 2000, d’un véritable pogrome contre des travailleurs migrants] (passant de 58 voix à 7000 [29,5%]) ou Algeciras (où la formation est passée de 185 à 8500 voix [19,5%]). Ces deux localités, avec une population d’immigrés importante, reflètent les tendances les plus inattendues de cette montée. Avec un terrain préparé, il ne manquait qu’une force sans complexes et ouvertement extrémiste comme Vox pour canaliser ce mécontentement et transvaser une fraction importante du vote provenant du PP et d’autres formations de droite qui jusque-là étaient abstentionnistes. Evidemment, les cas de corruption ont rendu plus difficiles les tentatives de Pedro Casado [le nouveau leader du PP] de limiter cette perte des voix au moyen d’une radicalisation à droite du discours et du programme du PP.

Francisco Serrano, chef de file de Vox

Analysons maintenant spécifiquement Vox. Qui sont-ils et que veulent-ils? Son programme porte principalement contre le féminisme, pour l’unité de l’Espagne et la fin des communautés autonomes comme projet territorial, le retour aux traditions familiales les plus nocives contre les droits des femmes et LGBT qui ont été conquis, la déportation massive des immigrés, la violation des droits démocratiques (tels que la fusion contrainte des municipalités ou la fermeture des chaînes de télévision publiques autonomes)…   Un ensemble de revendications qui, combinées, supposent une régression claire des droits sociaux et démocratiques.

Des éléments supplémentaires soulignent clairement le profil de classe de ce groupement. Par exemple, la transformation de l’ensemble du sol andalou en zone constructible répond clairement au rêve des secteurs de la bourgeoisie qui ont construit leur fortune sur la bulle immobilière. L’idée de créer un seul impôt sur le revenu des personnes physiques, situé à 20% pour ceux qui gagnent jusqu’à 60’000 euros et seulement de 30% pour ceux qui dépassent ce seuil, suppose une réduction claire des impôts directs sur les revenus les plus élevés. Nous pouvons également mentionner l’élimination des démarches administratives et des impôts lors de la constitution d’entreprises. Ou encore la réduction du fameux impôt sur les sociétés de 25% à 20%. L’ensemble du programme de Vox consiste à accroître les marges bénéficiaires du capital en réduisant indirectement les revenus provenant du travail. Il s’agit là d’un profil de classe clair.

Une question, peut-être plus difficile, demeure. Qui sont les électeurs de Vox? Toutes les analyses matérialistes portant sur le fascisme des années 1920 et 1930 signalent que la petite-bourgeoisie est la couche sociale fondamentale sur laquelle chevauchait la croissance fasciste italienne et nazie allemande. Le dynamisme de la petite bourgeoisie à cette époque s’associait aux intérêts objectifs du grand capital et entraînait avec lui d’importantes fractions de la classe laborieuse. Ce phénomène s’affirmait dans un contexte où la classe laborieuse s’identifiait majoritairement avec la social-démocratie et le communisme. D’importants secteurs de la classe laborieuse militant dans l’un ou l’autre parti, ainsi que dans les syndicats. Par conséquent, l’identification sociale quant à qui soutenait les socialistes et les communistes et qui soutenait les nazis était possible dans la mesure où existait une certaine corrélation entre classes et partis.

Le problème principal lorsqu’il s’agit d’analyser les électeurs de Vox réside dans la perte de cette corrélation. Il faut travailler sur la base de données objectives allant au-delà des impressions, mais existe le sentiment que l’on n’assiste pas à un «accaparement»  de l’électorat de Vox par une partie de la petite-bourgeoisie, mais plutôt que l’origine sociale des électeurs de Vox est très diverse: de la petite-bourgeoisie à des secteurs capitalistes en passant par des couches populaires.

En définitive winter is coming et menace de se transformer en printemps du fascisme. Il faut être attentif et voir quelle est l’ampleur de la croissance de Vox dans le reste de la péninsule à moyen terme.

Les tâches générales des antifascistes

Un antifascisme nouveau doit être forgé par les anticapitalistes dans l’ensemble de l’Etat. Certains éléments doivent être posés sur la table pour qu’ils soient discutés.

Le premier doit être permanent et consiste en une clarification constante sur le caractère de classe du programme de Vox (il favorise les bénéfices du capital, réduit les services publics et les revenus indirects des rentes du travail), quel est son objectif face à tous les collectifs de personnes vivant des oppressions spécifiques (femmes, LGBT, immigrés, etc.) ainsi que le danger que signifie une régression des libertés démocratiques. Ce travail doit être public et permanent, il doit être constitutif de l’ADN de tous les antifascistes pour la phase à venir. Refuser de placer ces dimensions au centre afin d’éviter de leur offrir un espace médiatique est chose inutile, car ils sont déjà au centre.

Le deuxième est celui de l’urgente nécessité de construire un tissu antifasciste mobilisé. Il est possible qu’à moyen terme on assiste à une réactivation des militant·e·s de gauche, alertés par la montée du fascisme. Nous devrions explorer les possibilités d’engendrer ce tissu antifasciste comme réponse défensive tout en sachant que les premières réactions peuvent tarder. Un tissu antifasciste n’apparaît pas du jour au lendemain, et encore moins si on veut que son implantation soit massive. Seule une œuvre d’essais-erreurs peut nous donner quelques clés. Nous devons, d’autre part, expliquer cela dans les mobilisations de la première heure qui, sans doute, seront petites [2]. Il faut œuvrer dans la perspective d’un travail antifasciste sur le moyen terme. Outre celui-ci, les processus de mobilisation ne peuvent pas se fonder uniquement sur une tentative de marginalisation de Vox mais doivent plutôt envisager l’élaboration d’une alternative programmatique qui mette sur la table des revendications d’urgence sociale.

