Venezuela. Une société dévastée et les semblants d’une reprise dollarisée

Magasin informel à Caracas en janvier 2023.

Par Raúl Zibechi

«Après avoir subi un effondrement économique, l’économie vénézuélienne montre des signes de reprise grâce à la relance de son industrie pétrolière», peut-on lire dans un récent article du portail spécialisé dans les hydrocarbures Oil Price. Les Iraniens et les Russes jouent un rôle important dans cette reprise, sans compter que le gouvernement de Nicolás Maduro envisage d’exploiter le gaz naturel avec l’aide de l’entreprise états-unienne Chevron et des entreprises européennes Repsol (Espagne) et Eni (Italie).

Quoi qu’il en soit, dire que quelque chose se rétablit alors qu’il y a eu un effondrement brutal reste un peu vague. Entre 2012 et 2022, le PIB est passé de 372 milliards de dollars à 93 milliards de dollars. Ce n’est qu’en 2022 qu’il y a eu une croissance, de 8%, un chiffre qui n’est pas significatif par rapport à ce qui a été perdu. Véritable séisme économique et social, l’inflation a grimpé en septembre 2018 à 233% par mois, tandis qu’en février 2019, l’hyperinflation en glissement annuel atteignait 2 295 981%, selon les estimations de l’Assemblée nationale.

Mais de nombreuses voitures sont désormais sur les routes, en particulier les nouveaux modèles, car un prix de l’essence à 0,5 dollar le litre (qui était quasi gratuit auparavant) a découragé les conducteurs de véhicules plus anciens de les utiliser à nouveau. Beaucoup ont été vendus à bas prix, au moment du départ, par certains des 7 millions de migrant·e·s: jusqu’à 2000 dollars pour des véhicules vieux de dix ans.

Prix et salaires

Pour que les rues vénézuéliennes désertes et sombres de ces derniers temps retrouvent un peu du mouvement et de la couleur qu’elles avaient autrefois, il a fallu passer par la libéralisation des prix décidée en 2019, ce qui s’oppose à la planification socialiste chaviste. Avec cette libération des prix, des centaines de bodegas [petits commerces]] bien achalandées et des milliers de boutiques non déclarées (informelles) ont vu le jour dans les quartiers populaires. On y trouve de tout, du scotch et du whisky américain à des prix internationaux aux fruits tropicaux pour remplir l’estomac de ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter de la viande, dont le prix est deux fois plus élevé que le salaire minimum.

Résultat: l’offre est abondante, mais les consommateurs manquent. Les longues files d’attente de la période de rareté ne sont plus visibles, mais rares sont ceux qui peuvent se permettre de manger à l’extérieur ou de consommer des produits importés, car les revenus sont plus que maigres. Le réseau de coopératives Cecosesola (Central Coperativa de Servicios Sociales del Estado de Lara) à Barquisimeto [capitale de l’Etat de Lara] affirme que dans le cas des légumes, par exemple, «leurs prix de gros sont nettement inférieurs au coût de production».

Un enseignant reçoit 300 bolivares par mois (11 dollars), mais un litre d’huile coûte 2 dollars, un kilo de farine 1 dollar et un pot de margarine de 250 grammes 1,2 dollar. Le salaire minimum est de 4 dollars (130 bolivares) et le salaire d’un professeur d’université est de 20 dollars. Les paniers alimentaires livrés par les CLAP (Comités locaux d’approvisionnement et de production) sont de plus en plus rares et les livraisons sont devenues très irrégulières.

Les enseignant·e·s sont en grève depuis neuf mois parce qu’ils n’ont même pas les moyens de payer le bus pour se rendre sur leur lieu de travail; le trajet coûte 7 bolivares. Ils n’enseignent qu’un ou deux jours par semaine, et le reste du temps, ils se démènent pour joindre les deux bouts. Dans certains quartiers, pour que leurs enfants puissent assister aux cours, des familles se sont organisées pour fournir aux enseignant·e·s un peu de nourriture et un moyen de transport.

