Par China Labour Bulletin
Le 4 juin, un glissement de terrain survenu tôt le matin sur une colline montagneuse de Leshan, dans la province du Sichuan [dans le sud-ouest], a coûté la vie à 19 ouvriers et en a blessé sept autres. Les travailleurs avaient été engagés par la société Leshan Tuoda Mining Company, Ltd., qui exploite le phosphate. Les travailleurs étaient logés dans des installations rudimentaires à proximité du chantier, et le glissement de terrain a emporté le hangar où ils dormaient.
Leshan est l’une des principales régions productrices de phosphate en Chine. Le développement rapide des véhicules électriques en Chine a entraîné une augmentation de la demande de batteries au lithium-fer-phosphate, et donc de phosphate extrait à Leshan. La Leshan Tuoda Mining Company a été enregistrée en 2015, avec un investissement de 10 millions de yuans. Elle a commencé à produire du phosphate vers 2016 et a été félicitée par le gouvernement de Leshan pour les revenus fiscaux qu’elle a générés et les possibilités d’emploi qu’elle a créées au niveau local.
Le porte-parole de l’entreprise a déclaré que l’accident était une «catastrophe naturelle», sans rapport avec la sécurité de la production minière. Mais cette distinction n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit d’aborder les questions fondamentales liées à la sécurité des travailleurs. Les mineurs et leurs familles se sont immédiatement interrogés sur la cause de l’éboulement, se demandant s’il aurait été possible de faire plus pour sauver la vie des victimes. Bien qu’une désignation officielle de l’incident comme «catastrophe naturelle» n’aurait probablement pas d’effet sur l’indemnisation des travailleurs blessés et des familles des mineurs décédés, la question est importante du point de vue de la vérité et de l’obligation de rendre des comptes en termes de procédure judiciaire.
Le mois de juin étant le mois officiel de la sécurité au travail en Chine, l’incident de la mine de Leshan est l’un des nombreux exemples qui montrent pourquoi le China Labour Bulletin recueille et analyse des données sur les accidents du travail dans toute la Chine, ce qui est reproduit sur notre carte des accidents. Une plus grande transparence sur les caractéristiques industrielles et régionales des accidents du travail révèle que l’on pourrait faire beaucoup plus pour prévenir les accidents et les décès des travailleurs. Les travailleurs situés en première ligne devraient être impliqués dans la signalisation des risques et alerter le syndicat sur les conditions de travail dangereuses sur leur lieu d’activité. En outre, le changement climatique et les mutations économiques et industrielles ayant des répercussions sociales, la vie des travailleurs devrait être mieux protégée, quelle que soit la cause officielle de l’accident.
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En effet, les travailleurs en première ligne sont les mieux placés pour comprendre les risques de sécurité sur leur lieu de travail et pour faire part de leurs préoccupations. Selon un commentaire publié sur les médias sociaux, les travailleurs de Leshan Tuoda avaient averti le patron du danger que représentait le déversement de déchets (scories) à proximité de leur lieu de vie, mais le patron n’avait pas pris de mesures.
Un mineur qui a utilisé le pseudonyme de Lejun n’était pas en service le jour de l’accident. Dans une interview accordée à Sanlian Lifeweek, il a déclaré qu’une nouvelle mine avait été ouverte une semaine auparavant à l’endroit où l’effondrement s’est produit. Pour accélérer la production, la mine fonctionnait 24 heures sur 24, et les explosions dans la mine secouaient souvent le hangar où les mineurs étaient logés.
Lejun décrit comment de grandes quantités de déchets ont été déversés dans un fossé entre la zone d’habitation et la nouvelle mine, expliquant que les pluies récentes ont détrempé le sol. Avec les explosions répétées, le fossé n’a pas pu retenir les déchets, a-t-il expliqué: «Les scories ont exercé une pression sur le fossé et ont provoqué le glissement de terrain.»
Selon une publication du Beijing Youth Daily, un autre mineur, qui a utilisé le pseudonyme de Lihua, a décrit l’emplacement des scories. Lihua a déclaré: «Les scories empilées au sommet de la montagne se trouvent à l’arrière et dans la partie supérieure du hangar de travail, très près du hangar de travail… ce qui est déraisonnable en soi.»
Lihua a ajouté qu’un petit réservoir avait été construit derrière le hangar pour fournir de l’eau aux travailleurs, et que l’eau courante pouvait également entraîner les scories.
Selon un expert en sécurité interrogé par Sanlian Lifeweek, les facteurs de risque de glissement de terrain sont la pluie, la surcharge et la structure géographique. Le dépôt de scories sur une pente peut affaiblir sa stabilité et provoquer des glissements de terrain. L’expert a ajouté que dans les régions vallonnées telles que le Sichuan, il y a souvent des cas d’exploitation minière illégale et de déversement de scories, qui provoquent des coulées de boue et des glissements de terrain en cas de fortes pluies.
Des villageois économiquement précaires ont accepté des emplois dangereux pour subvenir aux besoins de leur famille
Selon le Beijing Youth Daily, 18 des 19 travailleurs décédés sont des mineurs masculins âgés de 30 à 40 ans. L’autre personne décédée était une cuisinière âgée de 50 ans.
En raison des modalités de production dans l’industrie et dans la région, certaines familles ont perdu plusieurs membres à la fois dans l’accident de Leshan. Les mineurs viennent des villages et des comtés voisins du Sichuan, et ils amènent souvent leurs proches pour travailler ensemble dans la mine.
Un villageois a déclaré que les hommes qui ne peuvent pas trouver d’emploi décent ailleurs vont travailler à la mine. Outre le travail dans les mines, les villageois occupent également d’autres types d’emplois dans la chaîne de l’industrie minière, comme les chauffeurs de camion qui transportent le phosphate vers les usines chimiques de Leshan et de Chengdu.