Le troisième porte sur le caractère de ce travail antifasciste. Deux aspects doivent le définir. Il s’agit, tout d’abord, de fuir un antifascisme sectaire, d’esthétique punk qui recherche seulement l’affrontement physique et immédiat avec le fascisme, ce type d’antifascisme jouit d’une certaine hégémonie depuis des années. Ce secteur ne parviendra jamais à engendrer un mouvement de masse dès lors que sa caractéristique principale coupe court à toute possibilité d’une progression de la conscience de ceux et celles qui participent au mouvement au travers de leurs expériences. Ensuite, il s’agit d’un travail antifasciste transversal, à même de comprendre les problèmes sectoriels qui signifient le danger fasciste pour chaque collectif (pour les féministes, les LGBT ou les migrants) et il doit chercher à engendrer un mouvement antifasciste sur la base d’une intersection de tous ces collectifs sociaux.

Le quatrième élément important est celui de la délimitation politique de ce futur mouvement antifasciste. En ce sens, nous devons fuir les dangers tant de la «troisième période» [de l’Internationale communiste qui, entre la fin des années 1920 et 1934/5, affirmait que la social-démocratie était une force «social-fasciste»] que du front populaire qui ont caractérisé historiquement la lutte contre le fascisme. Les erreurs de la troisième période amèneraient aujourd’hui une partie de la gauche à voir le PSOE comme l’ennemi principal, du fait que c’est lui qui a mené les politiques néolibérales qui ont engendré la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il est évident qu’une partie de la responsabilité de la naissance de Vox réside dans la trahison des attentes politiques engendrées historiquement par le PSOE, mais il est absolument faux de considérer que l’ennemi principal est le PSOE. Cela est erroné y compris sur le plan de l’arithmétique électorale.

D’un autre côté, les préoccupations de secteurs importants face à la montée de Vox peuvent se traduire par un appel à une unité sans critères, à un souhait de renforcer le PSOE et de construire avec lui une unité institutionnelle permanente visant à freiner la montée du fascisme. L’unité sans critères ou la stratégie de «front populaire» est une erreur symétrique à l’option dite de la «troisième période». Une unité sans critères avec un PSOE qui ne met pas en place de politiques alternatives et qui reste en débâcle ne ferait que nous rendre complice du continuisme qu’il faut attendre des directions de Pedro Sánchez et de Susana Díaz. Par conséquent, des alliances permanentes ne feraient que forger notre propre impuissance.

Face à ces deux erreurs, nous devrions être à même de faire naître des liens avec les électeurs du PSOE dans les mobilisations sociales, tout comme de ne pas écarter des compromis d’investiture ponctuels afin d’empêcher la formation de gouvernements de droite et d’extrême droite, à chaque fois que l’on met sur la table des éléments programmatiques impliquant un changement dans la vie des gens.

Enfin, le plus important est d’éviter tout catastrophisme. L’avenir n’est pas écrit, qu’il soit bon ou mauvais. Rien n’oblige à ce que l’avenir soit celui d’une croissance incontrôlée de la bête brune (ce que nous pourrions appeler un «catastrophisme brun»). Mais il n’y aura pas non plus de triomphe mécanique des anticapitalistes (ce que l’on pourrait appeler un «catastrophisme rouge», lequel a été prédominant au sein du KPD même après la victoire d’Hitler). Ces deux catastrophismes amènent à penser que tout avance, en bien ou en mal, de manière automatique, ce qui empêche, par conséquent, de mettre en pratique ce qui reste la principale tâche: armer de nouveaux militants pour une étape politique nouvelle.

Le plus important en ce moment pourrait être résumé par une phrase que Gramsci écrivit, rappelant Lénine: «Ne jamais désespérer bien que tout semble perdu, mais recommencer patiemment, avec ténacité, en gardant le sang-froid et le sourire aux lèvres lorsque les autres perdent la tête.»  (Article publié le 3 décembre 2018 sur le site VientoSur.info; traduction A L’Encontre)

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[1] ERE (expediente de regulación de empleo), acronyme désignant les plans sociaux obligatoires, consécutifs à des licenciements ou des mises en retraite anticipée importants. Entre 2001 et 2011, l’administration du PSOE andalou a constitué un fond de plusieurs millions « d’aide » aux ERE qui se révèle un réservoir propre à alimenter le clientélisme. (Réd. A L’Encontre)

[2] En réalité, dès le lendemain des élections, lundi 3 décembre, d’importantes manifestations se sont déroulées à Séville (capitale de la Communauté autonome), Malaga et Grenade. Mardi 4, les manifestations se sont étendues dans d’autres villes d’Andalousie (Algeciras, Cadix, etc.). A Grenade plusieurs centaines de manifestants ont passé la nuit sur la place du Carmen et tenus des assemblées. (Réd. A L’Encontre)

 

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