Maintenant que les «feuilles de route» semblent avoir été mises de côté, nous avons une meilleure vue de la cartographie de la Catalogne politique actuelle: 50%, 30%, 20%. 50% veulent une république indépendante, 30% veulent maintenir le statu quo et 20% veulent une réforme constitutionnelle qui mènera à une plus grande autonomie gouvernementale. Il ne me semble pas risqué d’affirmer qu’entre 50% et 70% des Catalan·e·s rejettent l’article 155, veulent une République (selon une relation avec l’Espagne à déterminer) et qui sont en faveur de l’autonomie citoyenne (empowerment) et du droit de décider pour les gens de Catalogne (avec des différences sur la meilleure formule pour l’exercer).
Tout cela s’exprime de multiples façons – et aussi à travers un dénominateur commun – dans les programmes électoraux de Junts per Catalunya, d’Esquerra (ERC), de Catalunya en Comú et de la CUP: tous parlent de leur volonté de développer un processus constituant. Et, en fait, selon notre façon de comprendre ce processus, c’est le seul point de cette large majorité qui dépend exclusivement des partis catalans.
Que disent ces programmes? L’une des «principales ambitions politiques» de Junts per Catalunya est de «promouvoir un grand débat national, participatif, et responsabilisant les citoyens et citoyennes, qui aborde les caractéristiques et les axes qui doivent façonner la constitution de la République catalane», en prenant comme référence le 40e anniversaire du Congrès de la Culture Catalane. Dans le cas d’Esquerra (Gauche républicaine de Catalogne-ERC), elle veut promouvoir «un grand dialogue populaire à orientation constituante, de type délibératif et à vocation largement participative, afin de définir le modèle de la République que nous choisissons». La CUP-CC (Candidatura d’Unitat Popular – Crida Constituent) déclare dans son programme qu’elle favorisera «le début du processus constituant, en tant que processus démocratique, citoyen, transversal, participatif et contraignant, qui doit aboutir à l’élaboration et à l’approbation de la Constitution de la République, laquelle doit être appuyée par un référendum». Catalunya en Comú-Podem propose: «Un grand accord social et politique pour faire avancer la Catalogne. Un accord qui se matérialise dans un nouveau cadre constitutif catalan, qui va au-delà du cadre statutaire actuel, qui nous permet d’acquérir l’autonomie gouvernementale et d’établir une relation bilatérale entre la Catalogne et l’Espagne dans le cadre d’un Etat plurinational.» Les autres forces parlementaires ne font pas référence au processus constituant dans leurs programmes.
Les différents accents sont clairs: certains veulent un processus pour fonder une République et céder la place à une future assemblée constituante qui rédigera la Constitution; d’autres veulent un processus, dans le cadre de l’Etat espagnol, qui permettra de dépasser le modèle législatif actuel.
Mais il faut aussi souligner les similitudes: donner la parole aux citoyens et citoyennes, au-delà des élections, pour débattre et délibérer sur les questions fondamentales qui doivent contribuer à définir l’avenir politique du pays.
Processus constituant dans les deux cas? Il est évident que oui. Oui, si nous abandonnons l’orthodoxie légaliste qui lie habituellement le terme constituant exclusivement à l’élaboration de la Constitution et que nous le comprenons dans un sens plus large et plus politique: toute tâche qui est menée et reconnue afin d’aider à définir les bases d’un modèle politique est constituante, dans la même mesure où nous pouvons affirmer qu’elle en pose les bases, sans se référer encore à des piliers de béton déjà établis. Enfin, si l’adjectif «constituant» – bien que cela n’ait pas été un problème dans les différents programmes électoraux – est plus confus qu’autre chose, il y a d’autres expressions telles le dialogue citoyen sur l’avenir politique de la Catalogne.
L’important est que, dans un processus de bataille pour la souveraineté comme celui que nous vivons, le lien entre les institutions et la citoyenneté (y compris les divers types d’entités et d’associations) reste très vivant. L’important est de construire des espaces où se trouvent des sensibilités diverses qui puissent échanger leurs visions de l’avenir, et de définir les aspirations partagées à dessiner un horizon, pour beaucoup d’entre eux incarnés dans la République, à court et à moyen terme. L’important c’est d’arrêter de parler de ce qui nous sépare de l’Espagne – en l’occurrence beaucoup – et de nous concentrer sur ce qui nous unit par rapport à nos aspirations à vivre mieux. Discutez des raisons pour lesquelles nous voulons bâtir un nouveau pays et des priorités que nous partageons. Bref, pour parler de ce dont nous n’avons pas été en mesure de parler jusqu’à maintenant, au sens large, compte tenu des circonstances. Peut-on dialoguer, parler?
Ce processus doit être massif, selon une méthode sur laquelle nous avons déjà effectué travail important dans notre pays. Nous n’avons pas besoin de le faire à la hâte si nous avons toute une législature, mais il faut: un consensus des partis sur la méthode, l’appui des institutions et des mairies, l’engagement et le bénévolat des organisations sociales et la surveillance des médias. Nous avons déjà une citoyenneté motivée. (Article publié en catalan sur le site ara.cat ; publié sur le site Viento Sur en catillan, traduction A l’Encontre)
Jaume López est professeur de sciences politiques auprès de la Universitat Pompeu Fabra (UPF)
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