L’un des mineurs décédés est Wang Mao. Un de ses proches a décrit les difficultés rencontrées par Wang pour subvenir aux besoins de sa famille et de ses deux enfants, qui fréquentent respectivement l’école secondaire et l’école primaire.
Tout d’abord, Wang a été livreur de nourriture pendant deux à trois ans, tout en conduisant un tractopelle pour joindre les deux bouts. Afin d’améliorer son niveau de vie, Wang a rejoint l’année dernière une plateforme de covoiturage en ligne en tant que chauffeur. Il a emprunté plus de 100 000 yuans pour acheter un véhicule répondant aux exigences de la plateforme. Cependant, à peine un mois plus tard, la plateforme a été fermée pour ne pas avoir suivi les procédures exigées par le gouvernement.
C’est alors que Wang est parti travailler dans la mine de phosphate de Leshan, avec trois autres personnes du même village. La famille de Wang avait des réticences quant à ce travail, déclarant: «Gagner de l’argent dans la mine n’est pas facile. C’est très dangereux.»
Mais Wang a persisté. Les mineurs se sont vu promettre 500 à 600 yuans par jour de travail dans les mines. Au moment de sa mort, Wang travaillait dans la mine depuis plusieurs mois, mais n’avait été payé qu’une seule fois.
Les règles administratives de sécurité et leur application ne protègent pas la vie des travailleurs
Selon The Paper, le bureau local de la sécurité affilié au ministère de la Gestion des urgences (MEM) a inspecté plusieurs sociétés minières en mai de cette année, dont la Leshan Tuoda Mining Company.
La première annonce officielle de l’accident de Leshan, qui a depuis été supprimée de l’internet, ne mentionnait pas du tout la compagnie minière. Au lieu de cela, elle faisait référence à un «effondrement de haute montagne», désignation officielle d’un glissement de terrain rapide et mortel. La Leshan Tuoda Mining Company a qualifié l’incident de «catastrophe naturelle», qui n’a rien à voir avec la production minière.
Bien que la région soit montagneuse et sujette à de petits glissements de terrain et à des inondations, un effondrement de grande ampleur est inhabituel. C’est pourquoi les mineurs et leurs familles se sont interrogés sur les raisons de cette tragédie soudaine. Ils soupçonnent la mine nouvellement ouverte et l’élimination dangereuse des scories d’être à l’origine du glissement de terrain.
Au cours des huit années d’exploitation de la mine, l’entreprise a quelques «défaillances» à son actif, notamment des arriérés de salaires. En ce qui concerne la sécurité, l’entreprise a été condamnée en mars dernier à une amende de 10 000 yuans pour utilisation d’un «équipement non autorisé et non certifié».
En mai 2023, le bureau local du MEM a constaté des conditions dangereuses et a annoncé que l’entreprise devait commencer à assurer une surveillance 24 heures sur 24 pendant la saison des inondations, effectuer des contrôles de sécurité stricts et corriger les problèmes conformément à la réglementation minière, et mettre en place une communication efficace en cas d’urgence.
Les règlements de 2014 du Conseil d’Etat sur la prévention des accidents dans les mines autres que de charbon précisent que les mines situées dans des régions montagneuses susceptibles de connaître des glissements de terrain ont l’obligation de prendre des mesures pour renforcer l’inspection des risques sur les versants pentus.
Après l’accident, la réglementation locale a exigé la suspension de toute production pendant trois mois pour l’enquête, la reconstruction et le redémarrage. L’annonce officielle ne précise pas si l’entreprise sera tenue pour responsable de l’accident.
Les travailleurs ont besoin d’être représentés pour répondre à leurs préoccupations en matière de sécurité sur le lieu de travail
Les données officielles indiquent que pour la seule année 2022, 367 accidents miniers ont eu lieu en Chine, causant 518 décès, dont 199 accidents dans des mines autres que de charbon, soit plus de la moitié du total. Les nombreuses réglementations du Conseil d’Etat et des gouvernements locaux en matière de sécurité minière, notamment à Leshan, n’ont pas empêché les accidents. Les inspections ponctuelles du MEM ne sont pas non plus en mesure de prévenir les accidents du travail, et les petites pénalités imposées aux entreprises n’ont guère d’effet dissuasif.
L’accident de Leshan fait toujours l’objet d’une enquête. Il n’est pas certain qu’elle soit sérieuse et qu’elle permette de découvrir les circonstances réelles qui ont conduit au glissement de terrain et à la perte de vies humaines. Le manque de précautions de l’entreprise en matière de sécurité peut avoir contribué à l’accident. Les inquiétudes exprimées par les travailleurs n’ont pas suffi à convaincre l’entreprise de modifier ses pratiques. Les travailleurs précaires n’ont probablement pas les moyens de démissionner lorsqu’ils ne sont pas en sécurité sur leur lieu de travail. Leurs familles se retrouvent à chercher des réponses qui ne viendront peut-être jamais.
Le système d’administration de la sécurité au travail a un rôle important à jouer, mais les enquêtes peu fréquentes ne suffisent pas. L’une des solutions réside dans le fait que le syndicat officiel chinois dispose des ressources et du mandat légal nécessaires pour représenter les travailleurs en première ligne de la production. Le syndicat est un canal privilégié pour mettre en œuvre des mécanismes appropriés permettant aux travailleurs d’exprimer leurs préoccupations en matière de sécurité au travail. Avec ou sans syndicat, les travailleurs devraient être habilités à surveiller et à signaler les conditions de travail dangereuses et être assurés que leur vie et leur emploi seront protégés pour avoir joué ce rôle essentiel et salvateur. (Article publié sur le site du China Labour Bulletin le 30 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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