De la pénurie à l’inégalité

Les problèmes sont loin d’être résolus, même si l’image de stabilité produite par l’abondance des biens favorise le gouvernement et décourage les opposant·e·s. Pris dans la lutte entre les deux, la population consacre tous ses efforts à gagner un revenu pour simplement pouvoir manger.

Tous les Vénézuéliens utilisent le dollar, qu’ils combinent avec le bolivar, dans leurs transactions courantes, y compris pour les achats de nourriture et et pour les transports. Dans la mesure où un Vénézuélien sur cinq a pris le chemin de l’émigration, les envois de fonds jouent un rôle décisif dans la réactivation de la consommation. L’un des problèmes les plus graves est que la réception des envois de fonds est très inégale. Les classes moyennes urbaines ont tendance à avoir un membre de leur famille à l’étranger, ce qui n’est pas le cas des secteurs populaires qui, dans une large mesure, doivent se contenter des allocations et des paniers que le gouvernement distribue au hasard.

Pétrole et répression

Les 3 millions de barils de pétrole extraits par Petróleos de Venezuela SA (PDVSA) lors de l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999 sont tombés à 392 000 barils par jour en juillet 2020. Selon Oil Price, en mai 2023, le Venezuela extraira 819 000 barils de pétrole par jour, soit plus du double du niveau historique le plus bas, mais quatre fois moins qu’avant la débâcle.

L’Iran a envoyé de l’essence, mais a surtout fourni des techniciens et des pièces détachées qui ont permis de remettre en marche les raffineries El Palito à Puerto Cabello [Etat de Carobobo] et Amuay dans l’Etat de Falcón, raffineries qui sont deux pièces de musée vieilles de 70 et 60 ans.

Malgré les efforts des alliés internationaux, les mois de mai et juin 2023 ont été marqués par de longues files d’attente de véhicules de toutes sortes pour obtenir de l’essence. Les pénuries ne semblent pas près de s’arrêter dans le Venezuela de l’improvisation et de l’apathie officielles. Tout indique que la relance de l’économie est destinée à se heurter à des infrastructures obsolètes, construites pour la plupart dans les années 1950.

En effet, outre les accords avec Chevron, le gouvernement envisage, pour stimuler la croissance économique, d’utiliser les 200 000 milliards de pieds cubes de gaz naturel du Venezuela, les dixièmes plus grandes réserves du monde, qui seront exploitées par l’Italien Eni et l’Espagnol Repsol, a déclaré Pedro Tellechea, président de PDVSA, à l’agence Bloomberg en mai.

L’expansion probable de l’économie ne sera toutefois possible qu’en faisant face à deux situations préalables. La première est celle dénoncée par le Programme vénézuélien d’éducation et d’action pour les droits de l’homme (Provea) dans son rapport 2021 – «25 ans d’exécutions extrajudiciaires au Venezuela: 1995-2020»: «Dans un contexte de crimes systématiques et généralisés contre l’humanité (crímenes de lesa humanidad)», selon l’ONG, en 2020 il y a eu 3034 exécutions extrajudiciaires. En 2019, il y en a eu 2012 et depuis 2013, date de l’arrivée au pouvoir de Maduro, il y en a eu 7000, un chiffre scandaleux qui ne semble pas impressionner une partie du progressisme régional, mais qui décourage les protestations.

Le deuxième obstacle à cette prétendue reprise est la croissance des inégalités et de la pauvreté. Dans son rapport 2022, Provea affirme que 6,5 millions de Vénézuéliens ont souffert de la faim entre 2019 et 2021, que 4,1% des enfants ont souffert de malnutrition aiguë et qu’entre 2012 et 2022, la production agricole a diminué de 50%.

Le rapport ajoute que «le Venezuela est l’un des pays où l’inégalité des revenus entre les habitants est la plus grande», ce qui se voit simplement en regardant les rues et les routes sur lesquelles circulent des SUV hors de prix. La crise sociale qui menace le Venezuela pourrait être encore plus dévastatrice que l’inflation qui a détruit l’économie. Bien que le régime semble s’être consolidé, nombreux sont ceux et celles qui pensent que les chances de construire une société plus juste se sont évanouies. (Article paru dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 30 juin 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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